Cependant, il y a le bouquet, son bouquet de noce
qu'elle a échappé, qui est passé sous les roues de la
voiture et que la mère a ramassé dans la poussière : «Et
près de lui, sous la pluie, Hortense tenait son bouquet
défleuri» [165]. Le bouquet est très certainement le
symbole du sexe d'Hortense qui, si elle n'était pas déjà
enceinte, a été dépucelée par le violent mari au «grand
galop»; ce qui expliquerait son chagrin de jeune mariée.
De toute façon, elle a honte et son père a honte d'elle,
même si c'est seulement parce qu'elle est revenue le
lendemain «par travers champs» [164] : «Le bonhomme la
reconduisit donc. Chemin faisant, il fumait sa pipe, il
ne disait pas mot» [165].
-- La nuit de noces, c'est la noce du bouquet, surtout
après avoir fait la noce : «La noce eut lieu deux mois
plus tard. À la fin de la soirée il n'y avait plus de
coin, tout le monde était rond» [164]...
3 octobre 2001
«Le pigeon et la
perruche»
[EC : 31, p. 193-196; EI, p. 166-168; BQ, p. 228-231]
Ce conte, qui est marqué par la trace d'un
narrateur-raconteur à la fin : «comme nos premiers
parents» [196, souligné par nous], est étudié dans cette
série à cause de l'affinité de titre avec «La perruche» et
à cause de la parenté terminologique aussi avec «Le
déluge» où il est question de pigeon, de colombe et de
corbeau; son titre original, en 1957, était justement "Les
oiseaux".
Comme Martine, Marie vit chez les religieuses;
son sous-code d'honneur initial est la soumission à son
chagrin : elle est asservie par le deuil, la mort de son
père; de sa mère, il n'est nullement question. Le noir de
son deuil et de l'uniforme religieux est en contraste
avec le blond de ses cheveux et le bleu de sa perruche.
Au début, elle se sent coupable de ne plus avoir de
chagrin, de ne pas être trop malheureuse; de là, la «demi-tristesse», le «demi-bonheur». Ses compagnes, par contre,
sont joyeuses : elles sont fières [193]. Parmi les
religieuses, une nonne fait preuve de souveraineté; les
autres, qui l'aiment «comme s'il eût été leur fille» et
qui sont donc le substitut de la mère, lui manifestent de
la sollicitude, du respect, voire de l'admiration [194].
Marie a échappé aux ciseaux parce qu'elle ne
voulait pas qu'on mette sa perruche en cage; la perruche
non plus : «C'était la perruche qui lui enfonçait les
griffes dans l'épaule. Cette désapprobation arrêta la
cérémonie» [194]. D'un espace fermé, le couvent, elle
passe à un espace ouvert, la forêt, où règne le chasseur,
à qui le fusil confère la souveraineté. Alors que la
perruche est la marque de Marie, le pigeon est la marque
du jeune chasseur. Éprouvant de la pitié pour celui-ci,
Marie a alors comme sous-code d'honneur l'humilité, la
pitié étant le contraire du mépris (orgueilleux, pédant).
L'aventure se poursuit pour Marie; son espace
s'élargit : «Le jour avait changé; une forêt nouvelle
s'ouvrait devant ses pas. Le chemin était de plus en plus
large. Elle arriva au bord d'un champ». Elle sent l'appel
de l'amour, de la maternité : «Elle vit une maison,
entendit pleurer un enfant. Tout cela l'attirait» [195].
Derrière cet enfant, il y a une mère, l'envie d'être
mère... Après un petit duel, une confrontation, entre
Marie et le chasseur, il y a réconciliation [195], puis
de nouveau confrontation [196]; le geste du chasseur de
tuer son pigeon en est un de souveraineté envers lui-même
mais d'humilité envers Marie. C'est une rupture avec le
monde de l'enfance, rupture avec l'imaginaire et accès au
symbolique, «le fusil braqué» lui permettant d'accéder aux
bras de Marie...
Il apparaît finalement que les deux, le couple,
forment un acteur-sujet duel, ayant pour objet de valeur
l'amour et la sexualité -- pour Marie, faire un enfant au
père, le chasseur ayant remplacé le père -- et comme
destinataire, les enfants et les oiseaux, avec la pitié
de Dieu comme destinateur-judicateur final pour venir
sanctionner le recommencement du monde [196].
-- «Ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup
d'enfants», tel est le dénouement de tout conte
merveilleux, de tout conte de fée : de tout conte
religieux.
4 octobre 2001
«La laine et le
crin»
[EC : 41, p. 228-230; EI, p. 139-141; BQ, p. 195-198]
Ceci n'est pas un conte de fée, même s'il y a
un
roi
et une reine et même s'il est ponctué par la répétition,
déjà annoncée par le titre : l'épisode de la robe en
laine de bélier et l'épisode de la cotte de crin. Il y a
transition d'un épisode à l'autre par le poil : «C'était
un roi fort velu; il avait le poil noir comme du crin»
[229]; la colère, la fureur et la terreur manifestées par
le roi à ce moment-là le conduisent à enfin dépuceler la
reine : «Elle perdit lumière et ne rouvrit l'oeil que deux
heures après. Son beau lys avait disparu» [229], «après un
an et plus de mariage» [228]. Mais avant, ayant piétiné sa
robe de nuit, il s'était retrouvé nu et il avait fait
peur à la reine, qui s'était mise à défaillir, sans doute
de désir, d'excitation [229]...
Le roi n'est pas souverain, parce qu'il est
impuissant ou, tout au moins, pas très viril; mais il
n'est pas non plus soumis, seulement fier et indifférent
: «LA REINE était si pure, si blanche que le roi n'avait
pas eu envie d'elle [...] Le roi n'avait pas envie d'elle»
[228, en capitales au début du texte]. La reine n'est pas
soumise; elle est humble, se plaignant cependant du
sommeil de son époux : «Elle hocha la tête et soupira»
[229]. Devant l'indifférence du roi, elle tricote, il y
a «de la bougeotte en dessous du drap» [228, 229] :
frustrée, elle se masturbe, même après avoir perdu son
lys et elle garde «son visage grave comme à l'ordinaire»
[228, 229, 230], le visage d'une femme qui ne connaît pas
l'orgasme.
Du songe des petits béliers au songe des petits
rois, la reine tricote la robe de nuit pour réchauffer le
roi, qui a toujours froid malgré son abondante pilosité,
mais aussi peut-être pour l'empêcher de dormir et de
ronfler comme un ogre, qu'il n'est pas, et ainsi
"réchauffer" sa libido : «Mais la laine ne put le
réchauffer; il s'endormit comme un enfant et ronfla comme
un ogre [...] Mais la laine ne réussit pas à la
réchauffer; il s'endormit comme un enfant et ronfla comme
un ogre» [229]. Le roi dort sa vie : «En essayant de les
compter, le roi s'endormit, lui qui dormait déjà» [228,
230], lui qui pense que sa femme se gratte parce qu'elle
a des puces quand elle se caresse [228, 229]... Les
songes qu'il fait pourraient être ceux de la reine : dans
le premier songe, elle se masturbe en pensant aux petits
béliers, le bélier étant réputé pour sa "lubricité"; dans
le second, elle se masturbe en rêvant aux petits rois,
aux enfants que le roi ne lui fera jamais.
Après le deuxième songe, elle perd patience
:
«Elle hocha la tête mais sans soupirer. Elle restait
blanche et pure, l'ombre d'un lys au corsage» [230,
souligné par nous]. La vengeance va venir : »une cotte de
crin», tricotée deux fois comme la robe de nuit en laine
de bélier; la deuxième fois à l'envers avec une deuxième
flèche, mortelle celle-là [230]. Le roi, qui n'a rien
d'un «monarque» au lit [229], qui n'a rien de royal, est
finalement victime de la nouvelle souveraineté de la
reine : c'est désormais elle la souveraine, dont l'objet
de valeur était la couronne. Le roi, qui avait déjà du
crin sur le corps, n'a pu être protégée à la guerre,
comme il aurait dû et pu l'être par une cotte de mailles
: il a péri comme il a pêché, par le crin! Et c'est la
reine maintenant qui, dans l'inversion des contenus, n'a
plus envie de lui : parce qu'il est mort et parce qu'il
avait été un mauvais amant, l'ayant laissée «pudiquement
recouverte» [228, 229].
-- La laine et le crin : faute d'haleine dans l'arène du
lit, le roi endormi et songeur n'a pas possédé l'écrin de
la reine; oui, «ma mie» [228, 229, 230] : mamie...
5 octobre 2001
«Le vieux
payen»
[EC : 51, p. 254-256; EI, p. 147-148; BQ, p. 202-204]
Il y a ici, superficiellement, l'opposition entre
un païen et un curé, entre le paganisme et le
catholicisme ou entre le paganisme et le christianisme,
puisque pour la chrétienté, tout ce qui n'est pas
chrétien est païen et risque donc la guerre sainte...
Étant
donné son labeur, le bonhomme a conquis une terre qui n'a
pas sa pareille dans la colonie : son travail l'a conduit
à la souveraineté; mais il en est mort. Cependant, cette
souveraineté acquise par le travail, par la fécondité de
la terre, le curé la lui dispute par la parole, par
l'autorité ecclésiastique, par une souveraineté toute
abstraite, arbitraire, qui poursuit le vieux jusque sous
son catafalque [255]. Le bonhomme a refusé l'autorité :
il a refusé la soumission et l'humilité; de là, la fierté
de son fils unique [254], de son «fiston» [255].
Sauf que le bonhomme, veuf pendant six mois, ne
se résigne pas à abandonner sa terre à un fils qui ne
l'aime pas et qu'il n'aime pas : «Il [le bonhomme] y avait
dépensé ses forces, ses jours. Elle [la terre «faite par
un seul homme»] était réellement toute sa vie. Aussi,
lorsqu'il eut trépassé, y revint-il au grand désespoir de
son fils et au sien propre» [254]. Le bonhomme a humanisé,
civilisé, «soixante arpents de sauvagerie» [254] : «Premier
colon à devenir habitant, il était un modèle, sinon un
saint» [255]. Pour le père comme pour le fils, tous deux
uniques, la terre représente la mère; le père n'est pas
prêt, malgré le curé et ses bondieuseries, à abandonner
sa femme à son fiston, à donner la colonie pour le
paradis; il préfère voir sa terre ruinée que de voir son
fils s'y adonner, mal. Même s'il s'en lamente dans les
broussailles, il ne verra pas sa terre -- sa femme, sa
mère -- lui échapper; même si sa vie est gâchée, mieux
vaut retourner à la sauvagerie qu'il a vaincue,
humanisée. Le curé destinait le bonhomme au trépas; il
était le destinateur du fils qui, déchu, n'avait
cependant pas de destinataire.
-- Religion ou pas, il faut que les pères meurent pour
que vivent les fils!
8 octobre 2001
«Le petit
Chaperon Rouge»
[EC : 53, p. 260-263; EI, p. 162-165; BQ, p. 223-227]
Par rapport à la version de Charles Perrault
[1697], celle-ci s'en distingue par l'absence de loup et
par la fin heureuse; c'est-à-dire que l'homme qui était
symbolisé par le loup dans le conte de Perrault est ici
directement représenté comme coquin de chasseur. D'autres
versions adaptées du conte de Perrault lui donnent aussi
une fin heureuse, le petit Chaperon Rouge étant sauvé par
un chasseur ou un bûcheron : par un représentant du père.
La vieille dame est humble; «beaucoup
chaperonnée», elle est veuve d'un «homme autoritaire»
[260]. Son humilité va jusqu'à la peur, la peur des
chiens. Sa petite-fille préférée est fière, jusqu'à
intimider sa grand-mère : «Le jeune être l'intimidait»
[260]. La petite grandit, inspire un amour qui n'a rien
de familial à la vieille : «Une de ses petites-filles
était sa préférée : elle la chérissait mais ne la
connaissait guère [...] C'avait été sur un coeur quelque
peu sec qu'une fine crevasse était apparue, un mal qui
n'avait rien de familial et que la solitude, loin de
guérir, avait approfondi» [260]; «Mais, coïncidence
étrange, sa petite-fille, qui jusque-là lui avait semblé
un enfant comme les autres, commença d'être différente,
unique et irremplaçable. Sur son vieux coeur la petite
gerçure était apparue, que la solitude, loin de guérir,
avait approfondie» [261].
Le petit Chaperon Rouge inspire aussi le désir
des voyous et, sans doute en rivalité avec sa mère elle
aussi (comme beaucoup d'héroïnes des Contes), elle ne
veut plus qu'on la prenne pour une enfant : «La fillette,
pincée, se disait en elle-même : "Ma mère me prend pour
une enfant", et se dandinait pour montrer qu'elle ne
l'était plus. La capeline trop courte accusait le jeu de
ses braves petites hanches. Les voyous rigolaient» [261-2]. Pourtant, une capeline n'est qu'un chapeau, une
coiffe, un chaperon qui n'a rien à voir avec un capot
(soit un manteau à capuchon au Québec)...
Le père est le destinateur du chien : «Le
père de
la fillette, commis voyageur, l'avait ramené d'une de ses
tournées» [261]. Sa mère semble soumise à son mari presque
souverain, comme le coquin rencontré par le petit
Chaperon Rouge : «Or, un vieux coquin, vrai gibier de
potence, chassait dans le quartier justement» [262]. À la
pédophilie homosexuelle de la grand-mère, quand elle est
en position de sujet, succède la pédophilie
hétérosexuelle du coquin, du chasseur de proie, de «viande
fraîche» [262]. Mais la véritable souveraineté revient au
chien, qui d'abord résiste : «Cependant, le chien,
derrière le hangar, trouvait la corde courte et détestait
tout ce qu'il y avait devant»; il montre les dents contre
les voyous [261]. Il se révolte et parle : «Les voyous
rigolaient. Le chien n'aimait guère cela. Il détestait
encore plus, toutefois, d'aller à l'Abord-à-Plouffe.
Quand il se rendit compte que c'était là leur
destination, il ne put, cette fois, s'y résoudre [...] Et
il se sauva, laissant la fillette sans protection» [262].
Il jouit alors d'indépendance et de liberté : «Le chien
arriva le premier en arrière du hangar. Là, la vue de
l'anneau, auquel on l'attache d'ordinaire, lui rappelle
qu'il est seul et libre. La corde ne le retient pas; il
bondit en avant» [263]...
C'est encore le chien, le sujet, qui vient à bout
du coquin, l'anti-sujet, déguisé en grand-mère (qui n'est
plus sujet), mais «le bonnet à la main, la robe troussée,
qui fuit sur de longues jambes velues le chien qui lui
mord les fesses» [263]. Le coquin avait connu de meilleurs
moments, couché : «Et il se pourlèche de si grand plaisir
que le lit en branle» [262], excité qu'il était, se
masturbant, à l'idée de cueillir la gamine, la coquine
[263]; le taxi a été son adjuvant. Mais c'est la vieille,
devenue destinataire, qui profite du parcours narratif du
chien et de l'objet de valeur qu'est le petit Chaperon
Rouge, sans margarine : «Ces joues, ces lèvres étaient
effleurées du doigt de la vieille dame qui mignardait,
cajolait l'enfant étonnée de tant d'amour, un peu agacée
aussi car cela n'en finissait plus» [261]; «Elles se
mignardaient, cajolaient avec une passion nouvelle» [263].
Ce n'est plus la vieille qui est chaperonnée, mais la
petite; la vieille devient son chaperon. Mais comme la
morale du conte de Perrault, l'annonçait, le loup
«doucereux» et «dangereux», c'est l'homme : «Le chien et le
coquin ne formaient qu'un loup. Ce loup restait entre
elles» [263].
-- «Tu sens drôle, petite» [261] : tu sens le chien, le
loup; tu sens l'homme! le père?
10 octobre 2001