CONCLUSION

Une anthologie des Contes de Jacques Ferron comprendrait une trentaine de contes, des plus intéressants aux plus signifiants, des plus importants aux plus puissants (étant ou ayant la puissance en acte de la valence ou de la pulsion); en ordre chronologique : «Martine», «Suite à Martine», «La jeune nonne», «Le secret», «La vache morte du canyon», «Une fâcheuse compagnie», «Le perroquet», «Le chien gris», «Mélie et le boeuf»; «, Chronique de l'Anse Saint-Roch», «La Mi-Carême», «Retour à Val-d'Or», «Servitude», «Le bouquet de noce», «Le pèlerin», «Jérôme Salvarsan», «Le paysagiste», «Le bouddhiste», «Les provinces», «La laine et le crin», «Les Méchins», «La voisine», «Les cargos noirs de la guerre», «Le fils du geôlier», «Cadieu», «Armaguédon», «Le lutin», «La dame de Ferme-Neuve», «La corde et la génisse» et «La sorcière et le grain d'orge» -- peu, donc, de Contes "oubliés"...

Deux typologies actorielles sont possibles : une sociologisante, où il y a un plusieurs acteurs pour un même actant, et une psychologisante, où il y a un seul acteur pour plusieurs actants. Mais il y a une distribution actorielle qui peut s'imposer comme la synthèse de la distribution sociologisante et de la distribution psychologisante, court-circuitant ou télescopant ainsi le collectif et l'individuel; ressortent alors des Contes : le médecin-vicaire (et son personnage), le curé, le bonhomme, l'habitant, la sage-femme, la prostituée (et son maquereau ou sa maquerelle), la nonne et l'hystérique. L'hystérique ne répond pas aux questions, il/elle ne résout pas les problèmes; il/elle a seulement des questions, des problèmes insolubles. L'hystérique a le problème d'être nonne, la nonne (la non-sage-femme) a le problème d'être vierge, la prostituée (la non-hystérique) a le problème d'être (une) fille, la sage-femme a le problème d'être (ou de ne pas être) mère; l'habitant (ou son envers, son revers : l'exilé) a le problème d'être fils, le bonhomme (le non-curé) a le problème d'être père, le curé (le non-habitant) a le problème d'être "mon père", le médecin a le problème d'être lui-même "curé des corps".

De la guerre des générations à la guerre des sexes, du complexe d'Oedipe au complexe de castration, de l'angoisse de castration (du fils) à l'envie de pénis (de la fille), de l'homme à la femme, du taureau à la vache, il y a des «échanges nécessaires» [cf. «Suite à Martine» : LA PROGRAMMATION NARRATIVE] : échange de biens ou de services, échange de personnes, échange de paroles. La prostituée (con)fond les biens ou les services et les personnes; la sage-femme oeuvre au travail de la fécondité; l'habitant n'a que les biens de son travail, de sa productivité; le curé ou le médecin de service prétend à la souveraineté des paroles.

Mais de la même manière que la prostitution est la sexualité de (par) l'anonymat et l'anonymat de (pour) la sexualité, l'anonymat est la prostitution de (pour) l'identité et l'identité de (par) la prostitution : problèmes d'identité, d'identification, d'insatisfaction (impuissance, frigidité, virginité). La prostitution est l'échec du mariage, comme la médecine est l'échec de la sa(i)n(te)té; la prostituée est l'échec du couple (homosexuel ou hétérosexuel), comme le curé des corps l'est du médecin des âmes...

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Les Contes de Ferron sont marqués par la répétition, non pas surtout d'un conte à l'autre, mais du début à la fin d'un même conte : par le rythme du leitmotiv et par le leitmotiv du rythme. Le rythme est métamorphose et la métamorphose est rythme : métamorphoses de la mythologie juive et de la mythologie grecque : de la Bible et de l'Odyssée; métamorphoses de la tradition et du folklore : des mythes et des légendes, des dieux et des héros, des humains et des animaux. Et qui dit métamorphose dit souvent métaphore et métonymie : mouvement ou rapidité, mais parfois aussi (méta)stase : repos ou lenteur -- ou accès et excès de vitesse... Il ne s'agit pas de métaphysique!