MANUEL D'ÉTUDES LITTÉRAIRES



COURS DE PRAGRAMMATIQUE





SOMMAIRE





PRÉFACE

PREMIÈRE PARTIE : THÉORIE DE LA LITTÉRATURE

DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DU POÈME

TROISIÈME PARTIE : ANALYSE DU RÉCIT

QUATRIÈME PARTIE : ANALYSE DU DISCOURS

POSTFACE

POST-SCRIPTUM





PRÉFACE





Il y a présentement deux principaux types de manuel d'études littéraires dont on se sert dans les départements de français des universités canadiennes, plus particulièrement des universités anglophones : d'abord des manuels d'histoire littéraire, où dominent donc les extraits, puis des manuels de vulgarisation de théorie littéraire. Depuis la traduction de Théorie de la littérature des Formalistes russes [1968] et de La théorie littéraire de Wellek et Warren [1971], trois principaux ouvrages de théorie littéraire ont été publiés en français : Théorie de la littérature sous la direction de Kibédi-Varga [1981], dont nous avons rendu compte dans Moebius # 21 [1984], Théorie littéraire sous la direction d'Angenot, Bessière et Kushner [1989], qui est selon nous absolument inutilisable par des étudiants en situation d'apprentissage et non de spécialisation -- c'est pourquoi nous nous sommes abstenu d'en faire un compte rendu, car il aurait été dévastateur et destructeur, donc stérile : une critique trop négative nous est devenue une perte de temps et d'énergie et il vaut mieux ne pas en faire si on ne peut pas être le moindrement positif et constructif -- et Méthodes du texte sous la direction de Delcroix et Hallyn [1987], qui est sans doute le meilleur.

Le problème qui se pose ici est que ces manuels sont inadaptés à nos programmes qui sont, surtout dans les départements de français langue seconde, dominés par l'enseignement de la langue, l'enseignement de la traduction, l'enseignement de la civilisation et l'enseignement de l'histoire et de la critique littéraires; à part quelques universités québécoises, il n'y a guère de place pour la théorie littéraire au premier cycle et elle est souvent limitée à la sociologie littéraire (Laval, Sherbrooke) ou à la sémiologie (UQAM) ou parfois elle se retrouve dans les départements de littérature comparée. Nous continuons de croire que la traduction, la civilisation, l'histoire et la critique littéraires ainsi que la littérature comparée ne constituent aucunement la littérature en objet d'étude : dans la dénégation de l'opacité de la langue et des frontières linguistiques ou culturelles, ce sont des entreprises d'enculturation par le corpus, que les étudiants connaissent peu et lisent encore moins, et par les genres, que les étudiants distinguent mal, ou par les époques, qui ne les intéressent plus ou qui ne les intéressent guère.

Le manuel d'études littéraires que nous proposons et qui est en cours de rédaction -- nous le diffusons sur WWW au rythme de notre enseignement et de notre recherche, qui sont inséparables -- a pour objectif de combler ces lacunes -- et d'autres, dont il sera question plus loin -- et de contribuer à la transformation des programmes. Il s'adresse d'abord et avant tout aux étudiants de premier et de deuxième cycles, mais aussi aux experts ou aux spécialistes (étudiants de doctorat et professeurs). Il cherche à éviter deux écueils qui s'opposent :

1°) présupposer qu'il y a la même érudition chez le lecteur que chez le scripteur -- d'ailleurs, l'érudition est un moyen et non une fin : c'est un outil de la pensée;
2°) s'en remettre à la vulgarisation ou à la simplification sous le prétexte que le lecteur est trop ignorant pour décoder un jargon ou une terminologie.

Le manuel vise à donner à l'étudiant les moyens de penser, d'étudier et d'analyser la littérature, de langue française surtout mais pas seulement; ces moyens, ce sont ceux de la lecture et de l'écriture : mieux lire pour mieux écrire, même au risque de moins lire et de moins écrire, mais relire et récrire davantage. C'est ainsi que, dans un premier temps (celui de l'apprentissage), est mise entre parenthèses la bibliothèque : il ne s'agit pas de savoir ce que les autres ont dit et de les citer ou de les réciter dans ce vain exercice scolaire qu'est la dissertation, mais d'être capable de dire ce que l'on pense et de penser ce que l'on dit d'une manière soutenue et cohérente tout en étant originale.

Revenons maintenant aux trois ouvrages dont il a été question au début. Ils ont en commun un éclectisme collectif : même s'il y a une direction, il n'y a pas de liens et de confrontations entre les diverses contributions. Toutes les disciplines sont retenues et présentées comme équivalentes; il n'y a pas de hiérarchie mais simplement un classement; au nom du pluralisme est sacrifiée la rigueur. Si vous consultez les tables des matières de ces manuels et celle du manuel de Wellek et Warren, vous pourrez reconnaître les distinctions suivantes :

1°) les généralités sur l'existence et la fonction de la littérature, sur le fait ou le phénomène littéraire, sur la culture et la société, sur la littérarité;
2°) l'approche externe du fonctionnement et de la communication littéraires, où il est question d'histoire des idées et des mentalités, d'histoire et de critique littéraires, de génétique ou de textologie, de biographie, de psychologie et de sociologie, d'esthétique de la réception et du paratexte;
3°) l'approche interne du texte par la description de son système et de ses structures ou de ses opérations; diverses disciplines apparaissent ou réapparaissent : poétique phonologique de la prosodie (ou métrique), stylistique philologique, rhétorique, génologie ou typique des genres, pragmatique, thématique et herméneutique pour l'interprétation et l'évaluation esthétiques, littérature comparée et ses avatars (intertextualité, traduction), poétique narratologique, sémiotique (souvent confondue avec sémiologie), grammatologie (identifiée ou non avec déconstruction), métapsychologie phénoménologique ou psychanalytique;
4°) les questions épistémologiques de méthode ou de méthodologie, de discipline et d'objet (pas toujours ou mal défini).

Selon nous, il importe de relier, dans un manuel d'études littéraires, la transcendance de l'approche externe et l'immanence de l'approche interne. C'est à la théorie de la littérature que revient la description et l'explication de la transcendance, tel que nous nous y sommes attardé dans Le pouvoir de la grammaire, La signature du spectacle, Le spectacle de la littérature et La puissance du sens. Cette théorie se distingue de l'histoire littéraire, de la critique littéraire et de l'esthétique littéraire qui constituent le discours institutionnel de la littérature, qui instituent la littérature et s'instituent; elle se distingue aussi des théories littéraires, qui sont particulières et singulières, alors que la théorie de la littérature est générale et unique : il y a une seule théorie de la littérature qui soit scientifique, si ce n'est pas simplement une théorie de l'écriture et si ce n'est pas une simple idéologie. La théorie générale de la littérature est la théorie qui permet de rendre compte du régime socio-historique de l'archi-texte (écrit avec un trait d'union, pour le distinguer de celui dont parle Genette et qui n'en est qu'une partie); de l'archi-texte comme chaîne ou procès de lecture, procès qui est irréductible à l'acte d'écrire, mais qui inclut le système de l'écriture, comme la tradition contient la révélation. Elle nous permet aussi de voir comment le discours institutionnel n'est qu'un aspect du récit constitutionnel (ou du parcours de la littérature), qui échappe au discours de l'histoire, de la critique et de l'esthétique.

La théorie de la littérature, qui est au fondement des études littéraires ou qui en est la refonte, est capable d'intégrer l'histoire et la dialectique dans le passage du discours au parcours, tout en ne confondant pas la critique sociologique (dont fait partie la sociocritique) et la critique socio-historique (qui va de la pratique à la critique). Elle s'attarde aussi à la transition de la critique à la théorie, avec la théorie critique et la critique radicale. Au niveau même du récit constitutionnel ou du parcours littéraire, interviennent l'esthétique de la réception, la théorie sociologique, la théorie socio-historique, la poétique, la socio-sémiotique et la grammatologie, mais d'une manière hiérarchisée et structurée ou organisée par un autre principe que l'éclectisme ou que le pluralisme : par la rigueur d'une méthode et la vigueur d'une transdiscipline.

Ici, pour clore la première partie de cet exposé, il convient d'ouvrir une parenthèse : il est de mise et à la mode de nos jours de proclamer que la chute du mur de Berlin est en même temps la chute du marxisme et que Marx est un chien crevé; c'est selon nous jeter le bébé avec l'eau du bain. C'est croire que les pays socialistes étaient ou sont des pays communistes et que le communisme est autre chose qu'une tendance (celle-là même de la liberté, d'une liberté qui n'est pas l'effet mais la cause de la démocratie), que c'est un état, une formation sociale dotée d'un mode de production et d'un État de droit. Le socialisme n'a été rien d'autre que la transition du féodalisme au capitalisme, transition qui s'achève jusqu'en Chine, et il n'y a jamais eu de pays communistes -- malgré Staline et Mao. Qu'il n'y ait pas eu d'autre révolution que bourgeoise en Occident est la preuve que le capitalisme n'a pas besoin du socialisme, sauf justement pour que le féodalisme accède au capitalisme, et cela donne raison à la critique de l'économie politique de Marx : un échec idéologique ou historique peut devenir une victoire scientifique ou théorique.

-- Ceci dit pour accorder la juste place aux théoriciens marxistes de la littérature, surtout les althussériens, et à ceux qui s'en inspirent ou qui ont su s'en démarquer, de Kristeva à Derrida en passant par Lévi-Strauss ou par Foucault et sans oublier le grand Debord. (Nous pourrions ouvrir une autre parenthèse au sujet du structuralisme, mais fermons plutôt celle-ci).

Dans la poursuite de ce manuel d'études littéraires, il nous faut aborder l'immanence de la littérature, c'est-à-dire le système esthétique du texte ou de l'écriture impliquant un registre rhétorique de genres, de styles et de figures. Pour cela, nous allons privilégier une méthodologie ou une discipline : la grammaire (linguistique et sémiotique) du texte. La sémiotique à base linguistique n'est pas une théorie de la littérature : c'est une science qui n'a pas pour objet la littérature mais le langage, la signification (et non les systèmes de signes propres à la sémiologie); alors que la poétique n'est pas une science, mais a pour objet la littérature. Comme grammaire du texte ou analyse textuelle, la sémiotique a une grande puissance de génération ou de généralisation et d'intégration de la symbolique et de la thématique, de la stylistique et de la poétique, de la rhétorique et de la pragmatique; elle a en outre un fondement métapsychologique, phénoménologique surtout; elle n'exclut pas une autre métapsychologie : la psychanalyse.

Nous allons d'abord nous attarder à une analyse particulière et singulière du poème, d'une série de poèmes en vers (réguliers ou libres) ou en prose. Le poème est un (archi)genre, comme la tragédie, l'épopée (ou le roman) et le drame. Traiter de sa forme de l'expression, par la sémiotique discursive, est l'occasion pour les étudiants d'apprendre que traduire n'est pas comprendre et construire ou produire du sens et aussi de comprendre que le langage n'est pas transparent et qu'il a une épaisseur même à la surface. Une analyse phonologique de la métrique et de la rythmique permet justement de concilier ou de réconcilier l'enseignement de la langue et l'enseignement de la littérature : analyser la versification et le rythme est un exercice favorable à l'apprentissage de la justesse de l'accent et du ton, de l'accentuation et de l'intonation indispensables à la langue parlée. Au niveau de la manifestation, du manifeste ou du présent et du conscient, une analyse morphologique des parties du discours et des catégories de la langue est complétée par une analyse des champs lexicaux, regroupés ensuite en champs sémantiques (plus synthétiques et plus abstraits). Peut alors être abordée, lentement mais sûrement et à partir de l'anaphorisation, l'analyse rhétorique de la métaphorisation, essentiellement de la métaphore et de la métonymie.

En insistant sur l'importance de la ponctuation (c'est-à-dire de la démarcation du corpus, de la segmentation ou du découpage en séquences et de sa justification, de la titraison en termes de présomption d'isotopie), il est alors possible de se concentrer sur la forme du contenu comprenant : la syntaxe et la sémantique des isotopies et des axiologies, des actants et de l'inversion des contenus, soit la grammaire sémio-narrative proprement dite, qui est capable de rendre compte du fondement archaïque -- et non seulement antique -- du texte, de l'archétexte... L'étudiant devrait alors être en mesure de savoir comment et pourquoi la poésie est et n'est pas de la fiction et que la poésie ne se confond pas avec le vers et ne s'oppose pas à la prose.

Débutant avec une transition par le poème en prose, une troisième partie sera consacrée à l'analyse du récit. Le récit est (archi)texte; ce n'est pas un genre, comme le roman, le conte ou la nouvelle : il ne se confond pas avec la fiction littéraire ou la prose romanesque. Le récit est la grammaire du sens; dans tout texte verbal ou non, littéraire ou non, dans tout discours, il y a (un) récit : le «discours du récit», cher à la narratologie de Genette, n'est que la dimension discursive du récit et non sa dimension narrative, sa narrativité. Le récit du discours est un drame actantiel, l'actant ne se confondant pas avec l'acteur, ni celui-ci avec le personnage et encore moins la personne; la narration n'en est que la communication et non l'énonciation. Le parcours génératif est la conversion de la profondeur en surface et la convocation de la profondeur par la surface; conversion et convocation par lesquelles il y a engendrement : reconstruction ou construction du sens. Le récit, c'est la vie; la vie, c'est le récit : il n'y a pas d'autre «grand récit» que le récit. La fin du récit sera(it) la fin de l'homme [...]

Une quatrième et dernière partie traitera de l'analyse générale du discours. Le discours est l'archigenre par excellence : surface et profondeur, histoire et théorie, époques et courants, corpus et genres, fiction et non-fiction, il a du volume, il est volume. Le discours est l'articulation du style, du genre et du récit. Nous tâcherons de proposer une typologie des (archi)discours qui ne soit pas basée sur l'énoncé mais sur l'énonciation, sur le mode d'énonciation qui varie d'un (archi)discours à l'autre : tragique, lyrique, épique et dramatique ou énonciatif, descriptif, narratif et argumentatif. Cependant, il ne faut pas confondre l'énonciation et la simple «mise en discours», qui n'est que l'énonciation énoncée (dans le site de l'énoncé); il nous faudra donc tenir compte aussi de l'énonciation présupposée, de la situation de l'énonciation, où le cours génitif du sens (dé)borde le parcours génératif de la signification et où la signature de la métapsychologie s'appose -- et non s'oppose -- à la grammaire de la sémiotique.

Nous tenterons de mieux définir et de mieux circonscrire le tragique, de déterminer ce qui constitue un (archi)discours tragique, un événement tragique, et d'établir -- en considérant la tragédie comme un procès -- le moment où un procès devient lui-même une tragédie. Interviendra alors l'esthétique transcendantale ou immanente du sublime et de la jouissance; jouissance à ne pas réduire au simple plaisir esthétique, qui est un effet esthétique et non une cause, une chose à défendre comme l'est la jouissance en position de vérité, tel que nous l'apprend la topologie des archidiscours, des quatre Discours, selon la sémantique de la psychanalyse, là où la parole s'énonce comme transdiscours.

Un manuel n'étant pas un traité mais un outil pédagogique, il ne peut se substituer à l'acte ou à la relation pédagogique; relation qui est basée sur le contact, le tact, le transfert et la transmission des connaissances et qui implique une dose de communion autant que de communication, parce qu'il y a justement de l'inenseignable. Dans un souci didactique de la discipline, ce manuel comprendra des exposés théoriques, des applications ou des illustrations, des exercices, des tests et des examens. Il est facile de s'y retrouver par les sommaires, les tables de matières et les index. Les références complètes se trouvent dans notre Bibliographie de pragrammatique, qui est disponible sur le même site, où notre manuel peut être éclairé par notre cours de linguistique : Diagrammatique du langage; linguistique générale et linguistique française. Les étudiants et le professeur peuvent en outre communiquer ou correspondre par courrier électronique, pour compléter la prestation en classe ou au bureau.

Dans ce manuel, nous ne parlons jamais de la vie des auteurs, sauf pour mentionner où et quand ils ont vécu et écrit; en classe, nous nous limitons à renvoyer à une liste des oeuvres principales de l'écrivain dont nous étudions un texte; mais il est nécessaire de situer, de dater et d'indiquer les genre des textes analysés. Dans nos applications ou illustrations, nous n'étudions pas tout le texte mais seulement une dimension, une couche, une tranche, un niveau, selon une méthode variable et versatile et sans nullement sacrifier la langue naturelle à la langue formelle,la formulation (esthétique) prévalant sur la formalisation (logique ou physico-mathématique).

Maintenant, quels sont nos critères de démarcation du corpus ou de sélection des textes :

1°) Un critère stylistique et rhétorique ou poétique, qui exige la variété de style et de genre ou de forme; il ne serait pas inutile, par exemple, de choisir un texte paralittéraire pour montrer que le fonctionnement y est semblable ou équivalent mais pas égal.
2°) Un critère historique et critique, qui est celui de la reconnaissance/méconnaissance : il est préférable d'étudier des textes connus, qu'ils soient reconnus ou méconnus, mais pas des textes inconnus; l'analyste n'est pas un archiviste, un annaliste, un spécialiste des archives et des annales.
3°) Un critère linguistique et politique, qui conduit à privilégier les textes en langue française mais d'une littérature francophone de la France ou d'ailleurs; il est souhaitable de choisir des textes intégraux et en langue originale; quand c'est possible, il est bon de confronter l'édition princeps et l'édition étudiée; pour des textes plus anciens, une édition bilingue est bienvenue; lorsqu'il y a adaptation de l'orthographe, il ne faut pas manquer de le mentionner.
4°) Un critère théorique ou scientifique, qui conseille de ne pas faire ou refaire, établir ou rétablir l'histoire littéraire en multipliant les découvertes, les redécouvertes, les résurrections, les reclassifications ou les reclassements (des générations et des sexes par exemple); il nous faut éviter les nouvelles hiérarchies, les nouveaux palmarès, les nouveaux répertoires et les nouveaux patrimoines, la quête de l'inédit et du nouveau -- parce que ça vient de sortir -- si nous voulons échapper au ressentiment et à la promotion ou aux campagnes publicitaires en faveur d'un livre ou d'un écrivain : nous n'avons pas à être des promoteurs, des imprésarios, des publicistes, des journalistes. Nous n'avons pas non plus à nous soumettre aux classements, chronologiques plutôt que logiques, de l'histoire littéraire, le siècle, par exemple, n'étant aucunement une unité de mesure pertinente en soi; ce n'est certes pas une unité de mesure capable de rendre compte de l'accélération des cent-cinquante dernières années...

Opposons l'histoire monumentale à l'histoire littéraire, qui est documentaire et antiquaire; opposons le monument au document, l'édifice à l'archive, et lisons les textes tel que nous le recommandait déjà Rimbaud, «littéralement et dans tous les sens» -- avec ou sans dérèglement, comme vous voulez (c'est affaire de tempérament), mais pas sans règles de grammaire -- et tout en étant «absolument moderne», la modernité étant synonyme, depuis Descartes, de méthode, de théorie, de science, de pensée; alors que la postmodernité est résistance à la théorie. Que les textes résistent à la théorie est un défi pour la théorie, une source et une ressource pour la théorie; d'une théorie qui n'abandonne pas, qui ne s'abandonne pas et ne s'adonne pas à la paresse de l'esprit et à l'idéologie, aux idéologies littéraires de toutes sortes, qui partagent le même optimisme du salut par la littérature : c'est l'idéologie de la salvation, qui est la dénégation de la finitude et qui est propre à la soi-disant avant-garde, même quand c'est l'arrière-garde prêchant le retour à l'orthodoxie ou l'appel à une nouvelle doxa ou à une nouvelle orthodoxie, qui est l'hétérodoxie, sous la forme d'une quête de l'hétérogène. Or, il y a de l'hétérogène, qui est une forme de résidu, une force résiduelle, dans tout texte. Avant d'être hétérogène ou postmoderne -- n'en déplaise au postmodernisme, cette nouvelle forme d'obscurantisme --, un texte est un texte avec sa grammaire (phéno-texte et géno-texte) et sa signature (architexte et archétexte), sa signification et sa signifiance, qui sont sources de sens ou ressources du sens. Le sens est textuel -- par sa texture ou sa textualité et par l'opération de la textualisation, dont la déconstruction est une modulation -- avant d'être intertextuel; quant au paratexte, c'est encore du texte, dont le titre est le nom propre.

Alors que l'histoire de la philosophie est l'histoire de l'oubli de l'être [cf. Heidegger], l'histoire de la littérature est l'histoire de l'oubli de la lettre; c'est pourquoi il n'y a pas d'histoire de la philosophie ou de la littérature qui tienne; il n'y a jamais qu'une philosophie ou une littérature de l'histoire... Depuis nombre d'années, nous nous acharnons -- certains penseront que nous y sommes enchaîné -- à dire que l'objet des études littéraires ne peut pas être défini par le corpus ou les genres, par l'histoire et la critique; qu'il peut l'être par le point de vue ou la méthode, par la théorie; c'est-à-dire qu'il doit l'être par le sujet, non pas comme thème ou rhème, comme prédicat, non pas comme concept (ou nom commun) mais comme non-concept (ou nom propre) qui est de l'ordre -- si c'est un ordre -- de l'antéprédicativité : non pas donc comme représentation mais comme affect. L'affectivité du sujet de l'énonciation n'est pas la subjectivité du sujet de l'énoncé, que celui-ci soit énoncif (dans l'énoncé) ou énonciatif (dans l'énonciation énoncée). Ce n'est pas non plus celle d'un individu (auteur, scripteur, lecteur, acteur) mais celle d'un pré-individu (selon Gilbert Simondon) : le sujet peut ou non devenir un individu ou une espèce, un genre ou un nombre.

En terminant, nous nous permettons de renvoyer à notre dernier livre, Le sujet; inconscient, origine, énonciation ou Du nom propre, dont vous pouvez trouver la table des matières détaillée sur le même site et où nous poursuivons notre projet de science générale de l'homme par le trajet d'une science subjective du sens comme monde et langage.