E) L'EXPÉRIENCE OU L'ÉVÉNEMENT TRAGIQUE



Si on se limite au sujet (comme thème et suppôt) de l'énoncé, il peut apparaître que l'essence du tragique soit cathartique, dans et par l'identification secondaire du et au protagoniste; par contre, l'essence du tragique est (ant)agonique, dans et par l'identification primaire de et à l'agoniste, par le sujet de l'énonciation, qui est à la fois un proto-actant et un archi-actant. Il y a division du sujet, division du sujet de l'énoncé et division du sujet de l'énonciation. Le schéma ou la structure antagonique de l'action fait qu'il y a à la fois crainte ou terreur, «terreur sacrée», et pitié : catharsis; mais le schéma ou la croix agonique de la passion fait qu'il y a à la fois angoisse et agonie, angoisse devant l'agonie et agonie à force d'angoisse : agôn. L'angoissant-agonisant -- Antigone menacée d'être enterrée vivante (de retourner à Jocaste?) -- est à la source de l'inquiétant; le démonique est agonistique : agônia ["lutte", "angoisse", "angoisse de l'âme"].

Dans la finitude la plus radicale, le discours tragique est agonal : natal et fatal; il est dans le destin même de l'homme -- tout au moins de l'homme grec ou de l'homme issu de l'homme grec -- d'être tragique; en ce sens, le tragique est irréductible au dialectique, à la dialectique du maître et de l'esclave, à la dialectique de la relève ou du salut dans la parousie. Il est dans l'essence même du discours (tragique) d'être cet événement angoissant et inquiétant, d'être événement. Le partage tragique, qui est un passage à l'acte, s'accompagne du ravissement sublime, qui est l'agonie de l'acte dans l'extase, l'enthousiasme, l'emportement, l'envoûtement. Le plus tragique partage du sens est le partage quasi "mystique" (mystérieux et monstrueux) de l'animal et de l'homme; le plus sublime ravissement des sens est le ravissement véritablement mystique des femmes...

Qu'il n'y ait pas d'événement sans discours ni de discours sans événement ne doit pas égarer sur la nécessité de définir un événement, un événement un, et de le distinguer de l'événement. La tragédie est un événement, c'est un procès; mais un procès n'est pas nécessairement une tragédie : ce peut n'être qu'un drame (cynique ou ironique), voire une comédie, une parodie, une sinistre farce, une sordide mascarade donnant lieu aux plus morbides propos. Un incident ou un accident (mortel) peut être un drame; ce ne peut être une tragédie. Le procès n'est tragédie que s'il y a eu crime passionnel, meurtre, l'(ant)agoniste -- lui qui ne peut qu'être coupable d'avance -- étant alors voué à la peine de mort, à la prison ou à l'asile; en ce sens, le célèbre procès en direct d'O. J. Simpson n'a pas été une tragédie mais son simulacre... Lors d'un procès, quand l'attitude du jury, qui est une sorte de choeur (silencieux), est celle de la pitié, de la compassion, de la commisération, de la sympathie envers l'accusé, doué alors d'une certaine dignité, le verdict en sera un d'innocence; quand son attitude est celle de la crainte, de l'indignation, de la terreur, de l'horreur envers l'accusé, doué alors de la plus grande indignité et donc digne d'aucun respect, le verdict en sera un de culpabilité, le juge ne pouvant en ce cas-là que procéder à la sentence, à la condamnation.

Un procès a quelque chose de hautement rhétorique; il est à la fois discours de (la) passion et passion du discours. C'est ainsi qu'une tragédie, comme procès, est le discours de la passion, est une Passion. L'amour, comme passion, est un sacrifice, parfois un supplice. Une passion ne peut pas être (que) rhétorique; elle est esthétique : elle est tragique. Mais la rhétorique (juridique, oratoire), quand pathétique et pléthorique, quand pathos et plêthos, peut soulever les passions : bouleverser, enthousiasmer, captiver, transporter, ébranler, exaspérer, terrifier, stupéfier, foudroyer -- convertir (que ce soit une conversion mystique ou une conversion hystérique). Le daimôn (l'effrayant et l'inquiétant) est aussi un "deînôn" : il est deînos (terrible, terrifiant), parfois jusqu'à la deînôsis (l'indignation)...

Le daimôn, quand il devient foudroyant et flamboyant, tel Dionysos, est à la fois souterrain et souverain : le héros tragique est souverain; mais ce n'est pas nécessairement un héros de tragédie, d'une tragédie théâtrale; ce n'est pas nécessairement un héros-modèle, surtout quand le démon devient un monstre. Gilles de Rais n'est pas un tel héros : compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, Gilles de Rais a tué des dizaines, sinon des centaines, d'enfants (surtout des garçons) au XVe siècle; il s'est livré sur eux aux pires ignominies sexuelles et criminelles; il s'est vautré dans leur sang et en a joui souverainement jusqu'au rire et aux larmes, pervers au-dessus des lois, sous la seule loi de son désir fou, forcené, furieux, furibond.

Bataille

Bataille voit dans la vie de Gilles de Rais une véritable tragédie. Considérant, à la suite de Sade, que le crime est «le fait de l'espèce humaine», «le fait de cette seule espèce», Bataille pense que Gilles de Rais est un criminel tragique : «le principe de la tragédie est le crime, et ce criminel fut, plus qu'un autre, peut-être que tout autre, un personnage de tragédie». Sa tragédie est celle d'un Faust, mais d'un Faust enfantin et idiot, passionné de théâtre et de faste, de pompe et de luxe, se livrant aux manifestations publiques les plus somptueuses, sans aucun souci somptuaire, comme si l'ignominie de ses crimes était rachetée par l'étalage spectaculaire de ses richesses.

Pour Bataille, la volupté éprouvée par Gilles de Rais au cours de ses cérémonies secrètes n'est pas l'essentiel; c'est plutôt que dans le crime, il demeure essentiellement «une possibilité théâtrale, exigeant que le criminel soit démasqué, dont le criminel ne jouit que démasqué»; ainsi les crimes de Gilles de Rais n'ont-ils rien des sacrifices tout aussi cruels, au sommet des pyramides, des Aztèques. Héros tragique, héros shakespearien, ce monstre est prodigue, selon ses héritiers; il est même chrétien. Parfois appelé Barbe-Bleue ou confondu avec lui, Gilles de Rais est un «monstre sacré»; sa «monstruosité souveraine» connaîtra un dénouement de tragédie : la condamnation à mort. «Il y a dans l'évidence de la monstruosité une grandeur souveraine, que ne contredit pas l'humilité du malheureux criant l'horreur du crime».

Pervers polymorphe, tel un enfant, mais un enfant dont l'enfantillage est comblé par la fortune et la gloire et ainsi poussé à de «tragiques possibilités», Gilles de Rais s'a(ban)donne à son «indifférence souveraine», la souveraineté ayant l'équivalence du crime. Sa «niaiserie», son idiotie, «atteint, dans le sang, la grandeur tragique»; c'est la grandeur d'une monstruosité enfantine. Mais c'est aussi la tragédie de la féodalité de la noblesse, classe libérée du monde du travail et aux prises avec le monde des armes, monde dont la grossièreté est encore enrobée de la délicatesse de l'amour courtois, selon Bataille : de Rais est la vérité de la féodalité, la paresse et la dépense, poussée jusqu'à ses plus tragiques conséquences...

L'étouffement qui finit par marquer la tragédie de Gilles de Rais, son déclin, tient d'une véritable «hallucination théâtrale»; pour poursuivre ce qui est pour lui un monstrueux jeu, il lui faut dépenser, détruire ses biens, se ruiner dans la «magnificence funèbre». Les nobles ne comptent pas, ne calculent pas, ne mesurent pas, la démesure étant «le principe des guerres» dont se nourrit le monde féodal. La «source impure» de la vie de Gilles de Rais n'a d'égal que celle de la tragédie : «La tragédie est nécessairement impure, elle est d'autant plus vraie qu'elle est impure»; «sans la noblesse, sans le refus de calculer et de réfléchir (qui en est l'essence), il n'y aurait pas de tragédie, il n'y aurait que réflexion et calcul». Ce refus de calculer et de réfléchir chez Gilles de Rais est sa «profonde niaiserie», commandant le «refus brutal», sans lequel il n'y aurait pas de tragédie... Cette souveraineté est donc au principe du jeu tragique; elle «n'est pas seulement le principe des tragédies grecques, mais de la Tragédie personnifiée. La Tragédie est l'impuissance de la Raison» [en italiques dans le texte]. C'est donc dire que la violence humaine est tragique!

Selon Bataille, «[l]es crimes de Gilles de Rais sont ceux du monde où il les commit». Dans sa «brusquerie tragique», la ruine théâtrale joue un rôle obsédant, tragico-comique; c'est un jeu excessif : excès, dépense ostentatoire, gaspillage avec jactance ou potlatch, qui serait une valeur souveraine et «le principe de l'humanité primitive». Dans une sorte d'«hallucination tragique», Gilles de Rais est victime de sa jobardise; c'est un niais et un naïf, mais un «naïf démoniaque». Victime da sa décadence publique et politique de chef de guerre, il multiplie les victimes, vend son âme au diable et s'entoure de charlatans : «Une formule rend compte d'un mouvement qui est la tragédie personnifiée : la tête baissée dans l'impossible!»

L'événement ou le mouvement tragique aboutit à la mort spectaculaire (la pendaison, puis les flammes mais pas jusqu'aux cendres) de Gilles de Rais -- et son comportement, mais dans une moindre (dé)mesure, a peut-être été celui d'autres féodaux jusqu'au XVIIe siècle [cf. Fléchier] -- à une époque où la torture et le supplice étaient encore «un spectacle proposé au divertissement et à l'angoisse de la foule», tout supplice devant alors être spectaculaire et exemplaire : «La mort du supplicié était alors, au même titre que l'est, sur la scène, la tragédie, un moment exaltant et significatif de la vie humaine»; à la foule, «était promis comme l'est, sur l'affiche théâtrale, un spectacle de choix»... Dans des larmes de sang et dans un appel à Dieu, Gilles de Rais avait fini par avouer son insoutenable et insupportable turpitude, ses multiples turpitudes, non sans quelque désir de fasciner et de faire trembler, dans l'horreur, ses juges : «L'exhibitionnisme des criminels, compensant un souci de dissimulation, a généralement cet aspect : c'est par là que l'aveu est la tentation du coupable, qui, toujours, à partir du désastre qu'est le crime a la possibilité d'une flambée, désastreuse elle-même» [en italiques dans le texte].

Dans une «lumière souveraine», la tragédie exige «la souveraineté du criminel» : «en même temps qu'il est proposé à l'horreur, le criminel l'est à la sympathie terrifiée, à la compassion de ceux qui le regardent pleurer, qui pleurent avec lui». «Ce qui étreint, dans la mort de Gilles de Rais, c'est la compassion»; «sa mort fut l'occasion d'un faste théâtral» : après que son corps a été retiré du brasier et placé dans un cercueil par des «femmes de haut lignage», du château où on l'avait jugé jusqu'à l'église de l'office funèbre, «la procession d'une foule immense, que rythmaient les prières et les chants, conduisit le misérable, qui avait porté au dernier degré le mépris de ce menu peuple, qui le suivait, et qui, maintenant, pour lui, suppliait Dieu»...

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Dans son économie générale (ou sans réserve), Bataille propose que la richesse est l'énergie, qui est «la base et la fin de la production»; il y a toujours un excédent d'énergie, une «débauche d'énergie», et c'est le principe même de la vie, sous l'effet du soleil qui se perd sans compter, sans contrepartie. L'homme est un effet du surplus d'énergie et l'argent est une forme d'énergie permettant la délicatesse et sa transgression. La base de l'économie (restreinte ou générale) n'est donc pas l'accumulation mais -- vu l'«énergie excédante» et l'«effervescence de la vie», sa «folle exubérance» ou son ébullition : sa pression -- la consumation : le don, la dépense, le gaspillage, la générosité, la prodigalité, la dilapidation, la perte. Le problème fondamental de l'économie (générale) est alors, non pas la nécessité, mais le luxe, soit «la nécessité de perdre sans profit» dans l'agrément. Les trois principaux luxes de la nature sont : la manducation, la mort et la reproduction sexuée.

La pression (quantitative et qualitative) de la vie dans la biosphère, «seule limite réelle» de la croissance globale, conduit à l'extension des places par le travail et la technique, par l'extériorisation [cf. Leroi-Gourhan et sur ce même site : La vie/Histoire], ou à la dilapidation des joueurs, la déprédation des déprédateurs, par la mort. Dans l'«impersonnalité de la vie» et dans son «débordement par essence», la mort est le plus coûteux des luxes. La vie végétale, ne dépendant que du soleil, est évidemment moins onéreuse que la vie animale et, a fortiori, que la vie humaine. C'est par le travail que l'homme, l'Homo faber, se sépare de la nature : le monde profane et le temps profane sont celui du travail; il n'y a de travail que parce qu'il y a des interdits de nature, des interdits (ou des tabous) concernant la nature : la mort et la sexualité.

«La vérité des interdits est la clé de notre attitude humaine» : «sans le primat de l'interdit, l'homme n'aurait pu parvenir à la conscience claire et distincte, sur laquelle la science est fondée»; «l'homme est un animal qui demeure "interdit" devant la mort, et devant l'union sexuelle». Les interdits ne sont pas imposés du dehors et ils ont pour objet fondamental de contrer, faute d'éliminer, la violence : la violence de la mort et la violence de la sexualité -- la part maudite. Les interdits entourant la mort concernent le mort, le cadavre et ce qui s'y apparente (les excrétions), et le meurtre. Devant la nature (la décomposition, la pourriture, l'ordure, la saleté), devant son animalité, l'homme ne peut éprouver que la nausée (dégoût, répugnance, écoeurement, effroi, horreur) : Freud avait bien fait remarquer que la station verticale de l'homme diminue l'acuité de son odorat; mais, en même temps, la nausée -- le dégoût des ordures et des odeurs naturelles qui atteint son summum en toute société parfumée et aseptisée -- en face de l'animalité contribue à la station verticale et, de là, à l'oralité...

Par la sépulture (inhumation ou non), le mort (le cadavre comme image du destin de chacun) est arraché à la nature -- «l'humanité s'arrache à la nature dans la nausée», le «naufrage dans le nauséeux» -- et mis à l'abri des animaux, des prédateurs terrestres tout au moins; est ainsi évitée la contamination, la contagion de la violence : les vivants sont mis à l'abri de la contagion du mort. Les morts ne peuvent plus alors agir sur les vivants : ils doivent céder la place aux vivants, comme les pères aux fils. «L'interdit qui s'empare des autres à la vue du cadavre est le recul dans lequel ils rejettent la violence, dans lequel ils se séparent de la violence» [en italiques dans le texte]. L'horreur de la dépouille -- l'expérience limite de la décharnation -- est en même temps «le signe de la violence et menace de contagion de la violence». Le travail est ordre et raison; la violence (de la mort et de la sexualité) est désordre et passion.

Il y a aussi des interdits entourant les excrétions ou impliquant tout au moins une série de précautions, de l'ordre de la bienséance ou du respect comme «détour de la violence» [en italiques dans le texte], qui font que la satisfaction des besoins naturels, comme les relations sexuelles (nonobstant les spectacles pornographiques), a lieu dans le secret, plus ou moins à l'abri des regards. L'interdit touchant la défécation, les déjections ou les évacuations alvines, est plus fort que celui touchant la miction. Étant donné la proximité, voire la quasi-identité, des organes excrétoires et des organes génitaux, ces interdits de propreté tiennent aussi des interdits sexuels, comme les interdits (ou les phobies) réglant le sang menstruel et le sang de l'accouchement, le sang étant le signe ou le signal de la violence et la souillure (l'infection, la virulence) étant un effet de la violence : «Il est clair que nous sommes fâchés de sortir de la vie, de la viande, de toute une immondice sanglante» et que c'est la matière vivante qui est l'objet de notre dégoût... Quant à l'interdit du meurtre, il est pour Bataille, le pendant des interdits entourant le mort, de l'attitude humaine envers les morts, le contact des cadavres : «L'interdit du meurtre est un aspect particulier de l'interdit global de la violence» -- à moins que l'interdit des cadavres ne soit lui-même la prolongation de l'interdit du meurtre?...

Selon Bataille, le travail, la conscience de mort et la sexualité contenue remontent à la même époque. Les interdits sexuels tournent autour de l'interdit de l'inceste. Par rapport à la position de la psychanalyse, la position de Bataille est ambiguë ou ambivalente : parfois, à la suite de Freud, il suppose que c'est l'essence de l'homme et que c'est l'interdit conduisant à l'échange ou au don des femmes (l'exogamie); parfois, à partir de la théorie du don (et du potlatch) de Mauss -- don qui est le contraire de l'animalité («renonciation», «interdit de la jouissance animale, immédiate, sans réserve») et aussi «substitut de l'acte sexuel» --, il propose que le don des femmes, don profitant au donateur plutôt qu'au donataire, conduit à l'exogamie et à la prohibition de l'inceste, prohibition qui n'est alors qu'un aspect de l'interdit sexuel ou qui n'est que la conséquence et non la cause des «formes nouvelles de sexualité» : «C'est apparemment un sentiment lourd de l'acte génésique, que ne connaissent pas les animaux, qui porta nos premiers ancêtres à l'exclure de la vie proprement humaine (si l'on veut, de la vie en groupes)» [souligné ici]. «L'inceste est le témoignage premier de la connexion fondamentale entre l'homme et la négation de la sensualité, de l'animalité sensuelle» : «L'interdit de l'inceste est l'un des effets de la nausée qu'eut de sa condition bestiale l'animal qui devenait humain». En fait, il y a un interdit, l'interdit de l'infeste (dont Bataille ne parle pas directement), qui fonde l'interdit du meurtre et l'interdit de l'inceste : la violence, c'est l'infeste (l'infect, l'infectieux) [cf. sur ce même site : La vie/Métapsychologie].

Le monde impur du travail est donc le monde des interdits contrant la violence du désir (la sexualité, l'inceste) et le désir de la violence (la mort, le meurtre); le monde pur du jeu est le monde des transgressions : il n'y a pas d'interdit sans transgression et pas de transgression sans interdit; il y a «nécessité de l'interdit et de sa transgression». Par rapport au temps du travail, qui limite la sexualité, il y a donc une part maudite, un domaine ou un temps maudit par excellence, celui de la transgression, qui a lieu dans un monde sacré : «L'esprit de la transgression est celui du dieu animal qui meurt, de ce dieu dont la mort anime la violence et que ne limitent pas les interdits frappant l'humanité»...

L'interdit donne de la valeur, une valeur sexuelle ou érotique, à l'objet de l'interdit; l'objet est «désigné par l'interdit même à la convoitise» : «c'est l'interdiction qui pèse sur lui qui l'a désigné au désir» [cf. Girard]; il y a «don paradoxal de l'objet de convoitise», le désir ayant pour objet la perte et le danger. Dans l'exubérance du don ou la dépense des ressources -- et l'acte sexuel est un «don d'énergie exubérante» --, «le respect, la difficulté et la réserve l'emportent sur la violence»; mais «[l]e renoncement souligne réciproquement la valeur séduisante de l'objet».

Le jeu de la balance de l'interdit et de la transgression, la «création paradoxale d'attrait» par l'interdit ou l'horreur, est la racine ou l'origine, le ressort, de l'érotisme et de la religion : «la transgression lève l'interdit sans le supprimer», elle le relève, en assure la relève; «l'interdit est là pour être violé». En somme, «l'interdit engage à la transgression»; mais «[c]'est la transgression de l'interdit qui envoûte». Il y a «profonde complicité de la loi et de la violation de la loi», entre «le respect de la loi et sa violation»; mais il n'y a pas d'expérience dans le respect de la loi. Pour Bataille, considérer la transgression comme un objet, du dehors, comme une névrose par exemple, c'est lui donner un sens mineur (classique) et non un sens majeur (archaïque).

«La transgression de l'interdit n'est pas la violence animale». La transgression doit maintenir l'interdit pour en jouir, mais dans l'épreuve de l'angoisse, «l'expérience du péché», sans laquelle il n'y aurait pas d'interdit : «L'expérience intérieure de l'érotisme demande de celui qui la fait une sensibilité non moins grande à l'angoisse fondant l'interdit, qu'au désir menant à l'enfreindre. C'est la sensibilité religieuse» qui lie toujours étroitement le désir et l'effroi, le plaisir intense et l'angoisse [en italiques dans le texte] : «L'interdit observé autrement que dans l'effroi n'a plus la contrepartie du désir qui en est le sens profond». Pour Bataille, l'angoisse, le dépassement de l'angoisse, constitue l'humanité; mais «[l]'angoisse élémentaire liée au désordre sexuel est significative de la mort» -- et la volupté, dans «l'angoisse mortelle», est plus profonde... La violence étant «l'effet, non pas d'un calcul mais d'effets sensibles : la colère, la peur, le désir», une émotion négative conduira à l'observation (observance, obéissance) de l'interdit et une émotion positive à sa transgression. La transgression est donc reliée à l'angoisse, à l'effroi ou à l'horreur, ainsi qu'à la honte et à l'excès, «où la violence l'emporte sur la raison» et où elle effraie mais fascine, ou au mal : à la malédiction comme «condition de la gloire du meurtrier».

Bataille voit dans le mariage, comme passage et non comme état, comme noce(s) ou comme rite, une forme de transgression de l'interdit sexuel ou d'infraction à la règle de l'interdit, le mariage étant à la fois pureté et intérêt, générosité et avarice, sensualité et interdit de sensualité; c'est donc un compromis entre l'activité sexuelle et le respect mutuel : c'est au départ une sorte de luxe, dont le jambage, le droit de jambage ou de cuissage, est une preuve ou un résidu, un reste. -- On peut se demander si le jambage, poussé jusqu'à la consommation, n'aurait pas été aussi une manière de traiter (le sang) du dépucelage... Le mariage est une transgression minimale, alors que l'orgie est une transgression maximale; les deux sont de l'ordre de la fête : des «licences rituelles» [Caillois]. Fondée par la dilapidation, l'explosion rendue nerveuse par la compression, la fête est «le point culminant de l'activité religieuse». Elle n'est pas seulement retournement de la nausée, qui est un mouvement vers l'autonomie par rapport à la nature, et retour au «vomi» ou à la «saleté» de l'animalité : «Ce que la fête libère n'est pas la simple animalité mais le divin» [en italiques dans le texte], dans l'échec de la négation de l'animalité.

Le monde divin de la fête est le monde sacré, consacré : «L'interdit, le tabou ne s'opposent au divin qu'en un sens, mais le divin est l'aspect fascinant de l'interdit : c'est l'interdit transfiguré»; le monde (du) sacré est le monde de la transgression mais aussi de l'interdiction que la transgression présuppose : le sacré est «le saut dans l'inconnu dont l'animalité est l'élan» [souligné ici]; «est sacré ce qui est l'objet d'un interdit». Dans le sacré (continu), l'animalité rejoint la divinité et elle nie le monde profane (discontinu) du travail, même si «la vie profane prolonge la vie animale»; à la vie profane, échappent «l'animalité sacrée», qui a aussi horreur de la nature ou de «l'animalité première», ainsi que la guerre, l'amour et la souveraineté politique. À cause de la connexion de l'horreur et du désir ou de l'attrait, d'un «état de fascination angoissée», le monde sacré a un caractère paradoxal : «l'horreur de l'interdit maintient dans l'angoisse de la tentation»; il y a une «force de répulsion et d'attraction du répugnant», sauf dans l'horreur excessive ou l'horreur de la pourriture, horreur qui paralyse ou coupe le désir; mais «[p]lus l'horreur est difficile à tolérer, plus elle est désirable»...

Les interdits -- qui ne sont pas rationnels, mais qui profitent à la raison par le travail -- sont violés selon des règles organisées ou prévues, selon des rites réglant ou régissant le culte, le service du culte, la liturgie sacrée : les règles de la discipline prévalent sur les normes ou les dogmes de la doctrine. Le rite fondamental, «le rite sanglant» et «l'acte religieux par excellence», est le sacrifice comme jeu et comme source ou paroxysme de la fête : festins, repas totémiques, délires rituels ou orgies rituelles, où il y a «fusion illimitée» et, dans la contagion, «levée générale - résolue et sans réserve - des limites»; c'est, dans la «fureur animale» ou la furie et dans le vertige, «la folie du sacrifice» : «Le sacrifice est un roman, c'est un conte, illustré de manière sanglante. Ou plutôt, c'est, à l'état rudimentaire, une représentation théâtrale, un drame réduit à l'épisode final, où la victime animale ou humaine, joue seule, mais joue jusqu'à la mort».

Le sacrifice est la transgression de l'interdit du meurtre (par la représentation d'un crime, d'un mythe), comme le duel ou la vendetta (la pratique de la mafia) et comme la guerre : «sans l'interdit du meurtre, la guerre est impossible, inconcevable»; comme le travail, la guerre est organisée : elle est violence organisée. «L'assassinat relève de l'ignorance ou de la négligence de l'interdit»; il est donc criminel. Mais c'est un crime qui n'est pas passible de la peine capitale : «La mise à mort est la transgression de l'interdit du meurtre. En son essence, la transgression est un acte sacré. La mise à mort légale est profane et comme telle inadmissible», répète Bataille après Sade... Dans le sacrifice donnant lieu au rire et aux larmes, le bourreau et la victime se (con)fondent : «Le sacrifice détruit ce qu'il consacre»; il est fait d'angoisse et de frénésie, celle-ci étant plus puissante que celle-là parce que liée à la perte, ce «moment décisif de la religiosité». Dans la primitive indifférenciation de l'humain et de l'animal ou de l'animal et du divin, les sacrifices animaux ont sans doute précédé les sacrifices humains; d'une manière ou d'une autre il y a toujours «sacrifice de substitution» [cf. Girard].

Comme «côté néfaste [impur] de la religion», l'orgie (satanique) -- et le culte de Dionysos est sans doute à l'origine du satanisme, le diable seul gardant l'animalité pour attribut (la queue, qui est aussi le sexe du père, dirait Freud) -- inverse la forme majestueuse (pure) du monde sacré dans sa forme maudite (impure); le maléfice répond alors au sacrifice, le sacrilège au scandale, le délice au supplice, le mystère au miracle. «Le principe de la profanation est l'usage profane du sacré» [souligné ici]. Le sexe -- l'amour et le désir, les organes génitaux, la différence sexuelle et l'activité ou la pratique sexuelle (avec ou sans reproduction) : le "cul" -- est inséparable, la tendresse n'y changeant rien selon Bataille, de la mort dans l'excès, la mort étant l'excès par excellence (l'affreux, le renversant et le terrifiant, mais aussi le merveilleux, le solennel et le fascinant); de là, la petite mort qu'est l'orgasme -- l'extase comme dépassement de l'horreur et accord avec l'excès, la «volupté sensuelle» et le «ravissement religieux»...

Pour Bataille, la possession d'une femme, l'acte d'amour, est un sacrifice, la chair étant commune aux deux et la femme étant au centre de l'érotisme; l'homme, lui, est plutôt un animal de travail et de guerre. Dans l'étreinte, il y a confrontation de l'érotisme, qui s'est développée à partir de la sexualité illicite ou honteuse (domaine interdit et maudit) et de la mort, de l'animalité et de l'anticipation de la mort (la corruption, la décomposition, la «purulence de la vie anonyme», la «fermentation universelle de la nature» comme signe repoussant). Dans le «dégoût que nous avons de l'animalité du sexe» (les odeurs, les poils, les odeurs du système pileux, de la chevelure à la toison), il y a l'attrait angoissant du mal, du mal souverain, du souverain mal qui est source d'érotisme, du mal pour le mal dans toute sa divinité : «Le vice est la vérité profonde et le coeur de l'homme» [en italiques dans le texte]. De là, le commerce avec les prostituées, à cause de leur animalité souveraine (de leur nudité à leur obscénité, en passant par leur vénalité : leur goût des vêtements et des bijoux, de l'inutile, du luxe plus que de la luxure). La prostituée, dans et par sa beauté et son oisiveté, attire les dons; dans la «fascination dangereuse» ou le «désir vertigineux», dans l'obscénité de l'«animalité naturelle» dont l'horreur est fondatrice, dans son indécence, la prostituée est la figure même de la mort : elle est «un objet mort» et «le point mort du déchaînement des passions» [en italiques dans le texte].

Tel que Lacan l'enseigne à propos d'Antigone, la beauté «est, dans l'objet, ce qui la désigne au désir» : «le désir a pour objet le désirable»; «l'objet du désir est d'abord la beauté féminine» dans la fulguration ou l'obstination du désir. La «figure attrayante de l'érotisme» est la même pour les hommes et les femmes, c'est la «nudité féminine» : c'est l'union de la beauté féminine et de l'obscénité animale qui distingue l'objet du désir. En même temps que la beauté (de la femme), qui est un signe du souverain, éloigne du travail et de l'animalité, elle «annonce un aspect animal plus lourdement suggestif» : l'annonce des «parties honteuses» (pileuses). «La beauté négatrice de l'animalité, qui éveille le désir, aboutit dans l'exaspération du désir à l'exaltation des parties animales». À tort ou à raison -- Freud, lui, y verrait l'horreur ou la peur de la castration --, Bataille parle de «l'animalité hideuse des organes» : «Personne ne doute de la laideur de l'acte sexuel. De même que la mort dans le sacrifice, la laideur de l'accouplement met dans l'angoisse»; mais plus il y a d'angoisse, plus il y a de «transport de joie», de volupté donnant raison à l'angoisse, l'essence de l'érotisme étant la souillure : «Plus grande est la beauté, plus profonde est la souillure» -- serait-ce à cause du rabaissement de l'objet?

Pourtant l'acte sexuel est «à la base de l'édifice social», même si l'érotisme, dans sa sainteté («le sens de la mort» : «à hauteur de mort»), laisse dans la solitude, dans l'isolement. Ce qui fait «qu'en matière d'érotisme, ce sont les ascètes qui ont raison», eux qui, dans la chasteté et la décence, ne succombent pas au «piège du diable» qu'est la beauté! Pour Bataille, la clef de l'érotisme, de la «fièvre érotique», n'est pas en fin de compte le désir ou le plaisir, la volupté ou la perversité, la joie ou la douleur, la jouissance ou la souffrance, mais la défaillance, la fêlure : il n'y a pas d'érotisme sans angoisse, sans sentiment de culpabilité, tel que Baudelaire l'enseigne. -- Mais ne serait-il pas aussi possible d'envisager l'acte sexuel (l'excitation, l'érection, la pénétration) comme donnant la certitude -- certitude souveraine ou despotique : «Il n'est point d'homme qui ne veuille être despote quand il bande : il semble qu'il a moins de plaisir si les autres paraissent en prendre autant que lui» [Sade : cf. JML. «La philosophie à coups de boutoir». Moebius # 41 : "Le rituel". Montréal; automne 1989 (156 p.); p. 119-126] -- d'être en vie, tout contre la mort?...

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Comme l'érotisme et le sacrifice, la tragédie est une affaire de mort et de sexe, de transgression de l'interdit du meurtre et de transgression de l'interdit de l'inceste; il y a ici comme là «tristesse de mort» dans l'angoisse sexuelle. Le dénouement de la tragédie, comme celui du combat, ne peut être que l'impasse ou la violence; le propre de la tragédie est «le silence qui la suit» : elle met un terme au discours et enseigne le silence. En ce sens, le tragique est à la fois érotique et exotique, ésotérique -- mystique!... La tragédie dégage un «halo de terreur sacrée» proche du «néant de décomposition, par rapport à l'immense abandon des passions désordonnées». La tragédie n'est pas la mise en scène (ou en ob-scène) de l'anxiété de la raison mais de l'angoisse de la passion.

Comme le plus simple récit, la tragédie «a le plus d'attrait quand le caractère du héros le mène de lui-même à sa perte» : «Plus le héros approche de la divinité, plus sont grandes les pertes au-devant desquelles il va, et plus grands les dangers qu'il encourt volontairement» -- on ne pourrait mieux dire d'Oedipe! Comme la comédie et le «roman authentique», la tragédie répond au désir de l'homme de «[se] perdre - tragiquement, comiquement - dans le vaste mouvement où sans fin se perdent les êtres». Horreur sacrée qui fascine, la tragédie parle à la passion. Dans la plus grande énergie qui pousse l'homme à chercher l'arrachement de la tragédie, il y a la collision de la mort et de l'angoisse d'une part et de la jeunesse et du (re)jaillissement d'autre part.

Le tragique est affaire de rires et de sanglots, de larmes et de sang; mais il y a des rires qui font trembler, comme celui de Gilles de Rais : «Parfois le rire, à partir de l'érotisme, a perdu le pouvoir de délivrer de la tragédie : il peut, dans d'autres circonstances, en porter l'horreur à son comble». Il y a une «complicité du tragique - que fonde la mort - avec la volupté et le rire». Les transports érotiques eux-mêmes sont tragiques : Éros est un dieu tragique! Le culte de Dionysos a été tragique et érotique et c'est dans une «horreur tragique» que l'érotisme a achevé de faire entrer le culte dionysiaque. La profondeur de l'érotisme est horrible, tragique, inavouable, divine; ainsi vaudrait-il mieux parler de tragique érotisme plutôt que d'érotisme tragique. Comme le sacré, le tragique a quelque chose de monstrueux, d'immonde -- d'im-monde...

Mais l'événement tragique lui-même, le passage de l'animal à l'homme, est une tragédie ou un drame qui n'a rien de formel et il a été donné en une fois, même s'il implique des péripéties; car ce drame est une «décision sans retour», un passage de l'inauthentique à l'authentique ayant l'importance du premier pas qui, tel que chez Heidegger, est le plus inquiétant : le plus renversant et le plus glorieux. «L'érotisme, c'est essentiellement, dès le premier pas, le scandale du renversement des alliances»; Mais l'érotisme peut aussi être l'analogue d'une tragédie, «où l'hécatombe au dénouement rassemble tous les personnages», la tragédie étant elle-même exigée par la prétention de l'apparat et de la magnificence, le luxe -- dont «l'élément naturel» est la proximité de la mort -- étant «l'apanage de la tragédie»; sinon, c'est la comédie (bourgeoise), où le «rang social» exclut «tout caractère tragique».

Bataille est sans doute le premier ou le seul -- avant l'auteur de ses lignes -- à avoir tenté de repousser les frontières du tragique en deçà de la tragédie, en deçà de l'Antiquité, où le sujet se fait individu ou l'individu personne juridique (d'Athènes à Rome, par le droit) : en deçà de l'antique, il y a l'archaïque. C'est ainsi que, dans sa réflexion sur l'érotisme et sur «les richesses de la religion et de l'art» fondées par «la vie "à hauteur de mort"», il se tourne, non seulement vers l'art théâtral, mais vers l'art pariétal. Malgré des données paléontologiques parfois désuètes ou datées et des carences en éthologie (mais pas en ethnologie), malgré aussi un certain ethnocentrisme, voire un ethnocentrisme certain (au sujet de la nudité et du nudisme, par exemple), il a bien vu que l'origine est toujours plus ancienne qu'elle n'apparaît et que le plus grand -- le sublime -- est dans le commencement et le recommencement.

Comme l'art théâtral, l'art pariétal est tragique; ce n'est pas la magie de la chasse [cf. Breuil], donc l'avidité, qui fonde l'art pariétal, mais l'émotion; c'est le miracle : «cette attente de miracle, qui est, dans l'art ou dans la passion, l'aspiration la plus profonde de la vie». L'Homo sapiens (l'Homme de Cro-Magnon) ou l'Homo ludens est à l'Homo faber -- que Bataille confond avec l'Homme de Néantderthal et qui est en fait l'Homo habilis et l'Homo erectus -- ce que l'art (le jeu, la fête) est au travail, les deux ayant en commun un certain outillage (une technologie) et une technique. Pour l'homme du Paléolithique supérieur, la chasse n'est pas vraiment un travail : «humaine par les armes» (sorte d'outils), elle est la prolongation de l'activité animale dans la capture, qui peut être ou non le prélude du sacrifice; «c'est la coutume de la capture suivie de la mise à mort qui lie l'origine du sacrifice à la chasse plutôt qu'à l'élevage». Il n'est pas sûr non plus, selon Bataille, que le sacrifice ait précédé la naissance de l'art; peut-être même que les figurations animales sont à l'origine de l'institution du sacrifice, l'émotion équivoque ou tragique suscitée par l'apparition de la bête pouvant être suivie d'un «simulacre de mise à mort». En fait, «l'animalité des cavernes peintes et la sphère du sacrifice ne peuvent se comprendre l'un sans l'autre».

D'ailleurs ou par ailleurs, le chasseur se distingue mal de l'animal -- le prédateur s'identifie à sa proie -- et il ne distingue sans doute pas les animaux des dieux; de là, les totems. Comme «il est certain que l'humanité archaïque n'a pas toujours eu la certitude de différer de l'animalité», ce n'est pas non plus «l'usage de la raison qui donna aux hommes le sentiment de n'être pas des animaux» : c'est l'observation d'interdits conduisant au «reniement de l'animalité» en changeant la manière de l'homme de satisfaire «ses besoins animaux». Il y a d'ailleurs «retour à l'animalité», par la transgression, dans la souveraineté et l'érotisme. Les chasseurs préhistoriques, ces «hommes souverains dont l'humanité se déguise sous le masque de l'animal» ou dans «le sentiment de la divinité animale», considéraient les animaux comme leurs semblables : un interdit du meurtre des animaux, corollaire de l'interdit du meurtre de l'homme, n'est pas impensable, même si sa transgression par la chasse a pu avoir l'ampleur de l'organisation de la guerre, qui a suivi.

Les cavernes ornées (peintes ou gravées, parfois avec des modelages et des bas-reliefs) sont sacrées -- ce sont des sanctuaires et non pas des abris -- et elles inspirent une terreur sacrée dans leur obscurité religieuse; ce sont «des lieux propices à l'angoisse des cérémonies sacrées», à l'«horreur religieuse». C'est dans l'apparition et son équivoque, l'apparition de l'animal sur la paroi, que Bataille voit le lien de l'art pariétal avec la sphère du sacrifice, du «festin sacrificiel»; la figuration n'est pas d'abord magique et, s'il y a action magique, elle ne peut résulter que d'une «émotion religieuse, équivoque, riche de l'intensité dramatique des sacrifices»... Sous le masque de l'animal, il y a la figuration humaine, des «figurations émouvantes», l'apparition de l'animal appelant «l'attitude sacrificielle» et la figuration animale étant finalement divine, dans un monde archaïque où il y avait opposition de l'animalité-divinité et de l'humanité, et non de l'animalité et de l'humanité-divinité comme dans le monde moderne. Des passions ou des émotions liées à la mort, dérivent autant le travail que le jeu, autant les larmes tragiques que le rire comique; ainsi un amour qui prête à rire peut-il être d'autant plus angoissant, d'autant plus tragique. L'art tragique (pariétal ou théâtral) a donc un «sens émouvant» (esthétique) avant d'avoir un «sens utilitaire» (éthique).

Pour Bataille, l'objet de l'art, art qui est une forme de jeu, est «la création d'une réalité sensible modifiant le monde dans le sens d'une réponse au désir de prodige, impliqué dans l'essence de l'être humain». Comme le sacrifice, l'art (poésie, musique, danse, tragédie, peinture) est une forme prodigieuse de la transgression, étant de l'ordre de la chance et non du mérite, étant une fin (sacrée) et non un moyen (profane). Avec l'art préhistorique, il y a passage de l'animal à l'homme (Homo sapiens sapiens) et cet art rend justement sensible ce passage par une «image poétique»; il y a eu «effacement de l'homme devant l'animal, à l'instant même où l'animal en lui devenait humain». L'acte d'exécution, le geste et la geste de l'apparition, primait sans doute sur l'image elle-même dans la célébration d'un rite d'évocation et d'expiation bien plus que de purification ou de purgation.

Aussi est-il possible de proposer ici que l'art ou le langage pariétal -- cette écriture avant la lettre ou cette (pra)grammatique -- est un dispositif théâtral, un dispositif tragique; de l'art pariétal, il ne nous reste plus que les dispositifs théâtraux. Est disparu le spectacle; sont disparus les acteurs ou les spectateurs : est disparu l'événement. Si l'on fait comme si la grotte était un théâtre, le décor est fourni par les figures, les indications de mise en scène ou les didascalies par les signes, l'atmosphère par le jeu de la lumière et de l'obscurité, le choeur par les spectateurs -- qui sont des acteurs : il n'y a pas de public -- et le protagoniste, identifié ou non avec le coryphée, par un sorcier ou un chaman jouant le rôle d'un "maître de cérémonie", d'un guide, d'un initiateur ou d'une victime émissaire -- Boal parlerait d'un "joker" ou d'un "jockey", voire d'un "disc-jockey" si l'on tient compte de la caverne comme espace musical.

Le caractère informe et infirme des figures anthropomorphes, par rapport au caractère hautement stylisé des figures zoomorphes, a sans doute quelque chose de lié à un interdit de représentation et à la représentation d'un interdit : un interdit par le protagoniste, le sujet (ant)agoniste, ou un interdit sur le protagoniste (sacrificateur, victime d'un sacrifice ou bouc émissaire), un interdit portant sur la représentation et sur le représentant (que ce soit lui ou non l'exécutant des représentations). Quant aux tracés, qui ne sont ni des figures ni des signes (les macaronis, par exemple), ils ont peut-être quelque chose à voir avec l'action des spectateurs, avec leurs réactions lors de la ritualisation, lors du spectacle de l'initiation, dont l'avènement ne serait pas le dispositif pariétal impliquant des "décorateurs" et des coulisses, mais le dispositif "théâtral" impliquant un choeur sans auditeurs, le dispositif étant le véritable sujet, le sujet même, et le sujet étant lui-même un dispositif plutôt qu'un individu [cf. JML. «Le rythme de l'énoncé et le rythme de l'énonciation du dispositif pariétal dans l'art rupestre paléolithique» et «De la mort de l'auteur à la naissance du sujet de l'énonciation» dans Le sujet (p. 131-145 et p. 155-169); sur ce même site : La vie/Préhistoire].

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Étant donné que «la part maudite» (la dilapidation, la dissipation, la prodigalité, la dépense, la perte) est aussi une part perverse, en ce qu'elle détourne de la reproduction -- et c'est la plus stricte définition de la perversion --, le caractère pervers ou non économique de l'économie générale de Bataille ne doit pas aveugler -- comme elle semble avoir aveuglé ou égaré (abusé) Foucault, par exemple, dans son Histoire de la sexualité --; mais cette économie doit aussi éclairer, comme elle semble avoir éclairé Derrida, Girard -- qui ne reconnaît pas sa dette -- et Lacoue-Labarthe. L'économie générale est une alternative à l'économie restreinte : à l'économie de la (re)production du marxisme et à la biologie de l'évolution du (néo-)darwinisme, puisqu'il faut aussi «introduire le point de vue des excédents en biologie» même. La religion elle-même, qui «commande essentiellement la transgression des interdits», est «l'agrément qu'une société donne à l'usage des richesses excédantes : à l'usage ou mieux à la destruction (du moins de sa valeur utile)»; c'est ainsi que le christianisme est peut-être la moins religieuse des religions... L'économie restreinte traite seulement des objets profanes (maniables, accessibles, disponibles); l'économie générale traite des objets profanes et des objets sacrés (interdits) : c'est une économie religieuse, divine.

«[A]pprobation de la vie jusque dans la mort», l'érotisme -- et donc l'animal érotique qu'est l'homme, qui est le seul à avoir pu faire de son activité sexuelle une activité érotique : «Le désir de l'érotisme est le désir qui triomphe de l'interdit» -- a pour fondement l'excédent d'énergie, la richesse et ainsi une autre forme de reproduction : «La reproduction met en jeu des êtres discontinus» [en italiques dans le texte]; les êtres sont séparés par un abîme de discontinuité : en un sens, par la mort (vertigineuse, fascinante), qui a cependant «le sens de la continuité de l'être»; «la reproduction mène à la discontinuité des êtres, mais elle met en jeu leur continuité, c'est-à-dire qu'elle est intimement liée à la mort». S'il y a un instant de continuité entre deux êtres, c'est dans la mort.

Dans les trois formes de l'érotisme : «l'érotisme des corps» (ou «l'érotisme noir» du péché), «l'érotisme des coeurs» et «l'érotisme sacré» (ou l'érotisme des âmes, en somme) -- «mais tout érotisme est sacré», ne serait-ce que d'avance par la victime (sacrée, humaine, féminine) --, il y a des êtres discontinus qui s'unissent et connaissent ainsi un certaine continuité dans la mort, dans la petite mort; cette fusion est «mortelle pour chacun d'eux». Dans l'érotisme, il y a donc la nostalgie de durer, de substituer à «l'isolement de l'être, à sa discontinuité, un sentiment de continuité profonde», l'activité sexuelle étant donc une «crise de l'isolement», dont le fondement est la pléthore (la surabondance, l'excès, l'extase, la transe : la «crise séparatrice»); c'est une «crise de l'être», une «mise en jeu de l'être», où le «sentiment de soi», qui est un «sentiment de ses limites», est le «sentiment d'un être discontinu», mais dont la discontinuité est aussi le «sentiment des autres» : il y a «pléthore de l'autre» : état de crise «où l'un comme l'autre est hors de soi». Mais, l'érotisme s'éloignant en apparence de «son essence qui le lie à la nostalgie de la continuité perdue», il n'y a quand même pas d'érotisme sans conciliation : «[d]u désir et de l'amour individuel, de la durée de la vie et de l'attirance vers la mort, de la frénésie sexuelle et du soin des enfants»...

La violence (la violence sacrée du jeu) est à la raison (la raison profane du travail) ce que la continuité est à la discontinuité. La violence élémentaire, ou «une violation de l'être constitué» dans la discontinuité, amorce «les mouvements de l'érotisme»; cet «arrachement [le contraire d'un attachement] de l'être à la discontinuité est toujours le plus violent» [cf. Heidegger] : «Le plus violent pour nous est la mort qui, précisément, nous arrache à l'obstination que nous avons de voir durer l'être discontinu que nous sommes». Il y a donc un balancement entre la nostalgie et l'attente, entre l'ennui et l'envie, entre la curiosité et la générosité. La nostalgie (de durer) a quand même quelque chose d'un deuil : ayant un objet perdu, c'est une passion objective, comme l'attente; tandis que l'ennui tout court est une passion subjective, comme l'envie (d'être et non d'avoir)...

Dans la dissolution, la vie dissolue, l'activité érotique est active (masculine) ou passive (féminine); il y a alors «fusion de deux êtres parvenant au même point de dissolution» : «C'est essentiellement la partie passive, féminine, qui est dissoute en tant qu'être constitué»... Surtout dans l'orgie, «[l]e sens dernier de l'érotisme est la fusion, la suppression de la limite», par la position d'un objet du désir, d'un objet érotique (et non narcissique), les femmes étant les «objets privilégiés du désir» dans leur manière de se proposer et de se dérober au désir, dans la parade du désir et dans (la modestie de) la dérobade.

Même si la chasteté (la virginité) est un aspect ou un moment de l'érotisme, «[l]'action décisive est la mise à nu», la nudité s'opposant à l'état fermé de l'existence discontinue. Suit l'obscénité qui, dans la «lumière lugubre» du crime, dérange «la possession de l'individualité durable et affirmée», qui -- dans la dépossession donc et dans le simulacre de la mise à mort, par l'acte d'amour sacrificiel comme destitution ou destruction -- dérange le principe d'individuation. Il s'agit de dissoudre, dans la «fascination fondamentale de la mort» les formes constituées : «l'ordre discontinu des individualités définies que nous sommes»; la mort est la «rupture de cette discontinuité individuelle à laquelle l'angoisse nous rive». À la «discontinuité persistante» des êtres, au principe d'individuation en quelque sorte comme principe de régularité, est substituée une «continuité merveilleuse», un principe d'irrégularité, qui, dans la violence ou la passion et la souffrance ou dans le trouble ou le dérangement et le tremblement, remet en question ledit principe. Il y a déroute ou débandade du principe d'individuation dans la religion et l'érotisme, dans la fête et le sacrifice (de mort ou d'amour), dans le rire et les larmes.

Mais la continuité est «surtout sensible dans l'angoisse», la continuité étant inaccessible; de là, l'impuissance et la souffrance, qui peuvent aller jusqu'à la furie du meurtre ou du suicide (dans l'anéantissement de l'objet ou par et pour l'objet), selon le mouvement de balancier du sadisme et du masochisme, le sadisme (la pulsion de mort) révélant ou relevant «la connexion extérieure de la naissance et de la mort» et réduisant leur opposition ou pouvant pousser la petite mort jusqu'à la seconde mort [cf. Lacan]... La souffrance en face de l'être aimé, être dont la signification est révélée dans la souffrance, met en jeu «le sentiment d'une continuité possible»; mais la passion, désignée par «un halo de mort», engage dans la souffrance parce qu'elle engage dans l'impossible : «nous souffrons de notre isolement dans l'individualité discontinue», de «la menace d'une séparation» (avec ou sans jalousie). Quand s'installe l'habitude ou «l'égoïsme à deux», c'est une nouvelle forme de discontinuité : d'isolement -- d'ennui.

Dans l'être aimé, l'amant voit «la transparence du monde», «la vérité de l'être», «la simplicité de l'être», «le fond de l'être», «la continuité de l'être» que la mort n'atteint pas mais manifeste. Que quelque chose soit sublime en l'homme est «le principe de l'être». La mort, dont «la vérité dernière» est la reproduction asexuée, supprime «la discontinuité individuelle» et, dans la fusion, dans la fécondation, retrouve la «continuité perdue», la «continuité égarée» -- ce qui ne manque pas de rappeler Platon et son androgyne divisé, séparé, en quête de lui-même... Sauf que «la fécondation - la fusion - serait inconcevable si la discontinuité apparente des êtres animés les plus simples n'était pas un leurre», «la discontinuité des êtres complexes» seule apparaissant comme d'abord intangible. C'est donc que la frontière, la membrane, entre l'espèce et l'individu est perméable [cf. sur ce même site : La vie/Biologie].

Dans le sacré, la continuité de l'être est «révélée à ceux qui fixent leur attention, dans un rite solennel, sur la mort d'un être discontinu» qu'est la victime d'une «mise à mort spectaculaire» : le sacré d'hier est le divin d'aujourd'hui, nonobstant «la discontinuité relative de la personne de Dieu»; ce n'est pas une connaissance, mais une expérience négative ou de l'ordre d'une théologie négative fondée sur «une expérience mystique». «Dans ces mythes étranges, dans ses rites cruels, l'homme est dès l'abord à la recherche d'une intimité perdue». Mais «comment l'homme pourrait-il se trouver - ou se retrouver - puisque l'action, à laquelle l'engage de quelque façon la recherche est justement ce qui l'éloigne de lui-même?» [en italiques dans le texte]...

L'expérience ou le trouble érotique est «une attente de l'aléatoire», l'attente de la chance. L'approbation de la vie jusque dans la mort est «défi, par indifférence, à la mort» : «La vie est accès à l'être : si la vie est mortelle, la continuité de l'être ne l'est pas»; mais la vie est aussi «recréation continuelle». Le secret de l'érotisme est justement «ouverture à la continuité inintelligible, inconnaissable». Dans l'érotisme, c'est toujours le principe d'individuation qui se trouve perturbé, semble-t-il : «L'érotisme ouvre à la mort. La mort ouvre à la négation de la durée individuelle». «La poésie mène au même point que chaque forme de l'érotisme, à la distinction, à la confusion des êtres distincts. Elle nous mène à l'éternité, elle nous mène à la mort, et par la mort, à la continuité : la poésie est l'éternité. C'est la mer allée avec le soleil» [en italiques dans le texte], Bataille citant ici des vers de Rimbaud -- vers qui auraient très bien pu servir d'épigraphe à Partage de Midi [cf. section précédente]...

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L'économie générale présuppose une théorie (de la continuité et de l'attente sans atteinte) de l'être, «l'attente de l'issue» étant «la déception définitive de l'attente» : l'animal, pauvre en monde selon Heidegger, n'attend pas, il n'est pas patient mais impatient. Mais elle présuppose aussi sinon surtout une théorie du sujet : c'est la théorie de la souveraineté (à fond ou à fonds sadien), où Bataille réussit ce tour de force ou ce coup de force d'être à la fois hégélien et nietzschéen, étant sans doute moins hégélien qu'il ne le dit (du verbe "dire") et plus nietzschéen qu'il ne le vit (du verbe "vivre"). L'homme ou le sujet souverain s'oppose à l'homme servile, la consumation (inutile) étant le «principe souverain» de l'activité et l'érotisme étant justement cette «forme souveraine» qui ne sert à rien.

L'objet du désir étant l'univers ou la totalité de l'être tel qu'il apparaît dans l'être aimé, le sujet et l'objet en arrivent à se confondre dans la vie érotique, comme le bourreau et sa victime, comme le sacrificateur et le sacrifié. Très proche ici de Lacan, Bataille considère que «[l]objet du désir sensuel est par essence un autre désir», un désir d'exister «pour le désir de l'autre»; mais c'est aussi un désir «de se perdre sans réserve», sinon de se détruire : la répulsion du désir est inséparable du désir de répulsion. L'objet de la passion finit par être le sujet de l'action, contrant ainsi le principe d'individuation; il y a alors fusion du sujet avec la totalité dans le désir illimité : «l'être se perd objectivement, mais alors le sujet s'identifie avec l'objet qui se perd».

La souveraineté (l'homme tragique, l'homme intégral, l'homme souverain, le mal souverain, l'existence souveraine) a été celle des premiers hommes, de ces hommes naissants et riants, mais aussi des rois qui, comme les caïds de la pègre d'aujourd'hui, échappaient à la raison et auxquels les sujets, qui ne sont pas des personnes, s'identifiaient et n'étaient donc pas assujettis. La souveraineté n'est pas l'individualité, encore moins l'individualisme, même si «l'énergie en excès» peut alimenter «la turbulence des individus» : si l'amour, qui diminue «l'intérêt porté au plaisir», peut être individuel (anhistorique), l'érotisme ne peut qu'être impersonnel, comme la vie : «dans l'intimité, tous les hommes ne font qu'un». L'impersonnalité de la vie est finalement l'autonomie du sujet libre et insubordonné, (pré)occupé du seul présent, le fou en étant une «idée adoucie»...

La souveraineté ne se confond pas avec la maîtrise ou avec la puissance entendue comme pouvoir (État), force ou droit; il y a «identité de la puissance et du pouvoir de perdre» : «c'est que la puissance, pour se composer, exige que l'on renonce à son usage». Pour le sujet, il s'agit donc de ne pas être qu'une chose et d'être souverainement, dans la conscience de soi comme «retour de l'être à la pleine et irréductible souveraineté» et comme angoisse «parce qu'attente de soi». La consommation ou la consumation des richesses dans la souveraineté du jeu et de la fête s'oppose à la production des richesses sans consommation dans la servitude du travail. Le souverain s'associe à l'érotique et au risible, au sacré et au divin, le divin étant un aspect du miraculeux, un «miracle positif»; l'état souverain est un état théopathique, ou l'érotique et le mystique s'identifient dans le miracle, comme le savoir illimité et le non-savoir, celui-ci étant l'ultime (dé)mesure du souverain.

Dans le sacrifice, dont le principe est la violence, qui est l'âme de l'érotisme, il y a «transgression souveraine de l'interdit du meurtre». Les attitudes souveraines sont gratuites, sans utilité; la souveraineté d'une passion ou de la chance passe par la violence du ravissement ou du tremblement, par la défaillance de ravissements violents : le plaisir est dépassement aberrant et intolérable de l'être, dans l'angoisse et le sentiment de la mort. Être ou vivre souverainement est «échapper à l'angoisse de la mort» et donc, dirait Freud, à l'angoisse de la castration : «L'homme souverain échappe à la mort en ce sens : il ne peut mourir humainement» [en italiques dans le texte]; il vit et meurt comme un animal. À «l'horreur de la mort», il oppose «le risque de la mort»; il s'oppose à la «conscience individuelle» parce qu'il connaît la mort. Pour Bataille, contrairement à Heidegger et à Freud, l'homme peut connaître la mort et ainsi disposer du sérieux ou du tragique de la mort : la limite de la mort, le «sans issue en face de la mort» ou «l'absence d'issue de la mort» [Heidegger], est donc supprimée. Ainsi l'être ou le sujet souverain n'est-il pas un homme ou un individu mais un dieu!

Nietzsche disait : un surhomme; mais comme Freud, Bataille situerait ce surhomme à l'aube de l'humanité et non à son crépuscule : l'homme archaïque, le chasseur préhistorique, est souverain; l'est aussi celui qui s'entoure de «fastes souverains». La religion est plus souveraine que la royauté : la royauté a un caractère religieux, mais la religion a un caractère souverain, surtout dans le sacrifice, dans la fête. Alors que le servile ou l'utile se confond avec l'objet (les états de choses), qui n'est que «l"effet dont l'ensemble est la cause», le souverain, lui, se confond avec le sujet (les états d'âme) : «la souveraineté désigne la subjectivité profonde» du non-savoir, par rapport à l'objectivité de l'expérience propre à la connaissance. Cette subjectivité est une expérience intérieure (de l'ordre de la sensibilité religieuse ou extatique) mais impersonnelle, comme la violence ou l'extase et comme la pléthore de la vie : «Le sujet est l'être comme il apparaît à lui-même de l'intérieur» [en italiques dans le texte]. L'objet répond à «l'intériorité du désir», mais le sujet dispose des «objets serviles».

La souveraineté ou «la subjectivité se communique de sujet à sujet par un contact sensible de l'émotion : elle se communique aussi dans le rire, dans les larmes, dans le tumulte de la fête» et elle échappe à la connaissance discursive [en italiques dans le texte]. L'émotion que désigne «le nom de souveraineté» est finalement une subjectivité contagieuse, un «raz-de-marée intime parcourant la foule» et enfreignant ainsi, tel que Nietzsche l'avait entrevu dans le culte de Dionysos (comme dieu souverain et souterrain ou agraire), le principe d'individuation. Mais le souverain étant le sujet (de l'énonciation), le souverain, le sentiment ou l'institution de la souveraineté, est un objet pour celui-ci, un aspect extérieur. Dans le «jeu de la souveraineté», ce «jeu suprême» mais limité à la base par les interdits, le premier souverain n'est pas l'homme d'État ou le chef de guerre; c'est le prophète ou le saint, dans la «sainteté subjective» des miracles.

De la consumation (féodale) -- les églises, les cathédrales, les châteaux et les palais pour émerveiller -- à l'accumulation (capitaliste), des rangs (religieux) aux fonctions (royales), de la religion à la royauté, du sacerdoce au gouvernement, du temps à l'espace, du sujet à l'objet, il y a dégradation ou perte de la souveraineté, la fonction étant dégradante pour la «subjectivité royale», pour la royauté, qui ne peut pas être «magie efficace» comme l'est la religion. La souveraineté est liée à la négation ou à la transgression de l'interdit; mais «[d]ans le monde de la souveraineté déchue, l'imagination [celle de Sade, par exemple] est seule à disposer de moments souverains». C'est donc dire que la souveraineté archaïque, première et primitive, de l'homme a été remplacée par la souveraineté de l'art. La souveraineté ne saurait être le but de l'histoire; étant le contraire du travail et la «forme voisine du sacré» et ayant des fins improductives, elle n'est finalement RIEN, insiste Bataille (dans cette "capitalisation")... L'attitude, l'humeur ou la grâce souveraine, plus que puissance, est jouissance.

Le bourgeois (économe, parcimonieux ou avide) ne peut être souverain (prodigue, généreux ou dissipateur). L'individualisme rapproche le monde bourgeois du monde féodal, mais éloigne ce dernier du monde ouvrier; à la souveraineté, la bourgeoisie ne peut réagir que par son contraire : le snobisme. La perte ou la baisse de souveraineté est l'abolition de la différence : «L'indifférenciation parfaite a seule le pouvoir de nier la souveraineté différenciée et par là d'ébaucher l'affirmation de la société indifférenciée» [en italiques dans le texte]. «Le racisme, en voulant trop bien la servir, a trahi la cause de la différence : les privilèges de race et de richesse sont indéfendables, et ils sont les seuls qui rencontrent des défenseurs!»... La suppression des différences ou l'indifférenciation est donc la suppression ou la négation de la souveraineté; ainsi Staline a-t-il été un souverain qui s'est opposé à la souveraineté, un souverain -- contradiction dans les termes -- utilitaire. Bataille situe l'Évangile du côté des valeurs souveraines, du plaisir immédiat de la consumation, en même temps qu'il situe la valeur souveraine, la souveraineté négative, du communisme du côté de «l'homme qui a renoncé à la souverainteté», même si «l'homme est passionnément, capricieusement» «l'irréductible désir» et non un complexe de besoins [en italiques dans le texte].

La différence sociale, d'ordre religieux, «est à la base de la souveraineté», de la dignité souveraine (divine) et non seulement humaine, de la générosité souveraine, de la démesure du don s'opposant à la mesure bourgeoise du prêt ou de l'emprunt, de l'investissement. L'objectivité du pouvoir, dans le commandement militaire par exemple, ne saurait tenir lieu de subjectivité souveraine; c'est l'abolition de la souveraineté, qui n'est pas la volonté de puissance. Nietzsche, dont la vie est un «conte tragique» et dont l'oeuvre est peut-être une «tragédie inconséquente» selon Bataille, a confondu la puissance et la souveraineté; mais il demeure la seule alternative au communisme, grâce au «don souverain de la subjectivité» qu'il a eu dans «une attitude symétrique et inverse du héros des tragédies grecques - qu'une fatalité condamnait à violer les règles qu'ils tenaient pour saintes»...

La souveraineté primitive des dieux et des rois a été tragique, un jeu tragique, avant que la tragédie ne se réduise à une morale [cf. Nietzsche]; dans la «sagesse tragique», la «pensée souveraine» est une «tragédie illimitée». Pour Bataille, la souveraineté archaïque a été réelle et la tragédie grecque a mis en scène la subjectivité de personnages traditionnellement souverains. «La tragédie, c'est la politique» [en italiques dans le texte] serait un mot de Napoléon; ainsi l'histoire peut-elle être élevée au rang d'une tragédie. Mais, la tragédie, elle, la «tragédie générale», arrête le temps.

La souveraineté s'est réfugiée dans l'art et la littérature sacrés, dans l'art souverain, la fonction initiale de l'art étant l'expression de la subjectivité profonde; mais il n'y a pas de discontinuité ou de seuil entre art sacré et art profane, entre art souverain et art profane. L'écrivain ou l'artiste souverain (déclassé) est exclu par la société archaïque, mais il est quand même dominé par la souveraineté. En fait, le sujet est à la fois «le personnage du drame» et «le souverain authentique», sa souveraineté pouvant être communiquée par la «subjectivité érotique» ou par une «contagion secrète» et la communication de la terreur sacrée étant le ressort de la religion. La splendeur de la subjectivité est celle de la souveraineté et la subjectivité n'est souveraine que si elle est communiquée. Dans la «subjectivité générale», l'art est l'héritier de la souveraineté religieuse et royale, divine, et il accède souverainement à «l'extrémité du possible».

Pour la théologie négative ou l'athéologie --négligée ici (autant que l'hétérologie) --, la part maudite est donc la part souveraine et Dieu n'y est jamais que «l'hypostase de la souveraineté» : il n'est pas le bon Dieu. En un état théopathique (souverain) ou athéologique, il y a négation du Dieu parfait dans le sacré et dans les dieux, dans le principe de souveraineté pour lequel le divin est «le contraire souverain du travail» : Dieu n'est pas divin pour «l'homme du jeu».

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La pragrammatique, comme science générale de l'homme et comme science subjective du sens, ne s'embarrasse pas de l'épistémologie (et) des sciences objectives ou de l'épistémologie (et) des sciences cognitives, les plus subjectives qui s'ignorent, les plus intentionnées et les plus attentionnées de toute l'épistémocratie; elle s'en débarrasse comme de la reconnaissance des pairs, tel que Descartes l'a fait en son temps pour inaugurer la modernité : elle s'en passe et les passe! Son opération n'est pas la falsification (épistémologique) mais l'auto-falsification (épistémique), c'est-à-dire l'homologation (sans éclectisme et sans syncrétisme), avec ou sans élégance... C'est ainsi qu'il convient de confronter l'économie générale de Bataille et la sémiotique (greimassienne et postgreimassienne) entendue comme "économie fondamentale" et/ou comme "grammaire générale".

Par exemple, le Donneur de femmes, le donateur, est l'équivalent du Médiateur [Girard] et du Destinateur [Greimas] : le jambage ou le cuissage est au mariage ce que le Destinateur est au Sujet. La destination sociale ou socio-économique est tributaire de la différence sexuelle et religieuse entre l'interdiscours sociolectal (le sociolecte ou l'univers collectif) et l'interdiscours idiolectal (l'idiolecte ou l'univers individuel). Le sociolecte est dominé par le désir de la loi (Kant) (Freud : le principe de réalité) et l'idiolecte est dominé par la loi du désir (Sade) (Freud : le principe de plaisir); le sociolecte est réglé par la reproduction assurant la survie de l'espèce dans l'espace de la nature et de la culture et l'idiolecte est réglé par la reproduction assurant le sexe de l'individu dans le temps de la vie et de la mort; le sociolecte est régi par l'interdit de l'inceste et l'idiolecte est régi par l'interdit du meurtre. Mais, chez Bataille, l'univers collectif est finalement le monde profane et impur de l'interdit, tandis que l'univers individuel est le monde sacré et pur de la transgression : l'univers collectif est l'univers apollinien et l'univers individuel est l'univers dionysiaque.

Mais, à un niveau plus profond ou plus fondamental, l'économie générale se présente comme une économie du don, de la dépense et de la perte : une économie de la consumation, de la dissipation et de la dispersion (la féodalisation) -- une économie de la disjonction. L'économie fondamentale est, elle, en fait une "économie totale", où la circulation ou la (re)distribution des objets de valeur, «l'échange généralisé» (le libre échange, la mondialisation, la globalisation), prévaut autant sur la production que sur la consommation; c'est par la circulation qu'il y a reproduction; c'est donc, non seulement une économie de la disjonction (dépenser ou donner), mais aussi une économie de la conjonction (acquérir ou prendre), ainsi que de la non-disjonction (ne pas dépenser : garder) et de la non-conjonction (ne pas acquérir : laisser).

Au niveau de chacune des quatre relations de jonction, il peut y a avoir excès (démesure) ou mesure : il y a excès (excédent) du désir (l'attachement) dans l'avidité, l'avarice cumulative (l'accumulation comme conjonction), comme il y a excès dans la dissipation et la prodigalité; il y a excès (insuffisance) dans l'avarice rétensive (la rétention comme non-disjonction) et dans la pingrerie ou la ladrerie; il y a mesure du besoin (utilité) dans l'économie, que ce soit l'épargne comme non-disjonction (l'économie de l'épargnant : «éviter toute dépense inutile») ou l'épargne comme disjonction (l'économie de l'économe : «dépenser avec modération»), et dans le désintéressement («détachement de tout intérêt personnel») et la libéralité («disposition à dépenser généreusement»), les trois étant de l'ordre de la non-conjonction; quant à la générosité, elle peut être de l'ordre de la disjonction («disposition à donner plus qu'on est tenu de le faire», sans dissipation mais avec attribution à «l'observateur social» comme bénéficiaire) ou de la non-conjonction (la générosité présupposant le désintéressement).

Chose curieuse, le dissipateur (souverain), comme l'avare, «fait entrave à la circulation et à la redistribution des biens dans une communauté donnée» par la dilapidation, par la destruction; la circulation se trouve interrompue, la redistribution entravée, comme dans le désintéressement ascétique, la rétention de savoir, la gloutonnerie ou la voracité... Dans la dilapidation ou la dissipation, il y en a pour tout le monde et pour personne : il y a «retrait de la circulation». L'économie générale (tournée vers le monde féodal, antique, archaïque) est une économie de la richesse (l'énergie); l'économie (ou l'écologie) fondamentale ou totale (tournée vers le monde capitaliste-socialiste, moderne, contemporain) est une économie de la rareté des biens (la pénurie). Celle-ci est fondée sur la part, la part fixe attribuée à chacun par les biens renouvelables (salaire, revenu), et celle-là sur la part maudite, la part détruite par la dilapidation des biens non renouvelables (patrimoine, héritage, fortune). L'avare est «celui qui empiète sur la part des autres»; le prodigue est «celui qui détruit sa part»; l'épargnant et l'économe «savent ménager leur part» en s'adaptant au «rythme de l'échange généralisé» : à chacun sa part, limitée ou illimitée (maudite)...

La dissipation est accélération et affolement; elle disperse ou perturbe l'échange. La générosité augmente la part d'autrui; comme dans l'économie (celle de l'économe), la part est sauvegardée et la part d'autrui est respectée : c'est «le respect des parts». La générosité est accélération dans un «environnement ralenti», alors que l'économie et l'épargne sont ralentissement dans un «environnement accéléré». D'un dispositif d'attachement ou de détachement (une manière d'être), vont résulter une disposition (un "style sémiotique") et une attitude (subjective) ou une conduite (objective). L'économie fondamentale est donc une économie partitive ou participative, tandis que l'économie générale est une économie dissipative ou dispersive.

La prodigalité, comme non-conjonction excessive, s'accompagne d'un mépris affiché, l'ostentation ou l'outrecuidance, pour les biens et donc pour l'univers collectif; ce mépris des valeurs, qui ne va pas sans un certain nihilisme et un aveuglement certain, s'oppose à la ladrerie et il est la négation de la «conjonction mesurée» (comme autre forme de désintéressement), où il y a acquisition jusqu'à la satisfaction des besoins, où il y a donc une part pour les «acquisitions indispensables». En somme, les «variétés mesurées» (épargne, économie, générosité, désintéressement, conjonction ou acquisition mesurée) et les «variétés excessives» (avarice, ladrerie, pingrerie, dissipation, prodigalité, désintéressement excessif) sont deux sous-ensembles quasi étanches.

Les parasynonymes de la mesure sont des contradictoires : la mesure fait la part entre les choses nécessaires et les choses inutiles et elle maintient l'équilibre entre dépenser et ne pas dépenser, entre acquérir et ne pas acquérir; dans la mesure, il n'y a pas de rupture entre les contradictoires et les complémentaires. Les parasynonymes de l'excès sont des complémentaires, mais il n'y a pas de passage possible entre les contradictoires et les complémentaires sans «bouleversement total des valeurs». Ainsi est-il impossible de transformer un avare en généreux, c'est-à-dire de le faire passer du système de l'excès à celui de la mesure; de même, il est très difficile de faire d'un avare rétensif un prodigue et d'un avare cumulatif un désintéressé excessif. La mesure est donc faite d'oppositions faibles, alternatives ou équilibrées et l'excès d'oppositions fortes ou de renversements de tendances; mais entre les deux (sous-)systèmes que sont la mesure et l'excès, les oppositions sont absolues.

Le potlatch est une «version codifiée de la dissipation» où la passion de destruction est appliquée à des objets considérés comme désirables; dans «l'enfer des choses», la dissipation et le désintéressement ne sont pas des passions si les objets détruits ne sont pas désirables. Quand il y a modalisation de l'objet, il y a idéologie : économie de l'utilité; quand il y a modalisation de la jonction, il y a passion : économie de l'attachement. À la modalisation suivie de sensibilisation succédera la moralisation. L'économie fondamentale a donc pour concept central la part, le trait partitif; or, la dissipation comme «affolement de la circulation» ou la prodigalité détruisent «l'unité partitive elle-même» et brouillent la «syntaxe circulatoire», le «procès de circulation»; elles menacent le flux des valeurs et les places (valences) de la «totalité partitive». Dans l'excès de dépense ou de rétention, il y a un «déséquilibre destructeur» de la circulation ou de l'échange généralisé.

L'économie fondamentale ou totale (et partitive) est une économie de la valence et de la valeur, du continu et du discontinu, du tout (un) et de la partie (multiple), de la partition et de l'éparpillement comme «double devenir»; il y a «opposition entre l'universalité de la valeur et l'exclusivité de la valence». La participation, comme «indifférenciation des parts», s'y oppose à l'exclusivité, qui s'oppose elle-même à l'universalité de l'échange. La notion de "part", «correspondant au "partitif défini" de la grammaire», est définie par la quantification, dont les deux catégories sont pair vs impair et fragmenté vs intégré et dont les déterminations grammaticales sont : les indéfinis (ou les «quantitatifs indéfinis» et continus : pronoms, adjectifs, adverbes, articles), les partitifs, les intégraux et les définis (discrets ou discontinus). La jonction des grandeurs (sujets et objets de valeur) permet de distinguer : «la thésaurisation, la consommation, la distribution, le partage». Une unité peut être partitive ou intégrale, une totalité aussi. Le sujet individuel est partitif, tandis que chez Bataille, le sujet (ni individuel ni collectif) est intégral.

Comme l'avarice, qui contrevient à l'échange des biens, la jalousie -- et, a fortiori, l'inceste -- contrevient à l'échange des personnes, des femmes, et ce, par l'exclusivité : «l'exclusivité détermine une unité singulière, retirée de la participation, qui correspondrait au "défini singulier" de la grammaire». Dans l'exclusion, il y a opposition à la participation, au partage des parts : comme «unités-sujets», «[l]es sujets exclusifs interrompent ou remettent en cause le processus de constitution de l'actant collectif», «le trait partitif» fondant celui-ci; ils «s'individualisent au détriment de la collectivité»; il y a «résistance à la constitution d'une totalité partitive» [en italiques dans le texte]. Ils veulent demeurer des «unités intégrales», cherchant à échapper au cycle suivant : «individus traités comme des unités intégrales» avec «des traits d'individuation» - transformation en unités partitives par «la collection des traits qui leur sont communs» - totalité partitive par la sommation - totalité intégrale avec aussi des traits d'individuation issus des traits communs.

Le sujet exclusif -- l'avare, le jaloux («champion des unités intégrales») -- «invente sa part et se l'approprie immédiatement» : il crée une unité partitive et la transforme en unité intégrale. Se met alors en oeuvre une syntaxe de l'exclusivité : de la «possession exclusive», de la «vision exclusive», du «piège du jaloux» et de l'«ombrage du jaloux», dans la cas de la jalousie. Il y a donc refus de la réciprocité (de l'échange ou de l'épreuve) au profit ou non de l'unilatéralité (du don ou de la réserve). Dans l'exclusivité (des biens, des femmes, des paroles), dans l'exclusion de la participation, il y a rejet du caractère partitif des objets de valeur, de la non-exclusivité de la circulation ou de l'échange généralisé entourant les «objets discrets» (discontinus) et les «objets pathémiques» (continus) : il y a «précipitation de l'unité partitive anxieuse de retrouver son intégralité»... Le sujet exclusif sait se tenir (dans la contenance ou la réserve) ou non (dans l'absence de contenance ou de réserve); il respecte «une morale de la contenance» ou il est décontenancé [en italiques dans le texte]. Dans la contenance, il y a assurance ou distance; dans la "décontenance", il y a spontanéité ou timidité -- mais il y a toujours un «excédent modal» : un excédent passionnel!

La dissipation ou la prodigalité transgresse la même règle que l'avarice. C'est pourquoi il faut se demander ce qui est premier : donner ou échanger? consumer ou (faire) circuler? Le don précède-t-il la dette? Pour Bataille, le don (la dépense, la perte) est premier; mais il ne présuppose pas que c'est un don gratuit, désintéressé : le don attire d'autres dons, un don plus ostentatoire, plus dissipateur, plus destructeur; c'est un don sans réserve. Il est cependant difficile d'imaginer que le don ne présuppose pas lui-même une dette, non pas une dette réelle mais une dette symbolique, dont la dot est le reste ou le résidu. Le manque (le défaut : l'imperfection) précède la marque du don et le masque de l'échange; l'usure précède l'usage et l'échange [...]

La théorie de la souveraineté est une théorie du sujet; la théorie de la passion (l'avarice, la jalousie) est aussi une théorie du sujet; mais les deux théories différent dans leur attitude envers le principe d'individuation : l'économie générale est l'économie de la passion (le parcours destructif), l'économie fondamentale est la passion de l'économie (le parcours génératif). La souveraineté ne saurait être de l'ordre des «passions sympathiques» ou des «passions exclusives» (les deux étant des passions individualisantes), des «passions communautaires» ou des «passions communautaires», (les deux étant des passions collectivantes), ni non plus des «passions fiduciaires» (confiance, méfiance, défiance, "préfiance"), justement parce qu'elle est la remise en cause du principe d'individuation.

La souveraineté n'est ni attachement ni détachement, ni tolérance ni phobie; elle n'appartient pas à la polémique, à l'antagonique (antagonisme et discorde comme conflit, collusion et conciliation comme contrat, rivalité ou concurrence, compétition ou émulation, zèle ou mérite), la jalousie étant une passion de l'antagonisme, l'exigence ou la dureté une passion de la discorde, la complaisance ou l'abnégation une passion de la collusion et l'indifférence une passion de la conciliation, selon Greimas et Fontanille. La souveraineté n'est pas non plus une passion exclusive comme la jalousie ou une passion sympathique comme la compassion, une passion identitaire comme la conscience de classe ou la conscience nationale ou une passion communautaire comme la convivialité, encore moins une passion collectivante (identitaire ou communautaire) comme l'opinion publique. Et, contre Bataille lui-même (et Hegel), la souveraineté n'est pas la conscience de soi (confondue ou non avec la rencontre du savoir absolu et du non-savoir). La souveraineté -- l'érotisme -- n'est pas une passion, une passion une; elle est la passion tout court, la passion agonique, l'agonique et la tragique Passion!

Greimas et Fontanille distinguent le «sujet individuel partitif» et le «sujet collectif intégral»; ainsi y a-t-il des «unités partitives et intégrales» et y aura-t-il des «sujets intègres et discrets» et des «individus participatifs mais néanmoins intègres», des «individus discrètement articulés», des «personnes intègres et mêmes dotés du sens de la propriété», des «totalités vivantes», «des communautés intégrées et des institutions culturelles, des cultures et des sociolectes», des «structures articulées avec discrétion». Il s'agit de définir le «projet global de personnalité» et d'aborder une «typologie des humeurs et de la constitution des personnes» dans et par leur «chair vive», dans et par leur caractère (continu) et leur tempérament (discontinu). Même si pour la sémiotique, la souveraineté (indépendance + liberté) n'est jamais qu'une modalité du pouvoir-faire ou qu'un sous-code d'honneur (à côté de la soumission, de la fierté et de l'humilité), il y a donc bien une tentative, chez Greimas et Fontanille, d'autrement penser le dédoublement du sujet, la fracture du sujet (en transes) et la continuité des «êtres discontinus» : «La cohérence, nous paraît cette "ombre de valeur" qui reflète l'aspiration de l'univers à l'unité, mais aussi la valence qui recouvre les valeurs tout au long du parcours épistémologique : espoir du Je introuvable du sujet, soutien du chercheur en quête d'efficacité» sont les derniers mots de leur ouvrage collectif -- ouvrage cependant pour le moins rectifié par Fontanille et Zilberberg...

Mais il y a quand même confusion du sujet (continu) et de l'individu (discontinu) ou de la collectivité, de l'individu et de la personne dans la personnalité, malgré la distinction de l'intégrité (continue) et de la discrétion ou de l'articulation (discontinue). À la lumière de la lecture de Bataille, l'idiolecte ne serait donc pas le monde de l'individu (imaginaire) et le sociolecte ne serait pas le monde du sujet (réel); Lacan (ou Milner) dirait que les deux sont de l'ordre du signifiant (symbolique).

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L'économie générale de Bataille a pour fondement la phénoménologie hégélienne de la conscience de soi; l'économie (ou l'écologie) fondamentale de Greimas et Fontanille -- économie sans doute plus proche de l'économie mimétique ou triangulaire de Girard (d'ailleurs convoqué ou invoqué ici et là) que de l'économie générale de Bataille -- a pour fond(s) la phénoménologie husserlienne (et merleau-pontienne) de l'intentionnalité. La phénoménologie est une métapsychologie; c'est pourquoi il convient de la mesurer à une autre métapsychologie : la psychanalyse. Sommairement et pour éviter la répétition, il importe de dire que pour Freud, la sexualité n'est pas étrangère au monde du travail, car l'origine de la fabrication des outils ne peut être que sexuelle, que liée à des pratiques ou à des actes sexuels. En outre -- et ici les données de l'éthologie sont indispensables --, le jeu a une racine animale; beaucoup d'animaux, surtout quand ils sont jeunes et donc comme les enfants, jouent : ils sont ludiques; le jeu n'est donc pas une caractéristique humaine, mais il le devient quand il est spectacle, quand l'homme est l'objet ou le sujet d'un spectacle (art, variétés, sport).

Ce qui importe pourtant davantage, c'est que la psychanalyse s'élève au rang d'une métabiologie par le concept de pulsion de mort, qui est en quelque sorte la «seconde mort» de la «petite mort». Dans la pulsion de mort, l'attachement et le détachement, l'attraction et la répulsion, le mouvement vers la vie (matière vivante) et le mouvement vers la mort (matière morte) se (con)fondent. Si la proprioceptivité (de l'imagination) est la racine -- et non la médiation, le lien ou le (mi)lieu, l'intermédiaire -- de l'extéroceptivité (de la sensibilité) et de l'intéroceptivité (de l'entendement), elle a elle-même pour racine une aproprioceptivité (l'inertie d'une "a-faculté"), l'atensivité de la passivité, d'une paresse sans patience ou impatience.

La pulsion de mort -- qui a pour preuve charnelle, corporelle, incorporée, incarnée : le sadisme et le masochisme ou des pratiques valorisant les déjections (vomissures, excréments), comme l'enfant et le névrosé ou comme certaines tribus totémiques -- est irréductible à la perversion, où il y a absence du père et où le rire est finalement un défi au père; tandis que le névrosé (Faust), dans sa perversité, est toujours en quête de la dernière femme (la mère), le pervers (Don Juan) est toujours en quête de la première (la femme du père, la femme qu'il faut ravir au père, comme dans le jeu de hasard et le hasard du jeu) -- c'est toujours la première... La pulsion de mort est l'expérience limite : il y a des expériences limites, mais il n'y a pas de cas limites. Le tragique événement -- l'"Ereignis" selon Heidegger -- est la limite de l'expérience; c'est le meurtre (la phylogenèse du meurtre, du sacrifice initial, inaugural), alors que la mort (l'ontogenèse de la mort) est un événement tragique, la répétition de l'événement tragique (le passage de l'animal à l'homme)...

Dès l'art paléolithique, il y a un principe de vie : un principe femelle représenté par l'acte de donner la vie (la blessure) et il y a un principe de mort : un principe mâle représenté par l'acte de donner la mort (la flèche : l'arme). La rencontre du sacré et du profane est la rencontre d'un principe de mort et d'un principe de vie, d'un principe divin et d'un principe humain. Le principe des Dieux est celui de l'immortalité, de l'éternité, du non-temps, ainsi que de l'animalité; le principe des hommes est celui de la mortalité, de la finitude, du temps, ainsi que de la sexualité, même si les Dieux eux-mêmes n'échappent pas à la sexualisation, voire à la sexuation (parfois hybride, hermaphrodite, androgyne).

Par ailleurs, il n'y a pas d'érotisme sans langage, sans parole, sans oralité et non seulement sans animalité (et il n'y a pas non plus de regard sans animalité : sans sourcils): le je(u) érotique ou sexuel a une racine orale. C'est l'oralité -- la parole comme essence du langage, comme Nom-du-Père et comme rapport à la mort, comme anticipation de la mort par l'imagination, comme débrayage énonciatif initial -- qui sépare l'homme de l'animal, la culture de la nature, et projette ainsi dans l'extériorisation, dans la ritualisation, ou inverse l'isolement dans l'éloignement, la solitude dans l'exil, la population dans le peuplement.

En outre, il y a quelque chose qui ne semble jamais questionnée par Bataille, c'est le principe de paternité : le père est absent mais présupposé; il est pris pour donné ou pour acquis : il est de cette manière omniprésent, serait-ce sous le couvert de la féodalité, voire de la figure de Gilles de Rais -- le "père-vers" par excellence... Or, la paternité n'est jamais qu'une présomption : de la copulation à la fécondation, de l'accouplement à l'accouchement, il y a «présomption de paternité». Le «sentiment lourd de l'acte génésique» qui aurait amené à exclure l'inceste présuppose que les liens de parenté sont connus ou qu'ils sont établis sur des critères biologiques dès le départ, sur des critères génétiques d'adaptation; alors qu'ils ne peuvent l'être que sur des critères généalogiques d'adoption. La paternité a pu fonder la parenté : la famille; mais elle est elle-même fondée sur une présomption, sur une spéculation, sur un coup de force de l'imagination : le père est une invention du fils meurtrier; il n'y a de père que mort, qu'après le meurtre primitif : dire non au père par le meurtre, c'est lui donner son nom...

Pour un Bataille qui a réussi à effacer la différence entre le roman et l'essai, entre la poésie et la théorie, entre la pensée et le sexe, pour lui qui a ajouté la surface qu'il manquait à la profondeur et la profondeur qu'il manquait à la surface, il demeure que la pensée, que la philosophie, s'achève dans le silence du non-savoir, dans le mysticisme du silence et le silence du mysticisme. Lui pour qui la pensée mythique, qui n'est pas une «pensée primitive», et la pensée rationnelle, qui n'est pas une «pensée tardive», coïncident dans le temps, lui pour qui aussi la science dérive du discours et qui ne manque pas de mentionner que la sexualité est celle d'«un être doué de langage», n'en aspire pas moins à échapper au discours, qui est associé au travail (à la raison) contre l'érotisme. Du langage, selon lui, il faut se méfier. La philosophie du rire, la philosophie de la transgression s'inverse, quand la pensée dépasse le travail, dans la transgression de la philosophie...

Même si «[l]a suprême interrogation philosophique coïncide [...] avec le sommet de l'érotisme», la philosophie est coupable de ne pas pouvoir sortir du langage et se voit opposer le silence de l'érotisme : «Le langage nous a fait ce que nous sommes. Seul il révèle, à la limite, le moment souverain où il n'a plus cours. Mais à la fin celui qui parle avoue son impuissance» [souligné ici]. Le langage n'échappe pas au jeu de l'interdit et de la transgression. «Donner à la philosophie la transgression pour fondement (c'est la démarche de ma pensée), c'est substituer au langage une contemplation silencieuse. C'est la contemplation de l'être au sommet de l'être. Le langage n'a nullement disparu. Le sommet serait-il accessible si le discours n'en avait révélé les accès? Mais le langage qui les décrivit n'a plus de sens à l'instant décisif, quand la transgression elle-même en son mouvement se substitue à l'exposé discursif de la transgression, mais un moment suprême s'ajoute à ces apparitions successives; dans ce moment de profond silence - dans ce moment de mort - se révèle l'unité de l'être, dans l'intensité des expériences où sa vérité se détache de la vie et de ses objets» [en italiques dans le texte].

-- Or, comme il convient de le répéter, il n'est pas facile d'échapper au discours, surtout au Discours de l'Autre qu'est l'inconscient...

Leiris

Aussi membre du Collège de sociologie, avec Bataille et Caillois, Leiris contribue par ses travaux à cette "économie subjective" (plus intime qu'intérieure) et -- sans épistémologie aucune -- à la science subjective; il convient donc d'en dire quels mots. Pour Leiris, la tauromachie est l'un de ces «spectacles violents tels que la tragédie» : la corrida «semble se dérouler, à plus d'un égard, suivant un schéma analogue à celui de la tragédie». Ayant un côté essentiellement tragique, la tauromachie n'est pas un sport mais un art; c'est une tragédie où le héros est le myope taureau , «ce demi-dieu bestial» qui est un «symbole de puissance» dans les rites religieux et dans les jeux taurins (qui dateraient de quarante siècles et seraient apparus en Crète). C'est un spectacle doublement tragique, parce qu'il y a non seulement mort publique du taureau, mise à mort, mais aussi parce que cette mise à mort est un risque de mort pour l'officiant (le matador, l'espada).

Toute activité esthétique ayant, selon Leiris, un aspect tragique, l'art tauromachique est doué d'un «tragique saisissant»; ce n'est pas un ballet. Dans la «beauté tauromachique» et dans le goût archaïque du costume selon Bataille, le costume de lumière du torero est comparable au masque du tragédie et à la parure sacerdotale. Une victime animale est donc substituée à l'homme dans ce sacrifice à Dionysos : «Ainsi la tauromachie, plus qu'un sport, est un art tragique, où se trouve gauchie, par le soulèvement de forces dionysiaques, l'homme apollinien», au risque du «délire panique» mais dans la beauté, dont la condition fondamentale est le malheur... Mais la corrida est aussi proche des «oeuvres de la chair», de l'érotisme : le taureau, dont certains consomment les génitoires, est une «figure essentiellement phallique» et l'arène est remplie d'une «atmosphère érotique»; l'estocade finale du torero-acrobate y est un "coït" après une "orgie" de passes : l'éjaculation y a «pour sperme les bravos»...

En résumé, la corrida est une tragédie réelle où a lieu une infime mais tragique fêlure, une «faille religieuse», alliant une mort sacrificielle et une part d'érotisme noir dans un rituel entendu comme sacrilège réussi [Mauss]. Jadis, les chevaux y étaient des boucs émissaires, des offrandes au taureau-victime, avec qui le torero est en relation de quasi-bestialité. Comparant la tauromachie à la musique selon Nietzsche, Leiris propose donc que la note ou la lueur tragique de la corrida réside dans la fêlure. Et, par rapport aux drames de la tragédie, par rapport à la tauromachie, la "charlottade" (la course comique) est une comédie, une parodie.

Le flamenco n'a pas manqué d'être associé et comparé à la tauromachie [cf. Lemogodeuc et Moyano]. En somme, le flamenco est une tragédie où l'orchestre est le nouveau choeur et où le protagoniste est le chanteur, le danseur ou la danseuse. Mais l'orchestre est aussi le choeur ailleurs que dans le flamenco : de la musique classique au rock and roll en passant par le blues et le jazz. La musique est en fin de compte un sacrifice, mais aussi le sport : le sacrifice n'a pas été un sport, mais le sport -- surtout les sports d'équipe supposant de grandes arènes -- est un sacrifice où la victime est le perdant, la défaite étant l'euphémisation de la mise à mort et la victoire, ce présent des dieux, une offrande à la messagère ailée de Zeuz et à la compagne d'Athéna, Nikê. Dans l'éloignement dans la représentation propre à la société du spectacle [cf. Debord], éloignement qui transforme, entre autres, les artistes et les athlètes en vedettes de cinéma, l'énorme succès des spectacles sportifs ou musicaux (et aussi des films) s'expliquerait donc ainsi par le fait que ce sont des tragédies, c'est-à-dire de nouveaux sacrifices!

Georges Bataille. «Articles et tracts». Oeuvres complètes I : Premiers écrits (1922-1940). Gallimard nrf. Paris; 1970 (2 + 662 p.) [p. 97-568].

Georges Bataille. Oeuvres complètes II : Écrits posthumes (1922-1940). Gallimard nrf. Paris; 1970 (464 p.)

Georges Bataille. Théorie de la religion.

Georges Bataille. «L'économie à la mesure de l'univers», La Part maudite; essai d'économie générale; I : La consumation et La limite de l'utile. Oeuvres complètes VII. Gallimard nrf. Paris; 1976 [1974, 1949] (624 p.) [p. 7-16, p. 17-179 et p. 181-280].

Georges Bataille. La Part maudite; essai d'économie générale ** : L'histoire de l'érotisme et La Part maudite *** : La Souveraineté. Oeuvres complètes VIII. Gallimard nrf. Paris; 1976 (688 p.) [p. 7-165 et p. 243-456].

Georges Bataille. L'érotisme. Oeuvres complètes X. Gallimard nrf. Paris; 1987 [1957] (2 + 742 p.) [p. 8-270].

Georges Bataille. Le Procès de Gilles de Rais. Oeuvres complètes X [1959] [p. 271-532].

Georges Bataille. Lascaux ou la naissance de l'art.

Georges Bataille. Oeuvres complètes XI : Articles I (1944-1949). Gallimard nrf. Paris; 1988 (600 p.)

Georges Bataille. «Le passage de l'animal à l'homme et la naissance de l'art» [1953], «Au rendez-vous de Lascaux, l'homme civilisé» [1953], «La religion préhistorique» [1959] et «Terre invivable?» [1960]. Oeuvres complètes XII : Articles II (1950-1961). Gallimard nrf. Paris; 1988 (656 p.) [p. 258-277, p. 289-292, p. 494-513 et p. 514-517].

Georges Bataille. Les larmes d'Eros. Jean-Jacques Pauvert (10/18). Paris; 1971 [1961] (144 p.) ou Oeuvres complètes X [p. 573-627].

Daniel Hawley. L'oeuvre insolite de Georges Bataille; une hiérophanie moderne. Librairie M. Slatkine/Librairie H. Champion. Genève-Paris; 1998 (6 + VI + 348 p.)

François Warin. Nietzsche et Bataille; la parodie à l'infini. PUF (Philosophie d'aujourd'hui). Paris; 1994 (4 + 348 p.)

Mario Perniola. L'instant éternel; Bataille et la pensée de la marginalité.

Johannes Marenger. L'homme préhistorique et ses dieux. Arthaud (Signes des temps II). s. l.; 1958 [1956] (304 p. + 59 héliogravures)

Michel Leiris. Miroir de la tauromachie. Illustrations d'André Masson. Fata Morgana. Montpellier; 1981 [1937] (80 p.)

Michel Leiris. «De la littérature considérée comme une tauromachie». L'âge d'homme. Gallimard nrf. Paris; 1946 (240 p. + illustration) [p. 9-25].

Michel Leiris. La course des taureaux suivi de Calendrier et souvenirs taurins. Édition établie et présentée par Francis Marmande. Fourbis. s. l.; 1981 [1951] (128 p.) [en fait, sans doute à cause d'une erreur d'impression, l'édition consultée ne contient pas Calendrier et Souvenirs taurins, les pages 65-80 ayant été répétées à la place; en outre, apparaissent à la fin de l'ouvrage des Compléments : la présentation du film de 1951, La course de taureaux, par son directeur, Pierre Braunberger, documentaire dont le propos de Leiris est le commentaire, et le compte rendu du film par André Bazin, la même année].

Ernest Hemingway. Death in the Afternoon. Charles Scribner's Sons. New York-London; 1955 [1932] (10 + 518 p. incluant 128 p. d'illustrations et «un glossaire explicatif» sur la corrida de 88 p.)

Jean-Marie Lemogodeuc et Francisco Moyano. Le flamenco. PUF (Que sais-je? # 1588). Paris; 1994 (128p.)

Esprit Fléchier. Mémoires sur les Grands-Jours d'Auvergne en 1665. Vialetay (Prestige de l'Académie française). Paris; 1968 [1930, 1844] (XXXIV + 336 p.)

Roger Caillois. Le mythe et l'homme.

Roger Caillois. L'homme et le sacré.

Roger Caillois. Les jeux et les hommes; le masque et le vertige.

Jean-Marc Lemelin. Le sens.

Jean-Marc Lemelin. Le sujet.

Algirdas J. Greimas et Jacques Fontanille. Sémiotique des passions.

Jacques Fontanille et Claude Zilberberg. Valence/Valeur. Précédé de «Pour une sémiotique tensive, les gradients du sens» par Pierre Ouellet. Nouveaux Actes Sémiotiques 46-47. Presses de l'Université de Limoges. Limoges; 1996 (2 + 76 p.)

Jacques Derrida. «De l'économie restreinte à l'économie générale : un hegelianisme sans réserve» dans L'écriture et la différence (p. 369-407).

[Comme pour toutes les sections de cette partie et comme pour la première partie de ce manuel, les références qui ne sont pas complètes ici le sont dans la Bibliographie de pragrammatique disponible sur ce même site].