L'origine du langage et donc de l'homme (Homo
sapiens) est problématique et hypothétique, spéculative et
controversée, peut-être indécidable plutôt
qu'infalsifiable ou que falsifiable :
1°) Il s'agit d'une mutation, le langage étant un
véritable organe [Chomsky, Bickerton]; cette mutation
aurait eu des conséquences physiologiques comme la
réorganisation du cerveau et la descente du larynx; mais
les mutations sont rarement fertiles ou productives et la
question demeure : quand aurait eu lieu cette mutation,
avec l'Homo habilis ou l'Homo sapiens?
2°) Pour la théorie néo-darwinienne ou synthétique de
l'évolution, le langage est l'adaptation graduelle du
comportement humain à l'environnement sous la pression de
la sélection naturelle : c'est un instinct [Pinker]; en
d'autres mots, la bipédie est l'origine d'un gros cerveau
et le cerveau est l'origine du langage : c'est la règle de
trois.
3°) Pour d'autres partisans ou artisans de la même
théorie, mais avec des (pré)occupations sociales,
politiques ou idéologiques (socialisme, libéralisme,
féminisme), le langage est une institution, c'est-à-dire
une invention ou une innovation de l'homme sous la poussée
de «l'intelligence sociale» : les grands groupes de
prédateurs s'adaptent avec un plus gros cerveau et un plus
petit système digestif, car le cerveau consomme beaucoup
d'énergie, et en résulte le langage [Dunbar]; avec le même
fonctionnement ou le même mécanisme (le cerveau), il y
aurait une nouvelle fonction, le langage favorisant la
rapidité et l'efficacité de la communication ainsi que la
cohésion sociale par la transmission de l'information;
l'intelligence sociale comprend l'ensemble des rapports
sociaux chez les primates : la chasse, le partage de la
nourriture, le toilettage, la sexualité, la prise en
charge des enfants, la division sexuelle du travail et
l'altruisme (génétique ou cognitif et non personnel,
professionnel, intellectuel ou sexuel); l'intelligence
sociale est donc essentiellement dialogue, commérage,
avant d'être monologue (intérieur), soliloque; or,
n'importe qui peut s'exclure de la première personne du
pluriel, sauf celui qui l'emploie et qui peut être le seul
du groupe usant du "nous" de majesté, le père souverain :
n'importe quel "je" peut s'exclure du "nous" et dire
"vous"...
4°) Pour ceux qui se démarquent ou s'éloignent de la
théorie synthétique de l'évolution, le langage n'est pas
une adaptation graduelle ou continue de l'évolution par la
sélection naturelle; s'il n'avait été qu'une adaptation,
le risque d'extinction aurait été trop grand; si
l'adaptation est l'ensemble des traits retenus par la
sélection naturelle en fonction de la survie, l'aptation
est l'ensemble des caractères utiles aux organismes et
l'exaptation est l'ensemble des traits apparus dans un
contexte (fonctionnement ou mécanisme de l'adaptation)
mais qui, par aptation, servent à un autre usage
(fonction) : le langage est donc une exaptation, comme les
plumes de l'oiseau, qui avaient d'abord été une adaptation
de la chaleur du corps à l'environnement avant de
contribuer à l'émergence de l'aile dans la mécanique du
vol, ou comme les mains de l'outil au piano [Gould,
Tattersall]; avec cette exaptation, il y a continuité dans
le fonctionnement ou le mécanisme (inné) mais
discontinuité dans la fonction (acquise) : le langage est
alors acquisition de la grammaire comme représentation et
signification.
5°) L'origine du langage est irrémédiablement inséparable
de la fondation de la paternité; le langage est
ponctuation de l'univers : il est récit, dont le commérage
n'est qu'une forme; de là, de ce «centre narratif de
gravité», l'explosion de la création d'il y a 40 ou 45 000
ans!
Ces hypothèses ne sont évidemment pas
incompatibles. Mais il est nécessaire d'aborder aussi
autrement l'origine du langage articulé, c'est-à-dire de
la langue parlée. Pour certains, cette origine est
visuelle : c'est le geste (le toilettage) qui mène à la
parole [Dunbar, Gibson]; pour Cassirer, c'est
l'exclamation, c'est-à-dire l'interjection, qui est
l'origine de la langue : c'est donc une origine auditive,
comme chez Rousseau et Herder; pour Knight, il s'agit
d'une protoculture prélinguistique (mimétique) faite de
gestes, de danses et de chants qui est l'origine de la
langue et d'une culture (mythique avant de devenir
théorique et après avoir été épisodique, selon Donald). De
cela ressort que ce n'est pas seulement le cerveau qui est
à l'origine de la langue mais tout le corps
(âme/chair/coeur), la latéralisation même du cerveau étant
irréductible à la localisation cérébrale, les troubles du
langage à l'appui.
L'âme est le canal primaire; c'est le sens des
organes; les organes des sens sont les canaux secondaires,
l'odorat, jadis central entre le toucher et le goût d'une
part la vue et l'ouïe d'autre part, étant devenu
pratiquement un canal tertiaire (à cause de la bipédie et
du tabou du sang). Le corps (propre) est le sujet
énonciatif. Il peut être sensible ou objectif
(transcendant); il est alors le sujet pragmatique de la
perception externe, le locuteur : c'est le sujet
extéroceptif du contact (brut ou brutal). Il peut être
organique; il est alors le sujet cognitif de la perception
interne, l'observateur : c'est le sujet intéroceptif du
regard (introspectif mais à distance). Il peut être
originaire ou subjectif (immanent); il est alors le sujet
thymique de l'énonciation, l'énonciateur et le co-énonciateur (et leur point d'indifférence) : c'est le
sujet proprioceptif de la voix et du tact (schéma corporel
et image du corps, chair et coeur)...
Pour la naissance et l'évolution de la langue
parlée et la diversification des langues qui s'ensuit, il
semble y avoir trois scénarios possibles :
1°) L'origine est unique : une protolangue se développe en
langue et elle entre en contact avec d'autres protolangues
qu'elle assimile ou colonise, mais qui peuvent
l'influencer au niveau du vocabulaire (substrat); il y a
alors colonisation ou substitution : acculturation.
2°) L'origine est multiple : chaque protolangue se
transforme en langue d'elle-même et il y a alors
divergence ou convergence entre les langues après.
3°) L'origine est unique mais répétitive : une protolangue
se transforme en langue et elle entre en contact avec
d'autres protolangues qui se transforment à leur tour en
langues, qui peuvent à la limite réduire la langue
première à un superstrat adoptant la (proto)langue
seconde; c'est ce qui conduit à la diversification
linguistique, depuis environ 15 000 ou 20 000 années, mais
surtout depuis la fin des glaciations il y a 12 000 ans et
le début des migrations indo-européennes ou autres.
La protolangue, selon Bickerton, correspond à la
communication apprise d'un chimpanzé, au pidgin, à une
langue seconde au début de son apprentissage et mal
maîtrisée et au parler d'un enfant de moins de deux ans,
c'est-à-dire avant la descente du larynx à l'époque du
sevrage, un nouveau-né ayant la même glotte qu'un
chimpanzé à la naissance; mais, chez le chimpanzé, elle ne
descend jamais. Avant la protolangue, il ne peut y avoir
que des interjections : des cris involontaires de douleur
ou de plaisir et des cris volontaires d'appel ou
d'avertissement comme chez le vervet, ainsi que des
onomatopées motivées ou arbitraires, conventionnelles et
variables d'une langue à l'autre, et des jurons.
Avec la protolangue, viennent les noms propres de
langue et les symboles, qui ont une sémantique minimale
mais pas de syntaxe structurée, la syntaxe n'étant alors
que phonologique ou lexicale; elle est donc dominée par le
vocabulaire. Après les noms propres, viennent les noms
communs et les adjectifs; autrement dit, les lexèmes. Le
verbe est la transition ou plutôt un saut -- s'il n'y a
pas eu d'interlangue, comme le proclame Bickerton -- de la
protolangue à la langue; c'est une sorte de catastrophe
(au sens de Thom et non de Cuvier). Le verbe est le lien
entre le prédateur et la proie dans le lacet de prédation;
mais cela ne veut pas dire qu'il se situe nécessairement
entre le sujet et l'objet : beaucoup de langues placent
l'objet au début ou après le sujet et donc avant le verbe,
car il arrive que dans le lacet de prédation le prédateur-sujet soit la proie-objet... Sans doute que les
auxiliaires et les verbes irréguliers sont plus anciens
que les verbes réguliers, tout au moins dans la langue
française. Avec la langue comme système ou structure du
langage, advient ou survient la grammaire, c'est-à-dire
les morphèmes : les morphèmes de conjugaison, de
déclinaison et de dérivation et les grammèmes
(déterminants, pronoms, adverbes, joncteurs) -- tout au
moins dans l'ontogenèse, sinon dans la phylogenèse.
Le langage n'est pas que verbal, n'est pas que la
langue, car il y a communication sans langue, voire sans
langage. Il existe des langages non verbaux : la langue
des signes des sourds-muets, où il semble cependant y
avoir double articulation, le morse, le braille, la langue
tambouriné de la République centrafricaine du Congo, les
drapeaux de la navigation, le code de la route, la fumée
des Apaches, le siflo des Canaries, les langues verbales
artificielles comme l'espéranto ou l'"europanto". Il y a
d'autres modes de communication que le langage; il y a la
communication animale ou le langage de l'animalité. Les
animaux, dont l'homme, communiquent par signaux et par
signes : les insectes sociaux (termites, fourmis,
abeilles), par leur odorat; les oiseaux, par leurs chants
(il n'y a que les mâles qui chantent, semble-t-il); les
mammifères, par leurs cris et par leurs jeux ou par leurs
regards, sans parler de leurs odeurs et des ondes qu'ils
émettent (chauves-souris, éléphants, dauphins, baleines);
les primates, par leurs cris, leurs jeux, leurs regards,
leurs mimiques, leurs gestes, leurs postures, etc.
Cependant, il ne faut pas confondre le langage de
l'animalité et l'animalité du langage, ni non plus
l'oralité du langage, c'est-à-dire la parole ou la voix,
et le langage de l'oralité, c'est-à-dire le parler ou la
parlure. Le langage est affect et représentation : il est
animalité et oralité. Le langage de l'animalité passe par
le corps; l'animalité du langage, c'est l'âme comme canal
primaire ou originaire. Le corps s'incarne dans le langage
et le langage s'incorpore dans le corps (ou les trois
corps). Le langage du corps comprend la gestualité, la
théâtralité, la territorialité et la sexualité. La
gestualité est kinésique ou kinesthésique; elle implique
la musculature et l'équilibre, qui est réglé par l'oreille
interne et donc par le tact; elle inclut la gestuelle, la
gesticulation, les gestes, les mimiques, les postures, la
marche ou la démarche, la danse, la natation,
l'athlétisme, l'acrobatie, le contorsionnisme. La
théâtralité, vocale sans être verbale, est prosodique, du
cri au silence, de la mélodie à l'harmonie, du rythme au
jeu, de l'humour à l'ironie, du mensonge à la séduction.
La territorialité est proxémique; l'espace corporel (corps
propre, schéma corporel et image du corps) s'entremêle
avec l'espace territorial. La sexualité emmêle tout!
Le corps est parlé par et dans les proverbes, les
dictons, les jurons, les expressions idiomatiques, les
émotions, les passions et les euphémismes sexuels. Il
l'est par l'intonation, c'est-à-dire par la mélodie, dont
les quatre indices suprasegmentaux sont le fondamentale de
la voix : la hauteur de la mélodie, le ton qui varie en
fonction de l'énonciataire; l'intensité ou le timbre qui
assure le tout de parole (garder, passer, donner, laisser
la parole); la durée ou le débit qui mesure l'écart entre
le penser et le parler; la pause-silence ou l'arrêt qui
permet de résumer, de synthétiser ou de relancer après une
transition [Morel et Danon-Boileau].
De l'animal à l'animal humain, il y a passage de
l'embrayage au débrayage : les insectes sociaux sont
surprogrammés; les animaux sauvages (de la jungle ou du
cirque) et les animaux domestiques (du zoo ou de la ferme)
sont programmés; les primates sont sous-programmés. Dans
son apprentissage, de l'enfant à l'adulte, du corps
(manger, s'agripper, s'accrocher, se traîner, grimper,
marcher, lancer) à la parole (penser, parler, chercher,
posséder), l'homme passe de l'être à l'avoir, du moi au
monde, de la situation (présente) au site (absent) : il
débraie. L'homme est un animal nécessairement embrayé qui
est aussi débrayé. Ainsi y a-t-il des troubles de
débrayage : les troubles de langage (la surdité, le
mutisme, la dyslexie, le bégaiement), l'autisme (qui n'est
pas un désordre génétique mais généalogique), le
narcissisme et la psychose.
La triple articulation du langage inclut la
double articulation (des phonèmes et des monèmes) et les
deux axes de la langue. L'axe paradigmatique (ou vertical)
est l'axe de sélection ou d'association; c'est l'axe de la
similarité, du paradigme, de la métaphore et de la
condensation; c'est l'axe qui conduit à la dérivation ou
à l'intégration lexicale et à la dérivation morphologique,
ainsi qu'à la description. L'axe syntagmatique (ou
horizontal) est l'axe de la consécution ou de la
combinaison; c'est l'axe de la contiguïté, du syntagme, de
la métonymie et du déplacement; c'est l'axe qui conduit à
la conjugaison et à la narration. Ainsi y a-t-il deux
principes de classification : le principe métaphorique,
qui distingue les parties entre elles et les compare, et
le principe métonymique, qui inclut les parties dans le
tout ou dérive les parties du tout ou le tout des parties
selon «l'air de famille»... La triple articulation du
langage s'incorpore dans la triple articulation de la
subjectivité, qui s'incarne elle-même dans la triple
articulation du sens (de la vie) entre l'homme (comme
voix, regard et visage), le langage (comme énonciation,
signification et communication) et le monde (comme vision,
visée et vue : point de vue, image et paysage).
La parole est le sens de la vie et la vie du
sens. Elle est sexuelle ou sexuée : les hommes parlent
deux fois plus d'eux-mêmes que des autres, ils se vantent
et se vendent, les compères; les femmes parlent deux fois
plus que les hommes mais aussi deux fois plus des autres
que d'elles-mêmes, elles annoncent et dénoncent, les
commères. Les femmes souffrent moins des troubles de
langage que les hommes : il y a moins d'aphasiques, de
dyslexiques et de bègues chez les femmes que les hommes,
peut-être parce qu'elles rient et sourient davantage
[Dunbar]; peut-être y a-t-il aussi moins de gauchères que
de gauchers -- cela reste à vérifier et à confirmer ou à
infirmer. La parole est l'attachement à la langue
maternelle entendue comme idiome et comme organe; c'est
pourquoi le détachement de la langue maternelle, dans
l'acquisition (l'apprentissage, la spécialisation et la
traduction) d'une langue seconde, est aussi difficile --
et encore plus difficile pour les hommes que pour les
femmes! Aussi faudrait-il apprendre à enseigner une langue
étrangère, non pas à partir de la langue maternelle mais
à partir du langage, en tenant compte du fait que les
humains s'adaptent aux langues autant que les langues aux
humains [...]
Politique
Il n'y a pas plus de science politique que d'art
politique; mais il y a de la philosophie politique, qui
peut prendre la forme de l'éthique et de la morale ou de
la stratégie et de la tactique. Le clivage entre
l'Occident et l'Orient est sans doute irréconciliable et
irrémédiable parce que le premier vit d'une taxinomie
thymique mais d'une axiologie véridictoire (par le droit
et la guerre), tandis que le second (sur)vit d'une
taxinomie véridictoire mais d'une axiologie thymique (par
la religion et le terrorisme). Il y a mondialisation et
globalisation dans une sorte d'empire dont l'empereur est
un pays où se multiplient les conflits et les mouvements
sociaux de toutes sortes et où règne le crime organisé. Le
pouvoir se fait biopouvoir et la bioéthique autant que la
biopolitique et la biotechnologie y contribuent: si la
société d'hier peut parfois donner raison à la
sociobiologie, la société d'aujourd'hui lui donne souvent
tort : les femmes battues et les enfants tués par leurs
parents n'ont certes pas pour cause la reproduction et la
survie des gènes!
L'Université, l'alma mater qui est le produit de
cette société, incapable qu'elle est d'assurer une
quelconque souveraineté, est une institution aux prises
avec la lutte des mères : il n'est pas insignifiant que
des disciplines comme l'éthologie, la primatologie, la
biologie, la psychologie et la sociobiologie de
l'évolution aient été investies par de plus en plus de
femmes, avec ou sans féminisme, qui est la relève de
l'humanisme moribond. Qui dit lutte des mères dit lutte
des sexes, mais aussi lutte des langues, des langues
maternelles : il est indubitable que le succès de la
théorie de l'évolution est inséparable de la langue
anglaise; il n'y aurait pas eu de darwinisme et de néo-darwinisme si Darwin n'avait pas parlé et écrit en
anglais, malgré la soi-disant neutralité et la pseudo-universalité de la science et même s'il est mal vu de
l'affirmer. Les disciplines sont biaisées -- et baisées --par les langues!
Malgré l'épistémologie des paradigmes
et des
programmes de recherche et malgré l'épistémologie de la
falsifiabilité, la science n'échappe pas aux frontières
économiques, politiques, idéologiques et linguistiques :
aux politiques linguistiques et historiques. C'est ainsi
que quand on n'a pas d'histoire (autre que guerrière ou
meurtrière) ou qu'on en a trop, il arrive que l'on fasse
de la préhistoire, de l'anthropologie ou de la biologie;
il arrive aussi que l'on passe de la politique à la
science, du parti à l'université, de la lutte contre le
père-culture à la lutte pour la mère-nature, comme les
maoïstes français des années 1970... Il est significatif
que Popper ait contesté la scientificité des grands récits
: l'histoire ou le marxisme, la psychanalyse ou le
freudisme et la théorie de l'évolution ou le darwinisme
(il est revenu sur ses paroles pour l'histoire de la vie
selon le néo-darwinisme). Il est aussi curieux que
beaucoup, de Bickerton à Pinker, cherchent à concilier ou
à réconcilier deux théories qui sont incompatibles, Darwin
et Chomsky, mais que très peu tentent de soutenir deux
théories qui sont compatibles, Darwin et Freud, tout au
moins jusqu'à la pulsion de mort [Phillips]. Il est
improbable que tout le monde se trompe, sauf un, que ce
soit Darwin, Freud ou Chomsky! -- Le penser est une
manière athée de croire en Dieu le Père...
L'un des effets d'institution de l'Université est
justement la confusion du but et de l'effet, du vouloir et
du pouvoir, du savoir et du devoir. Il y a des buts
respectables qui ont des effets regrettables : les dites
sciences de l'éducation, de la pédagogie à la didactique,
par exemple. Il en sera de même de la biologie, si elle
s'allie à la biopolitique, à la médecine et à la
psychiatrie en vue d'une biotechnologie (dé)négatrice de
la mort, l'Homo sapiens étant la seule espèce qui reste
capable de faire face à la mort : (dé)nier le langage, la
parole de l'inconscient ou lalangue (en un mot selon
Lacan), c'est (dé)nier la mort! Cela tient d'une folie
collective qui s'est jadis incarnée dans le christianisme
(issu d'une folie individuelle : l'hystérie de Jésus ou
l'obsession de Paul) et dans d'autres formes d'humanisme.
Le clonage est la fin de l'humanité; c'est un crime contre
l'humanité. -- Et il y a encore pis que les manipulations
génétiques, que les manipulations de gènes : il y a les
manipulations génériques, les manipulations de genres...
L'Université devrait être le lieu de la lutte
contre l'ignorance et contre la confusion, des confusions
entre la foi et la loi ou entre la religion et la
politique par exemple. Tenant de l'universel ou du
mondial, et non pas du national ou du partiel et du
partial, elle devrait être un moyen d'apprendre à penser
par soi-même, un moyen d'apprendre à ne pas penser comme
les hommes d'affaires, les journalistes et les
politiciens, comme les chefs politiques, les chefs
militaires et les chefs religieux -- surtout quand ce sont
les mêmes! Mais l'Université est prisonnière ou victime du
spectacle, de la société du spectacle : de la société du
regard et du regard de la société, du fantasme hystérique
du regard, de l'obsession du regard. Autant la
phénoménologie, comme (méta)physique du regard, est une
théorie produite par une psychose, autant la sociobiologie
l'est par une névrose : le délire de la vue. La société du
spectacle est le déclin de la voix au profit du regard. Il
y a perte de la voix depuis l'invention de l'écriture, de
la typographie, de l'imprimerie et de l'ordinateur; perte
de la voix (directe, immédiate, immédiatement sociale) par
d'autres prothèses ou d'autres pratiques aussi : le
télégraphe, le téléviseur, le baladeur, le répondeur
téléphonique, le téléphone cellulaire, le courrier
électronique, la banque à distance, la dispersion du
voisinage dans la banlieue, le silencieux jogging, le
bruyant gymnase, le brouhaha des stades, etc. [Locke].
Les styles, les genres, les modes, les régimes ou
les formes de vie ne suffisent plus à nourrir
l'imagination, dont la destinée est le déclin
spectaculaire dans la passivité; il nous faudrait des
programmes de vie -- un programme de vie qui ne serait pas
minimaliste à la Chomsky mais un nouveau grand récit
(Heidegger disait : une mythologie) -- pour contrer les
idéologies du progrès scientifique et de la décadence
culturelle ou de la justification biologique (génétique)
du socio-historique dont souffre l'homme ordinaire en sa
langue ordinaire; pour contrer la gloire triomphatrice des
vainqueurs; pour, en un mot, contrer l'ignorance. Pour
cela, il faudrait plus d'oreille, plus d'écoute -- et des
gestes et une geste : des légendes, des contes, des
récits... Selon Lacan, il y a trois passions fondamentales
: l'amour, la haine et l'ignorance. Tout les monde connaît
l'amour et la haine : aimer ou haïr l'amour, la haine, le
sexe, l'alcool, la drogue, le jeu, la vitesse, l'école,
l'université, le travail, la ou une langue, l'écriture, la
lecture, la littérature, la culture, la nature, la
religion, la politique, la guerre, le sport, la chasse, la
pêche, la collection, la mode, la musique, le cinéma,
l'artisanat, l'art en général et l'autre en particulier.
Mais qui sait que l'ignorance est à la racine des deux
autres passions? Personne ne sait pourquoi il aime ou
hait; et, si on sait comment haïr, on sait tout juste ou
à peine comment aimer...
-- Piètre consolation!
JML/13 novembre 2002