AVIS AU LECTEUR

    Ce travail s'adresse d'abord et avant tout aux enseignants et aux étudiants dont la langue maternelle est le français et à ceux qui sont dans le processus de spécialisation, et non d'apprentissage, de la langue française; l'objectif principal est d'améliorer la lecture, d'enseigner à mieux lire, c'est-à-dire à lier davantage -- lire et relire pour lier et relier -- et à ainsi aller au delà du simple décodage : la compréhension n'est pas la traduction; l'explication n'est pas que la compréhension.

    L'ouvrage est divisé en seize séries ou sous-séries de contes; cette division est logique (grammaticale) : il n'y a pas de suite chronologique d'une série ou sous-série à l'autre; mais au sein de chacune des séries ou sous-séries, l'ordre chronologique de l'édition critique des Contes est respecté.

    Ceci est une entreprise technique d'analyse, c'est-à-dire d'interprétation, et non de théorie ou d'élaboration; il ne s'agit donc pas de procéder de la profondeur (abstraite) à la surface (concrète) ou du contenu latent au contenu manifeste, mais de la surface à la profondeur ou du contenu manifeste au contenu latent : de la grammaire-objet à la grammaire-sujet. D'une section à l'autre, il ne pourra y avoir que retours en arrière et projections en avant, sans pour autant qu'il n'y ait beaucoup de renvois d'un conte à l'autre; la textualité prévaut ainsi sur l'intertextualité, la littéralité sur la littérarité.

AVERTISSEMENT

    Les termes conceptuels, qui ne sont pas définis ici, le sont dans le Manuel d'études littéraires de ce même site, plus particulièrement dans Analyse du poème et Analyse du récit. Le lecteur peut se référer à l'Index du même manuel pour s'y retrouver plus facilement et plus rapidement. Il doit aussi se munir d'un très bon dictionnaire unilingue français comme Le Petit Robert 1 et s'en servir le plus possible, surtout ne pas hésiter à creuser les définitions des lexèmes des titres; un dictionnaire de noms propres comme Le Petit Robert 2 peut aussi être utile; enfin, étant donné l'origine québécoise des Contes, le lecteur consultera avec profit le Dictionnaire Général de la Langue Française au Canada compilé, édité et imprimé par Louis-Alexandre Bélisle, A.C.B.A. Bélisle, Éditeur Inc. Québec; 1971 [1954, 1944] (XVI + 1392 p. : 56,820 articles et 3,065 illustrations).


AVANT-PROPOS

    La grammaire est à la fois un objet et un sujet; comme objet, elle est le système et le procès de la langue et du discours; comme sujet, elle est la théorie de la langue, celle-ci étant elle-même la théorie de l'Univers. Du sujet de l'énonciation à l'énonciation du sujet, il y a le processus de la langue : la grammaire -- le texte. La langue est au langage ce que le posssible est au passible, ce que le prépensable est à l'imprépensable, ce que le pouvoir est à la puissance : ce que le "barbare" est au "sauvage". Ressource de la langue, le discours est im/possible, im/pensable, im/puissant : "civilisé". La parole est la source de la langue et du discours, la (res)source du langage.





CLASSIFICATION

    Il est ici procédé à une classification des Contes de Jacques Ferron à partir de l'édition intégrale [EI] [Éditions HMH ; Montréal; 1970 [1968] (212 p.) et Bibliothèque québécoise; Montréal; 1993 (312 p.) Présentation de Victor-Lévy Beaulieu : «Jacques Ferron ou la magie retorse»] et de l'édition critique [EC] par Jean-Marcel Paquette [Les Presses de l'Université de Montréal (Bibliothèque du Nouveau Monde). Montréal; 1998 (390 p.)]; le critère de classification n'est pas l'énoncé (thématique) mais l'énonciation (problématique).

    Parmi les dix-sept Contes du pays incertain [1962], les vingt-trois Contes anglais [1964] et les quatre Contes inédits [1968], il y a vingt-quatre contes débrayés, douze contes embrayés et huit contes débrayés et embrayés, en ne tenant compte que du brayage actantiel, c'est-à-dire de la position d'énonciation du premier observateur qu'est le narrateur : narrateur-conteur (hétérodiégétique) pour les contes débrayés et narrateur-acteur (homodiégétique) pour les contes embrayés; dans les contes débrayés et embrayés, le narrateur est, ou bien les deux, ou bien il est plus qu'un narrateur-conteur mais moins qu'un narrateur-acteur : c'est un narrateur-raconteur. Parmi les vingt-sept contes supplémentaires de l'édition critique, il y a huit contes débrayés, douze contes embrayés et sept contes débrayés et embrayés; contrairement à l'édition intégrale, il y a beaucoup moins de contes débrayés. Pour chacun des contes, il y a débrayage énonciatif initial, dès le titre, par le dernier observateur qu'est le lecteur.

Il s'agit donc d'une classification grammaticale, plutôt que d'une classification économique (éditoriale), politique (chronologique : «le classement chronologique s'avère, par là même, impossible et n'aurait de toute façon, pas mené à un classement pertinent» [DOLQ, p. 200], soi-disant critique et de manière contradictoire : «le seul ordre qui fût logiquement acceptable, celui de la chronologie stricte du premier état imprimé de chacun des textes» [EC, p. 13]) ou idéologique (comme celle que propose Paquette, selon le sujet et la forme, mais «tout aussi arbitraire que celui des éditions», dans le Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec : les contes dits «personnels», qui sont embrayés et où le narrateur est médecin comme l'auteur; les contes «folkloriques», «dont on trouve la trace dans le grand réservoir narratif de l'humanité»; les contes «animaliers», où ne figure même pas «Une fâcheuse compagnie»; les contes «politiques» du pays «incertain» [DOLQ, tome IV : 1960-1969; Fides; 1984 (p. 200-203)].

Les Contes du pays incertain comptent trois séries [l'année de la parution originale en revue, s'il y a lieu, est indiquée entre crochets] :

1°) une série de neuf contes débrayés :

«La vache morte du canyon» [1953], qui est le plus long conte du recueil, «Le chien gris» [1953], «Mélie et le boeuf» [1954], «Retour à Val-d'Or» [1955], «Servitude» [1955], «La mort du bonhomme» [1956], «L'enfant» [1957], «Le paysagiste» [1959] et «Les provinces» [1960].

2°) une série de six contes embrayés :

«Une fâcheuse compagnie» [1953], «Le perroquet» [1953], «La Mi-Carême» [1955], «L'été» [1957], «Le pont» [1961] et «Cadieu»;

3°) une série de deux contes débrayés et embrayés :

«L'archange du faubourg» [1960] et «Les Méchins» [d'abord publié sous le titre de "Le narcomane" en 1960 : les titres des contes seront indiqués entre guillemets américains, alors que les contes eux-mêmes le seront par les guillemets français; de même, les citations entre guillemets américains dans les citations entre guillemets français sont entre guillemets français dans le texte].

Les Contes anglais -- on se demande ce qu'ils ont de plus anglais et de moins incertain que les Contes du pays incertain -- comprennent aussi trois séries :

1°) une série de treize contes débrayés :

«Le déluge» [1955], «La perruche» [1955], «Le bouquet de noce» [1955], «Le pigeon et la perruche» [1957], «La laine et le crin» [1960], «Le vieux payen» [1961], «Le petit Chaperon Rouge» [1961], «Il ne faut jamais se tromper de porte» [1962], «Les cargos noirs de la guerre» [1962], «Le fils du geôlier» [1962], «Ulysse» [1963], «Les sirènes» [1963] et «La corde et la génisse» [1964];

2°) une série de six contes embrayés :

«Bêtes et mari» [1957], «Le bouddhiste» [1960], «Le petit William [1961], «La voisine» [1962], «L'otarie» [1962] et «Armaguédon» [d'abord paru, en une version plus courte, sous le titre de "La mort réussie" en 1963];

3°) une série de quatre contes débrayés et embrayés :

«Martine» [1952], «Suite à Martine» [1952], «Retour au Kentucky» [1960] et «La dame de Ferme-Neuve» [1964].

Les Contes inédits -- qui ne le sont pas, ayant déjà paru dans Amérique française ou dans Châtelaine -- comprennent deux séries :

1°) une série de deux contes débrayés :

«La tasse de thé» [1955] et «Le lutin» [1963];

2°) une série de deux contes débrayés et embrayés :

«Chronique de l'Anse Saint-Roch» [1955] et «La sorcière et le grain d'orge» [1965].

Les vingt-sept nouveaux contes de l'édition critique -- contes «inédits ou laissés pour compte» [EC, p. 13] (ou pour simples contes?), contes "oubliés" par l'auteur et/ou les éditeurs -- comprennent trois séries :

1°) une série de huit contes débrayés :

«Le secret» [1951], «Un accouchement réussi» [1952], «Voulez-vous sortir» [1957], «Two Pairs of Pants» [1957], «La grande jupe» [1960], «Docteur Barnabé» [1961], «Le paysan» et «La poulette»;

2°) une série de douze contes embrayés :

«Le mariage d'Hercule» [1942], «La jeune nonne» [1950], «De fille en mère» [1955], «Le pèlerin» [1955], «Scrupules de mari» [1957], «L'école buissonnière» [1957], «Débauche» [1959], «L'orage» [1960], «De jolis yeux bleus» [1960], «Le ferme propos» [1960], «Du prépuce» [1970] et «Conte»;

3°) une série de sept contes débrayés et embrayés :

«La bouteille» [1955], «Jérôme Salvarsan» [1955], «Les cartes mortuaires» [1957], «Le tibia» [1959], «Les Iroquois» [1960], «La chouette» [1961] et «Un poulailler» [1975].

Pour des raisons didactiques ou pédagogiques et pour des raisons stratégiques propres à l'analyse qui apparaîtront au fur et à mesure de la lecture, c'est par les contes débrayés et embrayés des vingt-sept nouveaux contes, et donc par «La bouteille», que l'analyse va commencer avant d'aborder les contes embrayés et les contes débrayés; suivra, dans le même ordre, l'analyse des Contes inédits, des Contes anglais et des Contes du pays incertain; elle se terminera ainsi par «La vache morte du canyon» -- longueur oblige! À cause du plus grand nombre de contes embrayés des nouveaux contes et du plus grand nombre de contes débrayés des Contes anglais et des Contes du pays incertain, les trois séries ont été divisées en deux sous-séries chacune, elles-mêmes séparées de «La vache morte du canyon», sous-série où l'analyse se bouclera en une synthèse. Il y a donc, en tout, seize séries ou sous-séries.

L'édition critique des Contes ici prévaudra,
malgré l'arbitraire de son ordre chronologique;
ordre tout aussi arbitraire que l'ordre alphabétique.