Nul doute, donc, que le secret concerne le père,
Désiré, qui est le premier à condamner son fils, et ainsi
l'origine d'Odilon. Il s'agit de faire le lien entre deux
secrets :
1°) Le secret du vagabond : «le secret d'une herbe
magique»; «Mais pour mieux profiter du secret, il prit sur
lui de glisser quelques brins de l'herbe magique dans
l'assiette de son fils aîné. Il n'en prévoyait pas les
conséquences, le malheureux!» [54].
2°) Le secret du billet : «Ce billet avait plus
d'importance qu'elle ne l'aurait cru» [60].
Désiré est connu à Québec; il est l'ami désiré. Il y a
certainement acquis une compétence et la ville a été
l'espace de sa performance; à la campagne, le vagabond
lui confère de la compétence et il améliore ainsi la
performance du bonhomme : «Un mois après, Désiré Cliche
avait les plus beaux porcs de la paroisse et il se
réjouissait grandement d'avoir été charitable» [54]; «Lors
du printemps qui suivit, la porcherie du Beauceron
participa à sa manière au renouveau de la nature. Les
truies mirent bas de tant de gorets qu'elles étaient à
court de pis» [55].
Il s'agit aussi de faire le lien entre
Désiré,
son avocat et la patronne du bordel d'une part et entre
Odilon, celle-ci et ses deux filles d'autre part; il faut
pour cela se concentrer sur un espace topique : le
bordel, espace qui n'est jamais nommé comme tel dans la
version finale, contrairement aux variantes [57, 59, 60,
61, 63 : notes]. Le secret pourrait concerner le secret
de la vie, des mystères de la vie : Odilon ne sait pas
lire; serait-il aussi impuissant qu'ignorant? --
L'hypothèse est à écarter : «te voilà un homme» [55]; «Il
était bien bâti et rougeaud» [56]; «Chaque soir, Odilon
supplie sa femme de lui dire son secret et malgré le
plaisir qu'elle lui donne, chaque soir, elle le déçoit»;
«Après tout ils ont été heureux comme mari et femme
peuvent l'être sur terre» [61]. En outre, si «[c]ette
herbe, mise dans la moulée des cochons, donnait des
animaux d'une rare venue» [54], elle devrait favoriser la
virilité et la fécondité du fils aîné; or, il n'est
question ni de la mère d'Odilon et il n'a pas eu
d'enfants de ses deux femmes et de vingt ans de mariage.
Comment le faste est-il devenu néfaste? Comment la
livraison du secret par le curé au dernier paragraphe
peut-il tuer Odilon? Le secret a été révélé à ce curé par
«un autre curé qui le tenait, lui, d'une dame, patronne de
l'établissement susdit, laquelle, mourante, le pria de
vous [à Odilon] le transmettre» [63].
Le secret pourrait concerner ce qui s'est passé
lors de la première visite d'Odilon au bordel, de sa
performance, de ses prouesses sexuelles : «Lorsqu'Odilon
en eut assez, il parla de s'en aller» [57]; lorsqu'il eut
assez de quoi : du cochon, «le menu de la semaine», ou du
sexe? Ici, de manière exceptionnelle, il peut être fait
appel aux variantes : «Monte voir : j'ai une fille qui a
faim. // À cette fille Odilon porta son goret. Lorsqu'il
redescendit, la patronne l'attendait au pied de
l'escalier» [57, en italiques et en petits caractères dans
la note]... Les cochons ou les gorets sont à la porcherie
ce que le cochon d'Odilon, qui s'abandonne «à son
penchant», est au bordel. Pour le cochon lui-même,
qu'Odilon doit porter à l'avocat de son père «qui lui
avait été naguère de bon service» [55], l'espace utopique
se trouve dans les vêtements d'Odilon : «Le goret, qui
criait comme un perdu, ayant bu, s'assoupit. Odilon prit
le bateau de la traverse. Sur le bateau le cochon se
réveilla. Pour ne pas attirer l'attention, Odilon le
fourra dans sa culotte. Au chaud, l'animal se calma [...]
Parvenu sur la terrasse, il mit le goret à l'air pour
qu'il admire le paysage, mais le goret se reprit à crier.
Odilon dut le remettre au chaud» [55]; «Vous pouvez le
caresser. C'est un petit cochon de lait»; «Et son petit
cochon semblait si tendre» [56]; «Odilon mit son goret sur
le canapé» [57]. Il y a donc très certainement déplacement
du goret à l'organe sexuel d'Odilon et de son organe à sa
personne.
Mais le dernier observateur est toujours dans
l'embarras, dans le secret : en quoi ces «quelques mots
sur un bout de papier» peuvent-ils autant affecter le père
d'Odilon et ceux qui le connaissent [57]? En quoi Odilon
n'est-il pas assez instruit [62] pour comprendre le
secret de sa vie [61]? Pourtant, lorsqu'il l'apprend de
la bouche de ce curé de Gaspésie, il le comprend assez
bien pour en mourir : est-ce que le secret de sa vie est
aussi le secret de sa mort? Étant donné le scandale que
ce secret déclenche, du père à l'avocat, il ne peut
qu'avoir une grande importance : le secret ne peut pas
être qu'il n'y a pas de secret. Les possibilités de
résolution de l'énigme deviennent de plus en plus rares
: ou bien Odilon est un bâtard et Désiré n'est donc pas
son père, ou bien la patronne est sa mère et il ainsi
épousé ses deux (demi-)soeurs; à moins que Désiré lui-même ne soit le père d'une des deux filles de la
patronne...
Si on excepte «le mendiant», «le
pouilleux» [60],
qui ne l'a sans doute pas lu, l'avocat est le dernier à
avoir lu le billet : «Il n'avait pas très bonne
réputation, et, comme c'est toujours, il était pire que
sa réputation. Mais il ne voulait pas qu'on le sache»;
«"Il y a là matière à procès", dit l'avocat» [59]. Mais
une fois qu'il a lu «"ce fameux billet"», il devient lui
aussi cramoisi : est-ce que le billet le concernerait?
-- Le secret tient de l'origine : «Il a perdu son billet,
il ignore le nom de son destin» [60] : le nom du père? le
nom de la mère? le nom de l'avocat?
28 mai 2001
«Un accouchement réussi»
[EC : 6, p. 64-67]
Ce conte est le deuxième et dernier des vingt-sept
contes "oubliés" où il y a un titre qui commence par
l'article indéfini (cataphorique) "un". L'accouchement et
la réussite sont à venir, annoncés, inconnus : ils auront
lieu le 30 avril 1948. L'espace de la grossesse et de
l'accouchement est évidemment le corps de la femme, du
«"ventre qui prend tout"», et du lit [65]; c'est un espace
centripète, comme celui de la maison de Jérémie Darache,
époux d'Angélique Darache : «Quelques masures subsistent
parmi les broussailles. Dans l'une d'elles Jérémie a logé
sa famille» [65]; c'est en outre celui du village : «Ne
restaient que les vieillards, les quatre infirmes, les
deux lâches, le marchand et lui-même, Jérémie Darache,
fils d'Isidore» revenu en mars [64]; c'est enfin celui du
golche : «Le ravin, sur ses abords les moins abrupts,
était autrefois cultivé. C'est le golche, aujourd'hui
déserté» [65]. C'est en somme un espace fermé.
L'espace des hommes est un espace centrifuge et
ouvert : «Tous les hommes, qui pour la drave, qui pour les
moulins, avaient quitté le village» [64]; même chez lui,
Jérémie préfère le village à sa maison : «Un mois passa,
il vécut comme un rentier, plus souvent au village qu'à
la maison»; et la maison de son cousin à la sienne : «Sur
les entrefaites son grand cousin, chez qui il avait des
habitudes, revint inopinément du Nord. Jérémie jugea plus
prudent de suspendre ses visites» [65], sans doute à la
femme de son grand cousin... Par rapport au Gros-Morne,
le golche est lui-même centripète : À l'est de Gros-Morne
le chemin s'éloigne de la mer, s'engage dans la vallée,
la quitte pour un ravin, lequel grimpe sur le plateau de
Manche-d'Épée» [65]; mais l'aspectualisation de l'espace,
par les verbes, est centrifuge : "s'éloigne, "s'engage", "la
quitte", "grimpe".
L'espace de Jérémie est cependant celui du
harnais, c'est-à-dire de l'effort, du travail : «-- Un
homme, dit encore Jérémie, ne peut rester à rien faire;
il faut qu'il gagne la vie de sa famille» [65]; «Moi je ne
peux plus rester ici. Je ne suis pas un paresseux. Il
faut que je gagne la vie de ma famille» [66]. À sa femme,
au contraire, à qui il a donné «une pipe de plâtre» [66],
il manque la force : «-- Force, lui dit-il, ça viendra
plus vite. Moi je perds mon temps ici» [64]; «--
Seulement, pense-t-il, il faudrait qu'elle force» [66]; à
sa maigreur [65], s'oppose l'embonpoint de ses enfants
[66]; à son nez qui «lui sort d'autant» [65], la morve qui
leur coule du nez [66]; à leur appétit, son inappétence
[66]; mais ses enfants partagent avec elle le silence
[66]...
Angélique à le ventre dur et
Jérémie dort «le dos
rond» [65]. Le corps et le lit d'Angélique finissent par
se confondre avec le paysage du golche : «Lors d'une
contraction plus forte le lit est inondé»; «La rumeur
d'écoulement entraîne la mourante vers le ruisseau du
golche, vers la rivière de la vallée»; «Le village est au
bord de l'anse. Les chemins s'arrêtent au village, la
rivière continue dans la mer. Des larmes coulent sur son
visage, c'est le montant, la rivière qui revient». Ses
eaux sont crevées : «Les larmes n'ont jamais
arrêté le
destin, la marée ne va pas loin et les eaux, un moment
indécises, reprennent leur cours fatal, entraînant dans
la mer le débris venu du golche à la fonte des neiges»
[67].
Le futur nouveau-né est un tel débris. C'est
pourquoi Angélique, «la mourante», en a assez de la
répétition : «LES FEMMES ACCOUCHENT, c'est leur destin;
peu cependant accouchent bien; le plus souvent il faut
qu'elles recommencent; c'est ainsi qu'elles ont beaucoup
d'enfants. Quelques-une néanmoins profitent de la
répétition» [64, en capitales au tout début du texte]. Cet
accouchement sera une réussite; ce sera le dernier : «Ce
ne sera pas un accouchement pour rire, un accouchement
manqué, à reprendre dix mois plus tard. Finies les
pauvres répétitions, demain la générale, l'expulsion
définitive d'une vie misérable!» [66-7]; propos que
l'observateur ne peut attribuer qu'à la parturiente :
«Elle se détourne : s'occupe-t-on des fourmis?» [67].
Mais, même mourante, même si elle sombre après avoir
reparu à la surface, elle donne naissance à un enfant :
«Elle entendit un cri de détresse, ce n'était pas le sien»
[67, dernière phrase du texte].
-- Dans la misère et la détresse, un nouveau-né qui n'est
pas mort-né mais né-mort!
29 mai 2001
«Voulez-vous sortir»
[EC : 25, p. 179-181]
C'est le seul conte de tout le recueil dont le
titre prend la forme d'une question : «Formule par
laquelle une prostituée invite un client éventuel. Le
titre semble avoir été volontairement laissé sans point
d'interrogation : il s'agit d'une expression lexicalisée,
comme le fait entendre la suite du texte» [179, note 1].
Tout est clairement dans «LE TRENTE-TROISIÈME SENS» [179,
en capitales au début du texte»] du verbe "sortir" que
l'écolier ne comprend pas et ne trouve pas dans son
Littré : «"Sortir", le mot s'emploie de trente-deux façons
différentes» [181]. Or, telle que le précise le rédacteur
Paquette, dans cette expression, le verbe n'a pas de
signification spatiale ou temporelle comme dans "Ça vient
de sortir".
L'espace de la prostitution est pourtant celui
de la démarche et de la marche : une prostituée est une
péripatéticienne; elle fait le trottoir, malgré le froid.
Le froid, et donc la dame «obéissant aux lois de son sexe»
[181], se situe ici surtout du côté de la nature,
contrairement à l'écolier : «C'est donc avec un sentiment
défavorable à la nature qu'il se rendait chez lui» [179];
«Et qu'on éprouve, nonobstant Lamartine et toute l'école
romantique, un sentiment hostile à la nature» [180].
L'écolier est en quête de chaleur; il ne veut pas sortir,
il veut revenir chez lui, rentrer, entrer au chaud. La
chaleur, et donc l'écolier, se situe ici plutôt du côté
de la culture : «goûtant à l'avance cette température
égale que l'homme, qui l'avait déjà dans la peau en sa
qualité d'animal à sang chaud, a su mettre dans les
maisons [179].
L'espace curviligne et rectiligne de la dame est
un espace intermédiaire ou transitoire et ouvert : c'est
celui de la rue; l'espace rectiligne de l'écolier est un
espace terminal et fermé : c'est celui de l'école et de
la maison. L'espace féminin est ici sexuel, tandis que
l'espace masculin est intellectuel : c'est l'espace du
Littré, des belles-Lettres, des dictionnaires. Mais dans
la curiosité et l'éveil des sens, l'écolier se trouve
entre le fermé et l'ouvert, entre l'intellectuel et le
sexuel : «Alors il s'approcha de la fenêtre, appuya son
front contre la vitre et soupira, ô vanité des Belles-Lettres, insuffisance des dictionnaires!» [181].
Insatisfait, il avait déjà esquissé un mouvement vers la
porte pour sortir; il avait aussi presque tendu la main
pour toucher la dame : son espace est donc finalement un
entre-deux; c'est l'espace de l'hésitation. En quête de
chaleur, il s'est trompé de maison : il n'a pas choisi la
chaleur humaine, celle de l'«animal à sang chaud», celle
de la femme, celle de la dame ou de la mère. Mais ce
n'est que partie remise : «Ce sera bon!» [180].
-- L'éveil de la chair est déjà une écharde dans la
chair.
29 mai 2001
«Two pairs of pants»
[EC : 28, p. 186-188]
Il s'agit du seul conte où il y a un titre en
anglais et un titre en italiques. Comme dans «De jolis
yeux bleus» et quelques autres, il y a des fragments de
dialogues en mauvais anglais. Comme dans les trois autres
contes débrayés de cette sous-série, le thème dominant
est la sexualité et donc l'idiolecte.
Deux espaces s'opposent : l'espace dangereux de
la rue et du fossé et l'espace sûr de la maison, un
espace ouvert et centrifuge et un espace fermé et
centripète. Le premier espace est dominé par l'homme :
c'est le père qui a envoyé sa fillette, Annie, chercher
une bouteille de bière à l'épicerie; c'est le guenillou
qui l'a culbutée dans le fossé [186-187]. Le second
espace est dominé par la femme : c'est la mère qui
ordonne au père de décrocher son fusil, qui le menace
d'un couteau à pain, qui mande la police, qui exige sans
succès que le médecin (qui croit que c'est la soeur aînée
qui a été violée) d'examiner Annie [186-187].
Mais le véritable espace utopique du conte est un
espace intime, secret, qu'Annie protège contre le viol
avec deux paires de culottes, c'est-à-dire de sous-vêtements. Sa mère, elle, crie au viol et à l'outrage :
«La mère resta toquée : sa fille avait été violée. Elle ne
croyait pas, Dieu sait pourquoi, qu'une femme pût
résister à un homme, surtout à un homme sale et barbu
comme le grand guenillou» [187]. D'une part, il y a des
objets phalliques : la bouteille, le fusil et le couteau
à pain; d'autre part, il y a le sexe d'Annie, sans doute
encore vierge, mais quand même victime d'un assaut : «les
cheveux défaits, la chemise déchirée et le teint fort
avivé» [186]; ce qui ne l'a pas empêchée de se défendre et
de mordre le guenillou [187]. Annie sait qu'il lui faut
se protéger; elle ne veut pas se faire examiner, devinant
ou sachant ce qui est arrivé à sa mère : «Examinez plutôt
ma mère, c'est elle qui en a besoin» [187]. Il y a donc
rivalité entre la fillette et sa mère, le père prenant
encore partie pour celle-là : «"Annie est une brave
fille", dit-il en débouchant la bouteille» [186]; «une
fille est moins fragile qu'une bouteille» [188]...
-- Il plaît au buveur, au «bonhomme» assoiffé, de le
croire!
30 mai 2001
L'ASPECTUALISATION
«La grande jupe»
[EC : 38, p. 216-218]
Ce conte de deux paragraphes est marqué par la
montée et la descente. C'est l'histoire d'une vie, d'un
mariage, d'un amour, d'une passion, d'une érection : d'un
pied qui ne trouve plus sa botte -- d'un vieux qui ne
retrouve plus sa vieille!
Dans le premier paragraphe, accompli (perfectif)
au début, au plus-que-parfait, il y a d'abord montée :
«L'heure venue, elle les mit et le pied souple, la jambe
alerte, monta sur la pente derrière la maison, qui
l'emmena au bord du plateau où se trouvait le pacage»
[216]. Mais la montée s'accompagne de l'éloignement,
comme la vieillesse du passé : «Une clochette au loin
répondit que la vache était grosse comme un veau et pas
pressée de vieillir» [216] : la vieille est à la vache ce
que l'avenir est au présent, ce que la pente est au
magasin où le mari a acheté la «paire de petites bottes
rouges à l'épreuve de l'eau, donc de la rosée» [216].
Rapidement, la vue d'en bas devient celle d'en haut : «la
vue était d'ailleurs de l'autre côté, en contrebas, sur
le toit de la maison, sur le village, sur l'anse et la
mer -- tout un panorama qui tombait de sa jupe et dont le
point culminant restait caché; pour l'apercevoir elle dut
se pencher» [216]. Il y a ensuite redressement temporel et
spatial : «des bottes comme elle n'en avait jamais vues,
fines, légères, moulant la saillie des malléoles, lui
rajeunissant la jambe d'un siècle, des bottes de
demoiselle!. La vieille se redressa, radieuse : ce qu'il
était gentil quand même, son mari!» [216].
Justement, le mari voit d'en bas, de son point de
vue marqué par un "or" : «Or celui-ci se tenait justement
au-dessous d'elle, près de la maison, accoudé à la
barrière» [216]; mais la vieille, «grimpeuse», le tient :
«elle est vite redescendue, retournée contre son
sentiment, outrée d'être outrancière»; il est soumis :
«Là-dessus, il lui fait trois petites courbettes --
serviteur» [217]. Il est petit; elle a sa «grande jupe»...
C'est un veau; c'est une «grande
génisse», une
taure, une vache : «toute la fantasmagorie finirait comme
de bien entendu par le mufle affectueux de la grosse
vache» [217]. Mais Samuel est rusé; il a rusé à son retour
de Matane, d'où il est revenu «quelque peu défait» [217]
: une omelette au lard et des câlins. Elle, la demoiselle
sans prénom, sans nom, a le souffle court et les pieds
serrés : «C'était d'ailleurs dans sa nature comme ce
l'était, rendue en haut, de perdre le souffle et de se
pâmer» [217]. Ses pieds deviennent ses poumons : «"Vite,
Samuel, ôte-moi ces bottes : elles m'étouffent!» [218]. À
son âge, elle ne peut plus être prise, surprise, aux
prises avec l'organe de sa jouissance : avec une "botte"?
La montée et la descente, la tumescence et la
détumescence : «Il monte sans trop se presser et trouve sa
pauvre femme par terre, qui ouvre un oeil et le supplie»;
«Et de les lancer au loin d'un si grand geste que le
bonhomme crut un instant qu'elles retomberaient par-dessus la maison, par-delà le village, plus loin que
l'anse au milieu de la mer». Entre la montée et la
descente, il y a donc le milieu, «les entrefaites», «les
bras croisés» : «La vieille, les bras croisés, regardait
de haut en bas; elle repéra ainsi vers le milieu de la
pente l'une et l'autre des petites bottes rouges, et plus
bas son mari redescendu», ne pouvant alors que hausser les
épaules [218]. La grande jupe : un décor, un panorama
[216, 217, 218].
-- Le pacage, le pâturage, le paysage : la grandeur, la
longueur et la lenteur des «espaces infinis» contre la
petitesse, la brièveté et la rapidité des petites
"bottes"; l'aspect (eidos) contre le temps (chronos)...
6 juin 2001
«Docteur Barnabé»
[EC : 49, p. 249-250]
Dans la plupart de ces contes, les acteurs n'ont
pas d'aspect, d'allure; rares sont les portraits;
souvent, ils n'ont même pas de nom, de prénom. Ici,
l'horizontalité féminine (masochiste) de la demoiselle
s'oppose à la verticalité masculine (sadique) de la queue
des chiens : «quant aux chiens, ils n'arrêtaient pas de
promener leur queue poilue, leur queue de rat, leur queue
en panache ou tombante, leur queue, toujours la queue,
comme si c'était là un membre qui pouvait intéresser une
demoiselle âgée et malade» [249]. À cette horizontalité
participe aussi le docteur Meilleur, «retenu au lit par
une fluxion» [250]. Par contre, ce sont la verticalité et
un portrait qui définissent le docteur Barnabé : «au haut
d'un grand escabeau noir il y avait une petite tête
portant lunettes et moustaches, et derrière les verres
miroitants deux boutons de bottines qui la regardaient
fixement» [250].
De la queue des chiens, l'on passe à «une
seringue à longue aiguille», à une véritable érection :
«le liquide dans la seringue [...], la pointe haute»
[250], à l'oblique donc, entre l'horizontalité :
«"Tournez-vous sur le ventre"», et la verticalité»; mais
de la souffrance verticale à la jouissance horizontale :
«son coeur ne palpitait plus; elle avait la tête claire et
nette; sa jambe ne lui causait aucun mal [...] Elle lui
obéit avec une souplesse qu'elle ne se connaissait pas.
Puis elle attendit, prête à mourir, vivant comme elle
n'avait jamais vécu» [250]. Satisfaite en somme, repue et
non plus percluse.
-- Une piqûre pour voir «le fond de son sac!» [249]...
8 juin 2001
«Le paysan»
[EC : 70, p. 351-352]
Dans ce conte, le grand âge donne de la hauteur,
de la grandeur, de la verticalité; il s'agit d'un conflit
de générations entre le beau-père et son gendre, pour la
fille évidemment. Le gendre travaille du matin au soir
pour satisfaire le vieux qui se traîne avec un bâton
[351]; il est associé au soir, au crépuscule, ne peut que
baisser la tête et dormir sans repos. Sa femme le rejoint
dans son horizontalité, insatisfaite, «autre victime»; le
«vieux tyran», lui, tire «la fumée de sa pipe avec une âpre
satisfaction». Mais c'est «le Dieu du ciel obscur», le Dieu
de la nuit, qui trouve son compte avec la terre que
cultive le gendre : «Alors le Dieu du ciel obscur, en se
penchant sur elle, la frôlait comme si elle eut été une
femme» [352].
-- Le fils est toujours baisé par le père, le père vivant
par le père mort qu'on appelle parfois Dieu.
8 juin 2001
«La poulette»
[EC : 71, p. 353-354]
Dans ce dernier conte du recueil, ce ne sont pas
l'horizontalité et la verticalité qui aspectualisent
l'espace, mais l'éloignement et le rapprochement; ce sont
les points cardinaux : le sud, le nord et l'ouest; «la
grand'maison» est interdite aux enfants : «avec poules et
cochons ils sont animaux de basse-cour». Mais «une poule
circonspecte» passe d'une porte à l'autre : «c'est une
vieille, une rusée qui trouve trop long de faire le tour
de la maison» [353]. La vieille poule est comme la mère
qui surveille son jardin et son pommier; la poulette est
comme les enfants, à qui il est interdit de traverser la
cuisine pour aller dans le jardin : «elle rencontre le
balai de la cuisinière et dégringole du perron» [353]. Le
coq est comme le père qui s'interpose quand la mère
manque à la tâche et le bec remplace le balai : «Ô
misère!», quand on a la tête grosse comme un oeuf, même
énorme [354].
-- Dans le poulailler, ma poulette, la vie, ça fatigue; ça fait mourir :
ça tue!
8 juin 2001