CONTES "OUBLIÉS"



PONCTUATION : DÉMARCATION, SEGMENTATION ET TITRAISON

La classification qui précède tient lieu ici de démarcation du corpus : il ne sera pas question des autres textes de Ferron qui ne sont pas des contes; mais cela ne veut pas dire que le genre est la justification de cette démarcation; ce serait plutôt la segmentation de l'ensemble en séries (et sous-séries). Quant à la segmentation de chacun des contes, elle ne trouve sa justification qu'après coup, qu'après une analyse rendue au bout, à bout; il ne sera évidemment pas possible de le faire pour l'ensemble des contes, mais seulement pour ceux de cette série.

"Contes" est un titre générique, de même que "Contes inédits"; "Contes anglais" et "Contes du pays incertain" sont des titres spécifiques, le premier précisant une langue et un territoire, le second un territoire et un terroir : s'il s'agit du pays incertain, c'est qu'il s'agit d'un certain pays... Les Contes anglais ne sont évidemment pas écrits en anglais et ils ne mettent pas en scène des acteurs au nom anglais, sauf «Le petit William»; dans «Retour au Kentucky», il y a des toponymes en anglais.

«La bouteille»

[EC : 20, p. 166-168]

Publié pour la première fois en 1955, avec la mention "Rubrique : conte moral", ce conte d'un seul paragraphe se termine véritablement par une morale : l'alcool, c'est le Diable; cela brûle comme l'Enfer, cela mène en Enfer. L'alcool est un liquide de feu, en feu, qui s'oppose à l'eau; en aparté (entre tirets), le raconteur précise : «Je ne peux dire exactement : il avait jeté sa montre à l'eau» [166]. Comme dans plusieurs autres contes de Ferron, il y a francisation de l'anglais : «traite», «gagnestère» [167].



La séquence initiale comprend les trois premières phrases et la séquence finale, les trois dernières. Le nom du héros-sujet [lorsqu'il sera question des acteurs, il y aura une minuscule initiale, mais les actants seront identifiés par une majuscule], Ange-Aimé, apparaît dans chacune de ces séquences (de manière parfaitement symétrique : deuxième et avant-dernière phrases) et deux fois dans la séquence centrale, une fois dans chacune des deux micro-séquences, distinguées par un débrayage spatial, de la Beauce à Montréal; dans la séquence finale, le «bon vivant» retourne dans son village. Dans la séquence initiale, il y a topicalisation de la situation, mise en situation par un résumé du passé et une description. Il y a focalisation de l'action au tout début de la séquence centrale par un débrayage temporel et actantiel : «En 1919, il avait vingt-cinq ans, la grippe espagnole passant le laissa seul» [166].

Destiné initialement au pucelage par sa mère et ses deux tantes vierges, qui le manipulent donc ainsi, Ange-Aimé est un bâtard aimé et angélique, puis un orphelin : en manque, il cherche à liquider son manque; il y a tentative de liquidation du manque par le liquide de la «bouteille sifflante» [167]. C'est un ivrogne : la bouteille lui tient lieu de phallus; est-il alcoolique parce qu'il est impuissant ou est-il impuissant parce qu'il est alcoolique?... À la fin de la séquence centrale, il y a confrontation, épreuve décisive, entre le sujet et l'anti-sujet, Dieu : «À la fin ce garçon élevé pieusement, cet ivrogne pacifique se fâcha contre le bon Dieu qui, disait-il, accaparait toute la représentation» [167-8]. Curieusement, le curé devient alors son adjuvant et il l'engage comme bedeau; auparavant, «par-ci par-là un chrétien charitable pour lui payer la traite» [167]. La grippe espagnole qui a emporté sa mère et ses deux tantes est son opposant.

L'objet de la quête du sujet est la bouteille : l'alcool et le Diable, qui est une figure ou un substitut du père qu'il n'a pas eu : lui manque un patronyme, le Nom-du-Père. Mais à travers l'objet de valeur ou de désir, le sujet est en quête de lui-même : «Il n'y avait rien derrière la fille nue, derrière gagnestère et zazou, même absence»; sa peine est trop grande pour trouver «l'antichambre désirée», la chambre d'où il vient, celle de sa mère, «fille nue» [167] -- et où son père ne serait pas un gangster! Pour un garçon «quelque peu effaré» [167], il n'y a de salut, de sanction finale, que dans les cloches et la mort [168]; sonner les cloches étant sans doute une métaphore de la masturbation -- ou l'alcoolisme, de l'onanisme?

Un trop grand attachement à la mère -- comme à la mère-nature ou à la mère-patrie -- peut être la cause de la quête du père, de la quête du détachement de la mère par le père. Impossibilité de se détacher (du corps, du sein, de la peau ou de la voix) de la mère, il y a dans une certaine forme d'idiotie (l'idiot de la famille, l'idiot du village : Ange-Aimé?), dans le maquillage, dans le tatouage, dans le bégaiement (exceptionnel chez les filles), dans la difficulté d'apprendre une autre langue que la langue maternelle -- ce qui ferait de l'unilinguisme, comme du racisme, un avatar ou un résidu de l'inceste, de la peur de l'infeste -- et dans le biberon perpétuel de l'alcoolique.

-- Qui a bu boira!

27 mars 2001



«Jérôme Salvarsan»

[EC : 23, p. 173-175]

Ce conte est l'un de ceux où un anthroponyme se répète [cf. «Suite à Martine»]; il y a répétition d'anthroponymes aussi dans «Le chien gris», «Mélie et le boeuf», «Chronique de l'Anse Saint-Roch», «La Mi-Carême», «Ulysse», «Les sirènes», «Cadieu», «La dame de Ferme-Neuve», «La corde et la génisse» et «La sorcière et le grain d'orge». Ces anthroponymes tiennent lieu d'homonymes et de synonymes pour les acteurs qu'ils identifient. C'est aussi le seul conte où il y a segmentation par des astérisques (au nombre de sept) : il y a donc huit segments ou fragments; trois autres contes sont segmentés par des chiffres romains : «La jeune nonne», «La vache morte du canyon» et «Chronique de l'Anse Saint-Roch».



Dans le premier segment, qui correspond à la séquence initiale, il y a (dé)brayage de la première personne à la deuxième personne du pluriel; le narrateur est donc un raconteur, mais ce n'est pas Jérôme Salvarsan malgré la note 1 de Paquette [173] : dans ce conte, il est en partie question de la naissance, de l'enfance, de la puberté et de la jeunesse de Salvarsan, qui est acteur et non narrateur. La séquence centrale peut être divisée en deux micro-séquences de trois segments chacune : la première micro-séquence (débrayée au niveau actantiel et partiellement au niveau temporel, avec le passé simple dans le quatrième segment) met en scène Salvarsan et la seconde (embrayée à la première personne du pluriel et au présent, après être passé par le passé composé) donne lieu aux propos du raconteur qui n'est pas un acteur et qui s'interroge sur la vie. Le dernier segment (débrayé au niveau actantiel et embrayé au niveau temporel) correspond à la séquence finale : la mort vient couronner, sanctionner, la vie...

Dans la première séquence, il y a manipulation de l'enfant sur le point de naître par ses antécédents, ses parents, qui sont évidemment responsables de sa naissance : «LES ATTACHEMENTS laissent des cicatrices : jugez-en par le nombril» [173, en capitales dans le texte comme au début de chacun des contes de l'édition critique]; sa compétence d'être humain lui vient d'ailleurs : de l'espèce. Dans la première micro-séquence de la (macro-)séquence centrale, apparaissent plusieurs acteurs : l'enfant, son ange gardien et son démon, ainsi que sa mère, «une sainte», et son père, «Commandeur», qui -- sauf le diable, qui conseille à l'enfant, «petit monsieur très correct» et non «vilaine petite bête!», ou «petit frère», la simulation de la franchise et de la piété -- représentent le surmoi : «la conscience le rejoint» et le nomme; c'est «la conscience des autres» [174]. À la puberté et avec ses avatars sexuels [quatrième fragment], Jérôme n'est pas touché par la grâce mais par la poésie pour quelque temps : «Heureusement que les muses veillaient qui le firent s'exprimer autrement» [174]; ce "Heureusement" étant une marque ou une trace d'embrayage actantiel (émotif, évaluatif, péjoratif)...

Dans la deuxième micro-séquence centrale, il y a confrontation entre le dedans et le dehors, entre l'entrée dans le monde et l'impossibilité d'en sortir autrement que par la mort, la «voie de femme» n'étant plus «à notre mesure» et la clé des hommes n'ouvrant plus la serrure des femmes : «Nous restons pris derrière un doigt» [174-175] -- Est-ce le doigt du surmoi, de l'interdit de l'inceste, de la loi du père?... C'est une confrontation entre l'Individu et l'Espèce, mais aussi entre l'Homme et la Femme, entre le Plaisir et le Devoir, dans le fantasme du retour au sein maternel : «Qu'est-ce que l'Amour? un plaisir, un devoir envers l'Espèce, ou une politesse à la partie conjointe?» [175]. Dans ce fantasme, le narcissisme de l'enfant -- Sa Majesté le Bébé! -- résiste et insiste : «Il se détache de son entourage, se restreint aux limites de son épiderme» [173].

Dans la séquence finale, le «trépas», c'est-à-dire le décès ou l'acte de mourir, se distingue de la mort, de ce qu'il y a après la vie, c'est-à-dire l'éternité, le non-temps; le trépas est le contraire de la naissance du début du texte : s'il y a naissance et décès, c'est qu'il y a finitude natale et agonale, la radicale finitude étant caractéristique du micro-univers sémantique individuel qu'est l'idiolecte. Le trépas est en quelque sorte la sanction de la naissance : la «corde» qu'est le cordon ombilical est au nombril ce que les attachements (les amours) sont aux cicatrices (les blessures) et ce que naître est à trépasser [173]!

-- Le Bonheur, désigné et assigné au Sujet comme Objet de valeur et pour son plus grand Malheur, est finalement destiné aux seuls Mortels par les Divins, qui n'existent plus...

28 mars 2001

«Les cartes mortuaires»

[EC : 26, p. 182-183]

Ce petit conte est une fable satirique et il comporte donc une morale au sujet de la possible incompatibilité de l'amour et du mariage : c'est la leçon du destinateur initial qui se confond avec le narrateur-raconteur. La présence de celui-ci apparaît dans le premier paragraphe avec un (dé)brayage actantiel à la deuxième personne du pluriel : «cherchez donc avec quoi et qui durent» [182] et au troisième paragraphe, paragraphe central, avec un embrayage à la première personne du singulier : «C'était, ai-je dit, une femme furieuse mais irréprochable; elle ne s'était jamais plainte» [183].



La séquence initiale correspond au premier paragraphe et la séquence finale au dernier. La séquence centrale met en scène Cyprien Lanouette, un "orphelin" de soixante-sept ans [182], et une veuve sans nom du «rang de la Grand'Ligne» [183]. Mais Cyprien est d'abord un "croque-mort" : il a «enterré son père, sa mère, puis sa soeur, la vieille fille avec laquelle il avait, lui-même célibataire, pris soin de ses vieux parents» [182]; la veuve, aussi : «Deux maris elle avait eus, des hommes bien bâtis, rougeauds, juteux, qu'elle avait taris, séchés, aplatis, pour finalement les mettre en cartes mortuaires, pieusement, dévotement, au milieu des oraisons, des saints et des alléluia, dans son livre de messe» [183]. Ses deux maris ont donc été le contraire de Cyprien : «C'avait toujours été un garçon tranquille» [182]. Dans cette séquence, on assiste à une réelle inversion des contenus : des deux maris à Cyprien, de la "non-nature" de Cyprien à la furie de la veuve, du caractère irréprochable de la femme furieuse aux doléances de la mégère, de la virilité des deux premiers maris de la veuve à l'impuissance du troisième : «"Je savais-t'y, moi, que j'étais comme ça"», de la dureté des «ergots de cochon» de Cyprien à la mollesse de sa verge : «-- Des outils tout neufs, qui n'ont jamais servi!» [183]...

La référence au titre se répète mot pour mot dans la séquence finale; cette fois, cependant, ce ne sont pas les maris qui sont mis en cartes mortuaires mais la femme. Et le narrateur-raconteur est aussi le destinateur final, qui vient sanctionner ironiquement la "non-nature" de l'orphelin, du sujet : «L'impuissance le sauva. Ce fut la mégère qui mourut» [183], l'anti-sujet... Il y a donc inversion de la "nature" de l'homme et de celle de la femme; il y a surestimation du désir de la femme : «Son veuvage durait déjà depuis deux ans : le monstre commençait à crier famine; il énervait le canton à dix lieues à la ronde» [183].

-- Il y a des mariages sans amour et il y a de l'amour sans mariage; il y a de l'amour sans sexe et du sexe sans amour : «Il n'y a pas d'âge pour le malheur» [182]...

16 mai 2001

«Le tibia»

[EC : 34, p. 202-203]

Ce tout petit conte ne compte que trois paragraphes : la séquence initiale comprend les trois premières phrases; la séquence centrale débute par une interpellation du narrataire par le narrateur-raconteur : «Il était fou, me direz-vous!» [202]; la séquence finale comprend elle aussi trois phrases (dernier paragraphe) et répond au début de la séquence centrale : «"Il était fou, cet homme", me disiez-vous» [203]. Les deux derniers mots répètent le titre : «En tout cas, ce n'est pas lui qui se serait fracturé le tibia» [203]. Dans ce symbolisme du nombre trois, qui est un symbole de l'organe génital masculin, il y a manipulation et sanction du sujet par la folie.



Un homme qui ne croit pas qu'il a des os et qui croit qu'il marche par sa seule volonté est aux prises avec l'animisme : avec la croyance en la toute-puissance des pensées; c'est un obsessionnel, mais «il n'était pas sot». Il a sexualisé sa moelle osseuse : «une turgescence de la moelle osseuse» permet à «ses grands membres» de fonctionner; cette érection est le substitut de l'érection de son petit membre, dont sa femme «avait une expérience intime» [202]; c'est le tibia qu'il ne pourrait pas se fracturer. C'est une manière de combler son angoisse de castration, sa peur du travail et de la mort, sa paresse.

Sa femme, elle, est déjà castrée; elle doit donc «compter sur la machinerie de son pauvre squelette», non sur ses muscles et non sur le muscle de son mari [203]; le tibia est le phallus qu'elle n'a pas mais qu'elle est. Son mari, tout-puissant, a «la démarche élastique, souple et bondissante, une démarche de dieu» et «un goût sûr et à proprement parler esthétique» [202]; le travail, la «boîte à lunch» d'un «homme ordinaire», ne saurait lui convenir [202-203]. Sa femme le surestime, l'idéalise, l'adore, l'érige en symbole (vertical, phallique).

-- Le tibia copule, la copule est un tibia...

10 avril 2001

«Les Iroquois»

[EC : 43, p. 234-235]

Ce petit conte de deux pages comprend cinq paragraphes; le premier paragraphe constitue la séquence initiale et le dernier la séquence finale. Comme c'est souvent le cas, il y a topicalisation par une description à l'imparfait de l'indicatif; puis il y a focalisation par un verbe au passé simple à la fin du premier paragraphe : «La cérémonie commença» [234]. Les trois paragraphes du centre sont introduits par un adverbe : «D'abord», «Puis» et «Cependant» [234-235]. Le conte débute par un article cataphorique et un nom : «Une cérémonie réglée comme la messe» [234]; l'information est donc alors inconnue de l'observateur et la première phrase du texte s'oppose au titre, mais elle annonce la dernière phrase du même paragraphe, où l'article anaphorique confirme que l'observateur est maintenant informé, que l'information est désormais en partie connue.



La présence de l'observateur, du narrateur-raconteur ici, se manifeste entre tirets, en aparté : «mangez, bonnes bêtes, c'est jour de fête». Les acteurs présents sont très nombreux, se multiplient autour du «monument du héros» en guise d'autel : «Les fidèles venus des hauts lieux de la cité, des mairies, des parlements, des sacristies, et aussi, pour le menu fretin, de basses institutions tels les orphelinats» [234]. De même, au début de la séquence centrale, les acteurs absents sont représentés par leurs couronnes : Artisans, Raquetteurs, Numismates, Laurentiens, Zouaves, Échevins, Marguilliers : «tout le bestiaire sacré de la Saint-Jean-Baptiste à la Quasimodo» [234]. Après les acteurs absents mais vivants, viennent les acteurs absents mais morts : les dix-sept compagnons du héros : «Tous morts, doux Jésus!», ainsi que des Algonquins et des Hurons : «Morts dans le bois, qu'ils y restent!» [235]. Les exclamations sont ici la marque énonciative, affective et péjorative, du narrateur-raconteur.

Au «cadet d'une milice paroissiale» [234] du deuxième paragraphe, correspondent les orateurs du quatrième [235]; l'isotopie religieuse (catholique) et l'isotopie politique (nationaliste) se (con)fondent dans l'isotopie folklorique et nationale de la patrie : «La patrie n'en est pas à son premier miracle»; le miracle ayant été d'éviter la pluie qui était crainte dans la séquence initiale : «En tout cas, le ciel vira au beau» [235]. Au début de la séquence centrale, apparaissent les couronnes représentatives des acteurs absents mais vivants; à la fin de cette même séquence, il y a confrontation, épreuve décisive, avec des acteurs présents et leurs pancartes : «quatre énergumènes brandirent des pancartes sacrilèges» [235]. Dans le dernier paragraphe, les orphelins jouent le rôle d'adjuvant et l'orateur d'opposant.

Les couronnes ont une connotation religieuse (mortuaire); les pancartes ont une connotation politique (révolutionnaire) : la manifestation s'oppose à la cérémonie, comme la masse à la messe. La forme circulaire de la couronne lui confère un symbolisme génital féminin, tandis que la forme angulaire de la pancarte -- sans tenir compte de la forme phallique du bâton qui la retient -- lui confère un symbolisme génital masculin. La couronne tient de la parure et est donc de l'ordre du sacré : du «bestiaire sacré» de la fête; la pancarte tient de l'arme (ou de l'outil) et est donc de l'ordre du profane. Au niveau du sociolecte, la couronne est associée à la Nature (non-Culture) et la pancarte est associée à la Culture (non-Nature).

Les premiers exclus de la patrie -- de la mère-patrie, de la terre-mère -- sont les Brasseurs : «Une seule absence : la couronne des Brasseurs» [234]; viennent ensuite les «quatre énergumènes» : «"Les voici les ennemis de notre peuple, les loups dans la bergerie!"». Ce sont les représentants ou les substituts des Iroquois : «"Enfin, les Iroquois!"» [235]; la mère du héros, étant le destinateur-judicateur final, vient sanctionner l'action héroïque de son fils, dont elle avait fini par douter. Pour Paquette, dans ses deux notes infrapaginales, la mère du héros représente le chanoine Lionel Groulx, à cause de son «ceinturon violet» [234, note 1], et le héros est Dollard des Ormeaux, sacré héros de la Nouvelle-France par ledit chanoine et «célèbre pour sa guerre contre les Iroquois» dans l'Outaouais [235, note 2], ceux-ci ayant l'habitude d'être les alliés des Anglais.

Le destinateur-manipulateur intitial serait donc, sous la figure de la mère, Groulx et son héros serait le sujet. Mais l'objet de valeur est le monument-autel : ce n'est pas l'événement historique ou folklorique qui importe mais sa commémoration et sa remémoration; or, l'observateur ne partage pas l'avis du destinateur : «Des pancartes bien en travers de la cérémonie : le héros, un zéro, le dollar, une fausse piastre!» [235]. Il y a évidemment l'assonance des "o" et l'homonymie du prénom du soi-disant ou du pseudo-héros -- André Breton n'avait-il pas, lui, fait une anagramme du nom de Savaltore Dali : "Avida Dollars"? -- et de la monnaie canadienne et américaine, qui ne peut qu'être fausse par rapport à la "monnaie" canadienne-française ou québécoise : la piastre -- la "piasse"...

Du héros, le destinateur a fait un père idéal ou imaginaire, une bonne mère en quelque sorte; l'observateur, lui, ne peut qu'en faire un fils déchu (davantage meurtrier que guerrier?), un père mort en somme. Ce qui fait que cette cérémonie patriotique est un inceste avec la mère, un inceste du peuple et de la patrie; mais les énergumènes -- ces infidèles, ces «traîtres» [235] -- et les orphelins, comme les Iroquois, viennent rappeler à tous les fidèles -- la plupart n'ayant pas de parapluie (autre symbole phallique) [234], sauf un : «parapluie défaitiste s'il en fut!» [235] -- l'interdit, la castration symbolique, la castration par le père symbolique (mort) : le scalp!

-- La pancarte a remplacé le tomahawk...

3 mai 2001

«La chouette»

[EC : 48, p. 247-248]

Dans cet autre petit conte, la présence énonciative (critique ou ironique) du narrateur-raconteur est plus subtile, plus impersonnelle, d'abord au début du deuxième paragraphe : «Qu'on note en passant l'esprit de sacrifice de la dame de charité : c'est tout juste si elle ne souffre pas d'être femme de guénillou" [247]; puis, au début du troisième paragraphe : «Il y a quand même des règles à suivre. N'est pas dame de charité qui veut»; enfin, dans tout le quatrième et dernier paragraphe : «Telle fut la grande mésaventure d'une dame de charité. Comme la chouette, elle avait eu tort de s'aventurer au soleil» [248]. L'observateur a assisté au destin de chouette de la dame de charité.



L'article du titre est générique : il est question de la chouette comme de la dame de charité; sauf, à la fin, où il est question d'une dame de charité. C'est donc dire qu'il s'agit du modèle de la dame de charité, même si on passe de la dame générique à une dame spécifique; mais ce pourrait être n'importe quelle dame, ayant pour époux un médecin ou un avocat : «Cette bonté ne nuit en rien à son mari, le médecin ou l'avocat de la petite ville de province» [247]. Elle incarne donc un cliché, un lieu commun, un stéréotype. Le «linge neuf» de ses enfants devient le «linge usagé» des pauvres; à la pauvreté, à la propreté et à la fierté de ceux à qui il donne du linge, elle oppose sa richesse, sa finesse et sa délicatesse : son «pur clarisme» [248].

À son frère, un abbé, elle se vante de sa bonté; elle s'en enorgueillit, jusqu'à sa mésaventure avec sa «protégée», où elle a commis l'erreur de faire la charité en plein jour et où elle omis de respecter sa propre délicatesse : «Tu as compris, je présume, que la brunante, c'est ma délicatesse» [248]. Elle a donc été surprise par l'espace de la lumière et le temps de l'après-midi, «contre tous les usages» et sous «un soleil éblouissant» : «les femmes et les filles qui se bercent» [248] ont été témoins de la scène; ce n'est pas chouette : la chouette n'est pas chouette; c'est une vieille chouette! La chouette est ce qu'elle est : la dame de charité est rapace; elle a humilié sa protégée : elle, nocturne, s'est aventurée au soleil.

Hegel, le grand philosophe allemand d'il y a deux cents ans, proclamait que «La chouette de Minerve [l'ancienne déesse romaine, qui est la réplique de la grecque Athéna : symbole de la Connaissance et de la Sagesse] ne prend son vol qu'au crépuscule»; cette chouette, c'est l'Esprit.

-- La Bêtise, elle, est diurne, se lève tôt, s'envole à l'aurore...

8 mai 2001

«Un poulailler»

[EC : 68, p. 346-349]

De cette première série de sept contes, celui-ci est le seul avec un titre où il y a un article spécifique et cataphorique et où il est question d'un espace plutôt que d'un acteur; il y a correspondance entre le titre et la dernière phrase du texte : l'observateur-lecteur est passé de l'espace du poulailler à celui de l'église. C'est un poulailler déserté par ses poules, comme l'église l'est par ses fidèles : «À la messe, le curé s'est retourné pour voir diminuer l'assistance» [346]. Mais pour passer du poulailler à l'église, il faut passer par la maison, par le salon, par le ménage, un ménage qui n'a plus ses poules et qui s'envole : le «barda de la maison» [347].



Le mari a son vieux douze pour venir à bout des deux dernières poules, ces «deux sauvagesses» [347], mais il est «penaud comme un oiseau plumé» [349]. Son vieux douze, c'est son sexe défaillant; ces deux poules, ce sont ses testicules qui ne servent plus à rien (mais le vol, c'est aussi le symbole de l'orgasme). Les navets qu'elle doit démêler sont les enfants qu'elle n'a plus ou qu'elle n'a pas eus [347]. La femme et son mari, ces acteurs même pas dénommés ou prénommés, sont aliénés par le surmoi de la «tévé» : par la deuxième personne du pluriel qu'incarne l'observateur-narrateur et par l'espace du voisinage, de Joliette à Montréal ou à Québec : «Autrefois on plaignait plutôt ceux qui devaient partir. Maintenant on envie ces exilés. C'est vide comme tout entre les collines» [346].

Mais c'est aussi la fin; le temps a passé : «Elle eut alors comme une faiblesse et saisit le dossier de la chaise la plus proche [...] Peut-être fut-ce la pensée que c'en était fini pour elle de toute cette vie, avec son odeur et ses bruits, qui lui avait donné ce moment de vertige et d'égarement» [347]. La nuit (la mort) succède au jour (la vie), le ronflement à la parole et au silence, le sommeil à la veille, le rêve à la réalité : les vingt hiboux aux deux poules devenues perdrix -- la satisfaction à l'insatisfaction car, selon Freud, jouer du piano symbolise la satisfaction sexuelle par une autre personne : le mari endormi, ronflant : «Plein d'emphase, grandiloquent et creux» [Le Petit Robert 1, p. 1729]; un mari en «grand'combine» [348] ou la «tante Esmeralda, qui avait appris la musique au couvent de Sainte-Élisabeth» [349]?...

-- Une poule à lier!

10 mai 2001



DISCURSIVISATION



L'ACTORIALISATION

«Le mariage d'Hercule»

[EC : 1, p. 31-33]

Paru en 1942, «Le mariage d'Hercule» est le seul conte publié par Ferron avant 1950.

Après le débrayage énonciatif initial dès le titre, débrayage qui prouve encore que le narrateur n'est pas à l'origine du titre, le conte est embrayé : c'est Hercule qui raconte; c'est un narrateur-acteur. L'essentiel de l'actorialisation ici réside dans un anthroponyme et donc dans l'onomastique au niveau sémantique de l'iconisation. "Hercule" est un nom inspiré de la mythologie latine, elle-même inspirée de la mythologie grecque : "Héraclès". Les qualités, la compétence, de cet acteur présupposent donc celles d'un demi-dieu : force et violence surtout; mais il est aussi honnête et modeste et il inspire confiance. C'est un acteur individuel : il a maintenant trente ans; tandis que «le cordonnier misogyne» et Cassandre -- qui est sa femme, sa fille, sa soeur ou son employée (rien ne le précise) -- constituent un acteur duel [31].



La marraine d'Hercule, Madame d'Ammon, est aussi un acteur individuel : «une marraine que l'âge a satisfaite» [31]. Par contre, les «vieux amis» de celle-ci constituent un acteur collectif : un «vieil ami frileux», un «autre vieil ami» et «un autre abbé» qui est «le remords de ma marraine» [32]. Les qualités qui les caractérisent sont : le repos, la vieillesse, l'amitié, «la religion, l'amour, la belle parole, la gaillardise, le regret et le remords» [32], la drôlerie aussi. Cet acteur collectif est en quelque sorte le contraire d'Hercule : «à trente ans, je n'ai guère de raffinement; je suis massif, taillé en plein dans le bloc» [31]. Par contre, si on considère qu'un portrait, comme dimension d'un parcours figuratif (sémantique), individualise, «le remords de la marraine» est aussi un acteur individuel : «vient parfois un autre abbé, qui, lui, n'est pas gai du tout : on voit qu'il a pleuré beaucoup; il a le visage en coulisse : les joues sont déjetées en arrière avec les oreilles et le plus grand nez du monde est saillant par le milieu» [32]...

Hercule est manipulé par le destinateur initial, sa marraine, qui lui assigne le mariage comme objet de valeur; elle lui désigne, assigne et destine l'une des quatorze filles d'Éliane, «une amie très chère» dont le mari est mort et qui s'appelait Achille : "Achille" est le nom du plus célèbre héros de la mythologie grecque; mais il n'en a pas la compétence : fécond, voire viril, il est maigre et il manque d'appétit. Sa mort fait de lui un acteur absent, comme les intellectuels dont il est question : «"Les aimables libertins du temps des rois, Saint-Évremond, Bussy, La Fontaine, Hamilton, [qui] revenaient à Dieu en mourant» et le «baron de Musset» [32]. Pour le croyant, Dieu est un acteur présent, omniprésent; pour l'incroyant, l'incrédule ou le mécréant, ce n'est jamais qu'un nom propre -- mais le nom propre de personne...

Parmi les quatorze filles (comme les quatorze stations du chemin de croix), une seule est individualisée, actorialisée : la future fiancée d'Hercule, qui «aura le nez rouge» [33], son nez étant sans doute ici le symbole inversé de son vagin, de sa virginité, de son pucelage; c'est la jeunesse qui l'individualise par rapport à sa mère, à la marraine et à ses vieux amis et par rapport à Hercule, qui est dans la force de l'âge. Il n'est nullement question des parents d'Hercule, mais ils sont présupposés par son baptême et donc par sa naissance; cependant, les parents d'Hercule et ceux de sa fiancée, qui n'a pas de prénom, n'ont pas le meilleur rôle par rapport à la marraine et à l'abbé qui, en destinateur final, vient sanctionner les fiançailles : «L'abbé dit amen» [33]; sa sanction lui confère en quelque sorte le rôle du père absent. Il est donc lui aussi un acteur individuel, autant par sa compétence religieuse et intellectuelle, c'est à-dire par la croyance et la connaissance, que par sa performance discursive : sa parole porte.

Les femmes devenues amazones dont il est question dans le premier des quatre paragraphes [les alinéas des dialogues ne sont pas des paragraphes autonomes] sont des personnages qui ne sont pas des acteurs. Il y a un acteur qui n'est pas un personnage : «la peinture [qui] n'a de sens qu'en hiver» selon l'abbé; celui-ci compare le tableau à une fenêtre : «"Il ne sert de rien d'aller à la fenêtre, si nous désirons contempler quelque chose : nous ne pouvons y voir que notre captivité; mais l'industrie des peintres, à ces fenêtres attristantes, ajoute d'autres fenêtres qui s'ouvrent sur le printemps et sur l'été..."» [33]. L'actorialisation est ici confondue avec la spatialisation et la temporalisation.

La peinture est le seul acteur qui n'est pas figuratif; tous les autres sont anthropomorphes, sauf un : «Le chien qui lèche la main de son maître est un loup mal déguisé; seulement, par sa soumission, il donne à l'homme la plus haute idée de sa puissance et, par là, il le rassure» [31]... Hercule, sa marraine et l'abbé sont des acteurs agents (ou actifs), tandis que la fiancée est l'acteur le plus patient (ou passif). La marraine est un peu marâtre; elle est la figure de la mère phallique, qu'elle soit ou non la tante d'Hercule, qu'elle phallicise par son prénom mais qui est aussi féminisé ou infantilisé parce qu'il n'a pas de patronyme. Hercule est dans position de la fille que son père cherche à marier : «La marraine doit me marier [...] "On tâchera d'arranger ton mariage"» [32]... Peut-être sera-t-il possible plus loin d'en arriver à une typologie actorielle de l'ensemble des contes ou d'une (sous-)série de contes; mais, pour le moment, l'ensemble de la distribution actorielle de ce conte-ci est plus sociologisante que psychologisante : il y a plus d'un acteur et l'acteur principal, le héros-protagoniste, n'est guère psychologue!

-- Ou si peu : «en voyant cette jeune fille quitter son déguisement, j'ai l'impression qu'on me l'a passée en contrebande» [33, souligné par nous]...

14 mai 2001

«La jeune nonne»

[EC : 4, p. 50-53]

Étant donné que le titre de ce conte, où il y a beaucoup de variantes d'une version à l'autre, contient un article générique, on peut être tenté de penser qu'il s'agit d'une anecdote qui concerne toute jeune nonne, et peut-être toute jeune fille; rien ne l'interdit, bien qu'il soit question d'une jeune nonne : Soeur Mathilde, qui est cependant une sorte de prototype. Le conte est divisé en trois micro-récits bien distingués par des chiffres romains, cette division ne pouvant donc pas être le fait du narrateur-acteur qui est une autre soeur, qui ne se nomme pas mais qui pourrait bien être Soeur Supérieure elle-même, puisque Soeur Mathilde est sous son autorité : «Soeur Mathilde, fermez les volets» [50].



Le premier micro-récit comprend deux paragraphes, le premier incluant trois embrayages internes, c'est-à-dire trois répliques dans un dialogue entre l'actrice principale et la narratrice. Il est dominé par un embrayage actantiel; alors que le second, en trois paragraphes, est dominé par un débrayage actantiel, spatial et temporel : «Elle marchait à grands pas, un brin de folle avoine dans les cheveux» [51] : il s'agit de l'apprentissage de la vocation et de la frustration par Soeur Mathilde. Le dernier micro-récit, de huit paragraphes, contient lui-même le mini-récit, de cinq paragraphes, du rêve de celle-ci à la narratrice; y apparaît Soeur Supérieure comme actrice : ou bien celle-ci n'est qu'actrice, ou bien Soeur Mathilde s'adresse à Soeur Supérieure comme narratrice à la troisième personne du singulier. L'actorialisation se trouve un peu brouillée par ce double ou triple (em)brayage.

Dieu était apparu comme acteur au début du second micro-récit : «Dieu lui dit : "J'ai besoin de toi, Mathilde"» [51]; il réapparaît dans le mini-récit avec le Diable : «Diantre» [52]. La distribution actorielle est ici quasi totalement psychologisante : symbolique, onirique, fantasmatique. Il y a d'une part les acteurs végétaux, donc non figuratifs, en ce qu'ils ne sont ni anthropomorphes ni zoomorphes -- à première vue! Ce sont : 1°) une branche d'orme, les bras d'un arbre, l'arbre; 2°) dans le mini-récit du rêve : une fougère, les fougères. Les autres acteurs, anthropomorphes ou surnaturels, ont déjà été abordés.

Le symbolisme sexuel, génital, phallique crève les yeux : la branche d'orme est à la vitre de la fenêtre ce que le pénis est à l'hymen que n'ont pas perdu les deux nonnes : «Ses rameaux tombants frôlent la vitre. On croirait qu'ils s'y caressent; ils l'usent perfidement. Leur patience est infinie; le verre s'amincit sans cesse. Si l'on n'y prend garde, un jour ils en seront venus à bout : le peuple feuillu envahira la chambre» [51]. Il faut donc fermer les volets, les cuisses, pour éviter le dépucelage : «Ne le [le peuple feuillu] voyez-vous pas qui gruge sournoisement la vitre. Fermez les volets, vous dis-je. Je préfère étouffer que de m'éveiller dans les bras d'un arbre», ordonne la narratrice [50]; il s'agit très certainement des bras d'un homme. La narratrice craint et déteste la perfidie et la sournoiserie, l'hypocrisie et la scélératesse, la déloyauté et l'infidélité des hommes.

Mais, jeune nonne, elle a dû connaître le même désir du mâle que Soeur Mathilde : «une cornette» n'enlève pas la santé des joues [51]. Cette dernière est aux prises avec «la venue du soir et la solitude de sa cellule qui la troublent» : «L'arbre est devant la fenêtre». Il y alors un glissement de l'arbre et de la branche aux doigts et à la masturbation : «ses doigts font le tour du chapelet, grain après grain, jusqu'au sommeil». Avec le sommeil, viennent le rêve et le fantasme : «Des bras, qui se tordent, se tendent vers elle»; «au gémissement qui sort de l'arbre» répond «la plainte qu'exhalent ses lèvres» (celles de sa bouche et celles de sa vulve) : orgasmes. «L'aube n'en est que plus belle» [51]...

Avec le dernier micro-récit, l'actorialisation se complique à cause du mini-récit que fait Soeur Mathilde à la narratrice dans la chambre de cette dernière; étant donné que la rêveuse a choisi de le raconter justement à cette personne et dans cet espace, il est de plus en plus vraisemblable que la narratrice est Soeur Supérieure : «J'ai eu un rêve, un rêve à votre façon, et à propos d'une fougère, celle-là précisément qui se trouve devant la statue de Sainte Agnès» [51, souligné par nous]. Cette sainte est une «vierge romaine, martyrisée en 303, sous Dioclétien» [Grand Larousse Encyclopédique, volume 1, p. 158]. Qui dit martyre dit sadisme et masochisme; or, le rêve en est fortement teinté : il y a rivalité entre les deux religieuses. Rivalité il y avait déjà dans le premier micro-récit : «Elle rit de mes lubies. Elle rit, mais n'est-elle pas effrayée [une variante : "effarée"]?», se demande la narratrice à propos de la jeune nonne... La rivalité se manifeste plus fortement et plus intensément dans le rêve à cause de l'apparition d'«un être» qui «procède de Dieu ou de Diantre», mais qui a la voix de la narratrice : «l'être ambigu» [51-52]. Même dans l'ambiguïté et l'ambivalence de l'identification de la rêveuse, l'avertissement de cette voix est sans équivoque : Soeur Mathilde doit s'éloigner de la fougère, de l'homme; mais cet homme est devenu le père, Dieu ou Diantre étant une figure ou un substitut du père. Étant donné la destinée onirique de Soeur Supérieure, engloutie, les mains dans les fougères, on peut soupçonner qu'elle est elle-même dans le rêve la figure ou le substitut de la mère-rivale. Soeur Mathilde identifie donc la narratrice à sa mère, qui est un obstacle entre son père et elle. Par ailleurs, la «végétation luxuriante» du rêve [52], comme les fougères, symbolise la toison pubienne de la femme; ce qui a pour effet d'ajouter une dimension masturbatoire et/ou lesbienne au rêve...

L'intrigue du rêve se passe dans un château, et non plus dans une chambre : c'est ou bien de la résistance, de la censure, par déplacement, ou bien un épisode du roman familial, où les parents sont souvent d'origine noble ou royale; mais c'est aussi un «château en ruines» : la ruine de l'autorité familiale comme de l'autorité cléricale... Sauf que le château, comme la chambre, est aussi un symbole de l'organe génital féminin!

Soeur Mathilde rit après son récit; le rire est à la fois malaise et défi, surtout si la narratrice est bien Soeur Supérieure : «Elle ne peut s'empêcher de prendre plaisir à la mésaventure de sa supérieure» [52]. La réplique suivante, dans la bouche de Mathilde -- c'est ainsi que l'avait prénommée Dieu au temps de la «folle avoine» [52] --, est encore plus criante de rivalité et de vérité : «Je soupçonne fort le diable de m'avoir induite à ce rêve» [52]; on pourrait aussi entendre : «Je soupçonne le père de m'avoir induite à ce rire»... Il y a bien ici confrontation, épreuve décisive, rivalité, cruauté! Cependant, la rivale détestée est aussi le modèle désiré...

Ainsi l'acteur change-t-il d'actant : d'anti-sujet, Soeur Supérieure devient destinateur-judicateur (final) et elle vient sanctionner la naïveté du sujet : «Le soupçon ne l'alarme nullement»; dans la chambre et au soleil, le sujet n'a rien à craindre de «[l]'Être méchant» : le mâle, l'homme, le père, le diable. La dernière phrase est très ambiguë : «Mais elle ne saura jamais qui repose dans le château en ruines du bois dormant» [53]. Est-ce vraiment Soeur Supérieure? Est-ce la mère de Soeur Mathilde? Est-ce son père? Est-ce un homme? Est-ce un prince? Ou est-ce Soeur Mathilde elle-même, la jeune nonne qui n'est pas conne -- elle est quand même «lasse», «immobile», «captive» et sans voix dans son rêve -- mais qui n'a pas connu de mâle et qui est la belle au bois dormant qui ne s'éveillera peut-être jamais?...

«--Soeur Mathilde, éveillez-vous! Éveillez-vous, soeur Mathilde!» [52]...

[Si le "s" minuscule du deuxième "soeur" n'est pas une coquille -- car, ailleurs, en début de phrase ou non, il y a une majuscule -- pourrait-on y voir un lapsus, un désir ou un aveu lesbien?]

15 mai 2001

«De fille en mère»

[EC : 21, p. 169-170]

On a l'habitude de dire : «Tel père, tel fils», ce qui pourrait très bien être une autre bonne définition de l'obsessionnel; on dit aussi : «De père en fils», pour définir l'héritage ou la tradition, et «De mère en fille», pour caractériser la condition (familiale, sociale) de la femme ou pour saluer ou déplorer son caractère. Le titre est donc ici inconnu, inattendu. On peut donc s'attendre à une inversion de la "nature" de la femme et c'est ce dont il s'agit : de la mère à la putain. La fille est une fugueuse et une coureuse; elle revient d'une fugue «mieux nippée que devant» la première fois et avec les cheveux teints la quatrième fois; son père approuve : «"Hérode! dit le bonhomme, voilà des cheveux comme je les aime"» [169]. Du narrateur-acteur, qui est médecin, elle reçoit un certificat de virginité pour se marier avec «un prétendant, garçon sérieux, ayant tête de cocu» : «Comme elle n'était pas enceinte il fallut bien lui donner le bénéfice du doute : n'est-ce pas ça la virginité?» [170].



La mère désapprouve la conduite de sa fille : elle est d'abord «dans tous ses états» et a besoin de la piqûre du même médecin; puis une «autre crise de la mère, cette fois avec extrême-onction» [169]; enfin, «il fallut la déclarer sainte» [170], le curé, son adjuvant, n'étant plus d'aucun secours, ayant été mis à la porte par le père lors de la troisième fugue [169]. Mais elle finit par prendre «goût aux fugues : aussi par un beau soir elle remplaça sa fille et partit avec le voisin d'en face, hommes d'oeuvres et père de neuf enfants» (le "neuf" de la non-grossesse de la fille); quand elle revient, elle est «mal nippée», n'a pas les cheveux teints, a perdu «son auréole» (de mère, de vierge) et elle déshonore ainsi sa fille, selon son mari [170]...

Ici encore, il s'agit de la rivalité de la fille, le sujet, et de la mère, l'anti-sujet, pour le père, l'objet de valeur. Mais le père, en bon Hérode, tranche en faveur de sa fille de quatorze ans : «la demoiselle, qui en annonçait dix-sept ou dix-huit et qui n'était pas vilaine, l'oeil effronté, la lèvre boudeuse, la chevelure lourde» [169]; il est donc aussi destinateur final après avoir été destinateur initial, le curé l'accusant d'être responsable des fugues de sa fille parce qu'«il avait bu plus souvent que son tour, ce qui méritait punition» [169]...

Le médecin, l'adjuvant de l'anti-sujet et du sujet, participe aussi à cette inversion des contenus et des rôles des acteurs : la piqûre (phallique) qui calme la mère s'inverse dans un certificat de virginité pour la fille pour éviter que «les oreilles du prétendant» n'allongent davantage. Mais il éloigne ainsi la fille du père : «Le mariage eut lieu et son époux l'emmena vivre en Ontario» [170]; il finit donc par servir la cause de la mère et à nuire au père.

-- Le médecin serait-il le curé des corps?

16 mai 2001

«Le pèlerin»

[EC : 22, p. 171-172]

Le narrateur-acteur raconte sa propre histoire; c'est lui «le pèlerin»; c'est donc un narrateur autodiégétique : «un vrai pèlerin». Mais pour le petit homme qu'il rencontre, c'est un «touriste» [171]. Il y a deux acteurs principaux : c'est un duo et un duel, dont la forme est le style direct : le dialogue; le style direct libre : «Puis-je continuer mon chemin?» [172, sans guillemets et sans tiret], le style indirect : «il m'apprend seulement qu'il ne m'a rien demandé, que je ne suis pas curé et qu'il ne veut pas, mais pas du tout, que je prie pour lui» [172] et le style indirect libre : «la ville est proche, il y trouvera secours», «c'est là qu'il faut aller», «Qu'il se calme, je les garderai pour moi» [172].



Le narrateur n'a pas de portrait physique; il a juste «commis un grand et laborieux péché» que le chemin de croix que le curé lui commande ne suffit pas à effacer; il s'impose alors un pèlerinage en direction de Québec, sans doute vers Saint-Anne-de-Beaupré [171]. Par contre, pour le petit homme, tout est dans son portrait : «un petit homme hagard, maigre, sale, déguenillé»; «le nez pincé, la bouche ouverte, les lèvres noires»; «avec un oeil d'oiseau» [171]; «il a un hibou dans la face, un oiseau inopiné»; «Je me rends compte que c'est lui le peureux et que son hibou n'est qu'une chouette»; «nez pincé, yeux blancs et lèvres noires dans la suffocation» [172].

Ainsi y a-t-il transformation d'un acteur figuratif anthropomorphe en un acteur zoomorphe; même plus : d'une certaine manière, il y a transformation d'un acteur figuratif en un acteur non figuratif, le Diable : «Je n'ai pas marché un arpent, je me sens une chaleur dans le dos : c'est tout noir, qui se dresse dans le feu de la grange, le Diable, pour me souhaiter un bon pèlerinage» [172 : dernière phrase de ce conte de deux pages]. On comprend maintenant pourquoi «le quêteux» ne voulait pas que le pèlerin prie pour lui; mais le narrateur l'avait déjà annoncé un peu avant : «Sa phobie ne me paraît pas très catholique» [172]...

Mais, plus profondément, il semble s'agir d'un fantasme ou d'une tentative de séduction homosexuelle, qui a sans doute quelque chose à voir avec ce «grand et laborieux péché»; tellement qu'il craignait de voir le curé lui «fermer le guichet au nez» [171]; et même plus : si le Diable est bien la figure ou le substitut du père, il s'agit d'homosexualité active avec le père-rival ou d'homosexualité passive avec le père-modèle. La compulsion d'aveu du péché, «à la confesse», puis dans un chemin de croix et enfin en pèlerinage, se poursuit dans la grange, que le quêteux a préférée à la ville, et prend la forme d'une formule : «Salut, donc tu me laisses. Je te quitte, et j'ajoute pour clore»; «Salut, salut, tu me laisses, je te quitte : et je sors» [172]. C'est une formule marquée par l'ambivalence entre la première et la deuxième personne, entre le pèlerin ou le pécheur et le quêteux, entre la chouette (féminine, efféminée, coquette) et le hibou (masculin, viril, phallique), entre un rôle sexuel passif et un rôle sexuel actif : «une chaleur dans le dos»!

Il y a donc eu faute, péché; mais il y avait d'abord un défaut, un manque : «Au fond, je m'ennuyais à la maison» [171]; le sujet est manipulé par son défaut, par l'ennui. Avant même la punition, la sanction, il y a répétition de la faute : le halètement du quêteux rappelle la respiration accélérée lors du coït ou de la sodomie, lors du "labeur" : «Le soufflet lui marche plus qu'il n'en peut» [171], «il se remet à courir après son souffle, pompe et pompe; à la fin le rejoint [...] Mais il m'indique une grange : c'est là qu'il faut aller. Je l'y mène, bien aise de se coucher dans le foin. Il semble en meilleure posture» [172]... Le fantasme est aussi sadique : «c'est un peu comme si j'avais annoncé à sa chouette que j'entends la crucifier sur la porte de la grange»; «-- Laisse-moi, dit-il, ne me tourmente plus» ; «je ne [me] sens pas le coeur à l'assassiner de prières» [172, mot entre crochets dans le texte].

La sanction, elle, est dans le clignement de l'oeil : «Sa chouette reprend du hibou et me cligne de l'oeil» [172]; elle reprend du poil de la bête, elle s'érige : à l'érection succède la masturbation -- et le quêteux de mettre le feu à la grange!

-- Le pyromane se masturbe en regardant le feu qu'il vient d'allumer; l'énurésie infantile est une manière d'éteindre le feu que la masturbation a allumé; la marche elle-même -- le «bon pèlerinage» du touriste -- est un symbole ou un substitut de l'onanisme...

17 mai 2001

«Scrupules de mari»

[EC : 27, p. 184-185]

Comme c'est souvent le cas dans les contes embrayés, le narrateur-acteur est docteur comme l'auteur; ce qui a pour effet de renforcer l'illusion énoncive (ou référentielle) par l'illusion énonciative. À première vue, nous avons affaire à deux micro-récits parallèles. Le premier met en scène cinq acteurs anthropomorphes : le docteur, l'Acadien qui vient le voir, le curé, la petite fille que ce dernier avait placée à côté de l'Acadien et la femme de celui-ci; seuls le docteur et l'Acadien sont présents; il y a aussi un acteur non figuratif : le latin. Le second comprend aussi cinq acteurs anthropomorphes : le docteur encore, le mari, sa famille, sa femme et le curé; seuls le docteur et le mari sont présents; il y a aussi un acteur non figuratif : le droit canon («le bon Dieu»). Il y a donc parfaite conformité : le droit canon correspond au latin; les deux variantes sont la petite fille et la famille.



D'un micro-récit à l'autre, le docteur reste le même. Cependant, le premier mari est très différent du second : il connaît le latin; il est curieux et bizarre; il est obsédé par un souvenir qu'il a oublié et qui a beaucoup d'importance pour lui : «Si important qu'il cessa de travailler et se perdit dans une rêverie interminable qui l'empêchait de dormir. Plus il cherchait, plus il s'égarait» [184]. Il finit par retrouver : il croyait avoir été marié un peu avant sa communion solennelle, donc environ à l'âge où se déclenche une névrose obsessionnelle. Se rappeler ne le rend pas plus heureux pour autant : «Cette trouvaille ne l'avançait guère : il ne se souvenait pas de sa petite voisine et ne pouvait plus, étant marié, se permettre de penser à autre fille» [184-5]. Est-ce que le narrateur, comme observateur de l'acteur et comme informateur, veut dire tout simplement que le mari ne peut pas se permettre de penser à une autre fille que sa femme ou qu'il ne peut pas s'empêcher de penser à une autre fille que la petite voisine? Cette dernière possibilité expliquerait mieux la mélancolie de ce mariage; mais la première possibilité respecte mieux la grammaire du texte. Il y a quand même quelque dénégation et résistance de la part du narrateur : «Je ne veux pas savoir ce qu'il est devenu» [185, souligné par nous].

Mais, de la même manière que l'Acadien se rappelle de cet épisode des «exercices préparatoires à la communion solennelle» [184], le docteur se rappelle «ce mariage plutôt mélancolique» [185]; c'est le mari du second micro-récit qui en est l'occasion. Ce dernier est le contraire de l'autre : «une vieille canaille de mes clients, un peu mon parent, un ami [...] qui ne se soucie guère du latin [...], ce coureur» [185]. Il est donc vieux, alors que l'Acadien était jeune et, surtout, sa croyance est le contraire de celle du jeune : celui-ci croyait avoir été marié à sa petite voisine : «Il pensait être marié!» [...] «je devais en conclure qu'il avait été marié en cette occasion» [184], alors que celui-là croit ne pas être marié parce que sa veuve de soixante-ans ne peut pas avoir d'enfant : «Sa veuve n'avait pas de matrice; il y pensait après deux ans» [185]. Mais comme pour le jeune Acadien, «sa trouvaille ne valait rien» [185]...

Le "scrupule" de la vieille canaille, c'est qu'il croit n'avoir pas fait ce qu'il a fait : s'être marié avec sa «vieille»; lui aussi se sent coupable, mais consciemment, après deux ans : «Sa conscience le faisait souffrir [...] dans la famille on a toujours été catholique : je ne voulais pas offenser le bon Dieu» [185]. Mais sa «trouvaille» ne le satisfait pas; c'est donc que ce n'était pas ça : la religion catholique de la famille n'est qu'une rationalisation de quelque chose de plus profond. Que l'idée lui soit venue après deux ans signifie sans doute que «cet écumeur d'eau douce» qui a fini par jeter l'ancre [185] fait encore face à l'angoisse de castration : la matrice que sa veuve n'a plus le confronte à sa propre impuissance, présente ou future, et à la mort. Même s'il est attaché à sa vieille, «le saint homme» s'est quand même demandé s'il pouvait rester avec elle [185]... C'est un scrupule d'hystérique.

Le "scrupule" du jeune Acadien, c'est qu'il croit avoir fait quelque chose qu'il n'a pas fait : s'être marié avec sa «petite voisine»; inconsciemment, il est rongé par le sentiment de culpabilité. Il cherche dans le latin, chez un docteur qui a perdu son latin mais qui joue un peu le rôle d'un analyste ou, tout au moins, d'un psychiatre. Sa «petite voisine» en cache probablement une autre, une autre «petite fille» ou la même avec qui il a fait quelque chose, séduite par exemple -- et rendue hystérique! Ce serait pourquoi «il ne se souvenait pas de sa petite voisine»... C'est un scrupule d'obsessionnel.

-- L'obsessionnel est inconsciemment convaincu d'avoir tué son père et d'avoir couché avec sa mère!

18 mai 2001

«L'école buissonnière»

[EC: 33, p. 200-201]

Le narrateur-acteur est un déserteur : il a quitté le régiment sans prévenir l'adjudant, mais en prenant soin de mettre l'uniforme de son officier pour visiter ses parents et ses amis. Puis, il prend en quelque sorte le chemin des buissons : «puis je continuai vers le haut du comté et parvint chez une vieille, qui habitait au bout du monde, plus loin que derrière la maison du dernier rang de la dernière paroisse, à un endroit où naguère les Sauvages séjournaient durant l'été» [200]. Cette vieille a la réputation d'être une sorcière : c'est donc un acteur figuratif mais avec quelque chose de surnaturel, d'inhumain; les Sauvages constituent un acteur collectif; le principal acteur individuel, le sujet, est évidemment le «grand capitaine» venu d'en bas plutôt que d'en haut [200] : de la civilisation plutôt que de la sauvagerie ou de l'enfer plutôt que du ciel...



L'objet de valeur apparaît d'abord sous la forme d'une ombre : «Un jour une ombre m'effraye et comme je m'enfuyais je crus entendre un rire clair» [201]; à la suite d'un débrayage temporel et d'un débrayage actantiel, il y a ici de nouveau un embrayage actantiel accompagné d'un (dé)brayage apatial avec le verbe "s'enfuir". C'est un autre acteur individuel : «En arrivant à la cabane, j'aperçus une fille, jeune et jolie, qui pouvait avoir quinze ans» [201]; l'embrayage actantiel suit ici un (em)brayage spatial avec le verbe "arriver".

Étant donné la désertion, le brayage spatial redouble significativement le brayage actantiel, d'abord et avant tout par l'aspectualisation verbale du début à la fin du texte : "quitter", "aller", "continuer", "parvenir", "séjourner", "venir", "s'installer", "parcourir", "épier", "rentrer", "s'enfuir", "arriver", "faire un pas", "s'éloigner", "suivre", "sortir", "descendre", "revenir", "détacher", "blottir" (un déserteur se cache), "monter", "se rendre", "ramener", etc.

Il y aussi quelques acteurs (agents ou patients) qui ne sont pas des personnages : l'uniforme de l'officier qui donne de l'allure au déserteur avant de tomber en loques, sa capote, les fruits sauvages, l'argent qu'il donne à la vieille, le poisson, sa pipe, ainsi que l'étoile qu'il détache de son uniforme, le gobelet et la cruche de la sorcière surtout, car l'étoile joue un rôle très actif dans la séduction de la petite et l'alcool tue presque la vieille; la jeep est un autre acteur du même genre.

Aux acteurs militaires du début s'ajoutent les acteurs militaires de la fin : «la jeep de la prévôté» et le déserteur ramené à la civilisation, au symbolique de l'espace, le régiment étant symbolique de la civilisation [201], l'anti-sujet et le sujet. Au sein de la civilisation, se distinguent le militaire (le soldat, l'adjudant, le capitaine, la police militaire) et le civil (le déserteur, «les hommes de ma race», «de braves gens»). Mais le déserteur déserte la civilisation pour une adolescente «sauvageonne»; il est ainsi triplement coupable, "sauvage" : il contrevient à la civilisation militaire, à la civilisation blanche et à la civilisation familiale, étant donné l'âge de «la petite» [201].

L'espace utopique, où il y a conjonction entre le sujet et l'objet de valeur, est un espace sauvage : c'est le buisson; mais le buisson, c'est aussi la toison de la jeune fille, le "buisson ardent"... L'école buissonnière est l'imaginaire de l'espace, le buisson étant un espace imaginaire : flâner, se promener, errer, explorer, ne pas aller en classe, au bureau ou à l'usine, ne rien faire, songer, fantasmer, fainéanter, forniquer : «Il y a sans doute sur les lieux de mon aventure la tombe d'un enfant métis» [201]; l'aventure date donc d'il y a longtemps ou l'enfant est mort jeune, comme c'était et c'est encore souvent le cas chez les Autochtones; à moins qu'il ne s'agisse de la rivalité du père-sujet envers le fils-destinataire?...

-- Mais déserter, comme s'évader peut-être, est d'abord une révolte contre le père.

30 mai 2001



LA TEMPORALISATION

«Débauche»

[EC : 35, p. 204-206]

Ce conte pourrait se passer n'importe quand : le temps de la fiction est inconnu, impertinent; il s'agit de la longue vie d'«UN PETIT HOMME SEC» de quatre-vingt-douze ans aux prises avec sa vessie [204, en capitales dans le texte]. Le temps de la narration est le passé : l'imparfait, le plus-que-parfait et le passé simple; il y a donc débrayage temporel, sauf au premier paragraphe : «Quant à sa vue, n'en parlons pas», au deuxième : «Le lendemain, je le retrouve au mieux; il me crie» [205] et au quatrième : «De six mois en six mois, les années passent vite, et quand on en a déjà quatre-vingt-douze, on peut penser à son centenaire, une belle fête pour tout le monde, le jubilaire en moins [205-6]. Ces trois embrayages ont évidemment pour effet de rapprocher le lecteur du narrateur et de l'acteur : c'est le temps du commentaire, du comment-dire.



Mais si l'histoire ou l'anecdote pourrait se passer n'importe quand, il y a quand même une régularité annuelle : «Le bonhomme tombait malade deux fois l'an, régulièrement, l'été avec la visite des parents de la ville, l'hiver avec la fin des Avents»; «Le soulagement obtenu, il en était quitte pour six mois» [205]. En outre, il y a inversion temporelle du début à la fin : «Il se moquait bien des donneurs de conseils, des faiseurs de morale et des jeteurs de sort : il les avait tous enterrés, du moins ceux de sa génération» [204]; «D'ailleurs ce n'étaient plus ses amis, les fêtards, les viveurs, qui prenaient soin de lui; c'étaient les donneurs de conseils, les faiseurs de morale, de bien braves gens au fond. Il se laissa débaucher : le ciel, fort bien!» [206]. De même : «il allait à petits pas vifs avec des démangeaisons de papillon; le cocon qui l'enveloppait lui rappelait les nuits de sa jeunesse» [204]; «Sa chenille de vie resserrait de jour en jour son cocon; cela lui donnait des démangeaisons d'âme, des goûts de papillon» [206].

-- La pulsion de mort : de la fête à la tombe, de la gigue à la fumée, de l'humide au sec, du papillon à la chenille!

23 mai 2001

«L'orage»

[EC : 42, p. 231-233]

Dans ce texte temporellement débrayé, il y a trois embrayages temporels; d'abord au début : «Les reins, les foies et autres viscères obscurs, perdus dans le ventre et qu'on repère, qu'on dégage, qu'on verbalise, qu'on visualise pour les besoins de la pratique, qui deviennent ainsi des entités magiques, le cerceau invisible dans lequel on fait sauter les malaises devenus maladies comme des chiens savants ou des lapins apprivoisés -- et c'est tant du numéro --» [231]; puis au milieu, entre parenthèses : «je le rapporte dans mes termes car, étant Laurentien moi-même, son langage ne m'offrait pas cette étrangeté qui me touche et me retient au mot et à la lettre comme il en est pour l'acadien» [232]; enfin à la fin : «Et elle me dit dans son beau langage qui me touche, car il n'est pas le mien, ces mots que j'ai notés et qui sont parmi les plus prestigieux que j'aie entendus» [232].



Le temps et l'espace du médecin sont ceux du corps; le temps d'un médecin de campagne est celui du climat : du vent des Laurentides, «Saint-Zénon sur les hauteurs de Berthier, où le comté partage ses eaux entre la Maskinongé et la Mattawin», et du tonnerre «de Shédiac, en Nouvelle-Acadie» [232]. Mais la peur est inversement proportionnelle au vent et au tonnerre : «Leur émotion restait étrange car la première venait des Laurentides où il ne vente guère et tonne beaucoup, la seconde du Golfe, dans ses parages acadiens, où le vent court si vite qu'il désamorce la foudre» [232].

-- Le temps qu'il fait s'inverse dans le temps qui passe.

23 mai 2001

«De jolis yeux bleus»

[EC : 46, p. 243-244]

Ici encore, il s'agit de rapprocher le lecteur de l'acteur, de provoquer l'identification et de susciter la sympathie par des embrayages temporels : «Une nuit, elle me téléphone» [243]; «Je comprends mal l'anglais, surtout celui de Varsovie»; «je me demande pourquoi : il était pire qu'avant»; «ce que nous appelons, nous, le dénûment complet» [sic]; «Je pique le Polonais. Sa femme me demande»; «Quand on paye, je prends. Ce n'est pas ce que le métier a de plus agréable. Je lui réponds»; «Mais non, la voici qui dénoue son mouchoir. Il contient sa fortune, c'est-à-dire un dollar de moins qu'il m'en faut. Elle me la tend, je prends»; «Je réponds que je le lui donne, belle charité»; «seulement un peu plus durs que ne le sont des yeux d'enfants» [244].

-- Le français se rapprocherait-il de l'anglais en passant par le Polonais?

23 mai 2001

«Le ferme propos»

[EC : 47, p. 245-246]

Ce petit conte de trois paragraphes est en très grande partie embrayé au niveau temporel autant qu'au niveau actantiel; il s'agit d'une sorte de lettre, de confession : une femme, mère de cinq enfants, s'adresse à son frère, qui est abbé comme dans «La chouette» [cf. PONCTUATION], pour lui parler de l'époque pécheresse de ses dix-huit ans; il y a alors débrayage temporel et spatial : «Mais à dix-huit ans, lorsque j'étais au couvent, et en fort bonne santé, si tu t'en souviens, je ne pouvais, mais pas du tout, m'y [au «ferme propos de ne plus pécher] soumettre» [245]. «Le ferme propos» finit, à la toute fin, en propos ferme : «Tu n'as pas un peu l'impression, mon frère que votre machine va de travers, que ce n'est pas le bon Dieu mais le Diable que somme toute vous avez incarné? C'est à ton tour de te confesser» [246].

-- La lettre arrive toujours à destination [Lacan]; une lettre peut ne pas arriver à destination [Derrida]...



23 mai 2001

«Du prépuce»

[EC : 50, p. 251-253]

Ce conte est aussi un essai, un pamphlet voire. Au tout début, il y a un débrayage temporel au passé composé et à l'imparfait. Le second paragraphe débute par un débrayage au plus-que parfait : «J'avais été appelé au chevet d'une jeune dame précautionneuse et dévote qui, nonobstant ses soins et ses prières, avortait sur les deux mois» [251]. Il y a ensuite quelques embrayages au présent de l'indicatif, présent parfois intemporel : «sentiment fréquent chez qui ne dispose pas de soi-même et vit en exil de son corps dans une imagerie plate et sulpicienne» [251]; «Dès que j'arrive, ce vicaire, un grand fou, les yeux brillants, la face blême, me prend à l'écart et me dit avec une froide détermination de baptiser... Baptiser, moi je veux bien»; et ainsi, jusqu'à la fin de ce second paragraphe [252]. La révolte de l'observateur contre le vicaire, contre le «dieu goupillon» [252] et contre la circoncision s'énonce au présent; il faut un embrayage pour donner plus de force à l'énoncé : il faut que l'énonciation prenne le dessus sur l'énoncé, comme c'est le cas dans le troisième et dernier paragraphe.



L'angoisse de castration est à son comble jusque dans le signifiant : le "phallus" a perdu son "s", comme son prépuce dans la circoncision : «C'est d'ailleurs, en notre pays où le fanatisme ne se rencontre guère, un chemin à peine tracé, invisible sans imagination, que cette piste remontant de Dieu vers les sources de l'espèce et permettant à la conquête religieuse, par le phallu transformé en goupillon, de dépasser l'individu pour aller s'installer dans les lieux mêmes de la génération» [251]. Cette leçon d'anthropologie s'inverse à la fin : «Et il [Dieu] allait plus loin, le vilain : par le susdit chemin, continuant au bout de la seringue, il remontait en rampant jusqu'au phallu qui n'en demandait pas tant et s'y installait par une sorte de sacrement, dieu goupillon, pour être sur les lieux de toute conception -- quelle impudence, doux Jésus! Et quelle sale affaire que la circoncision! Elle est un signe de fanatisme, l'empreinte d'une maladie de l'âme, tant et si bien que les seuls cagots que nous ayons, les Témoins de Jéhovah, se sont mis à la pratiquer» [252-3]. Si la circoncision est un substitut de la castration, celle-ci, par l'intermédiaire d'une citation de Voltaire plutôt tronquée [253, note 2], est directement évoquée à la toute fin du texte : «"Ils se coupaient le prépuce en l'honneur de Dieu, chose très conséquente. Les Hottentots sont bien plus dévots : ils se coupent une couille"» [253].

-- Il n'est pas facile de combattre le fanatisme sans échapper au fanatisme, voire au racisme, à l'antisémitisme...

24 mai 2001

«Conte»

[EC : 69, p. 350]

C'est le «conte» des Contes, le plus court de tous, jamais publié. Dès le tout début, il y a programmation temporelle : «J'AI DÉJÀ HABITÉ à Mont-Louis» [350, en capitales dans le texte]; c'est donc dire que le narrateur n'y habite plus. Mais par ce débrayage temporel, il y a ensuite localisation temporelle : «Un jour que le plus honnêtement du monde je médisais d'un curé, elle me fit taire». Il y a aussi un embrayage : «Cette littérature, tournée vers l'autre monde, laisse en résidu une idée assez vague du nôtre». De Mont-Louis à Ville-Marie (Montréal), le narrateur a fait le compte et il a retrouvé «l'histoire de notre temps» [350].

-- Dans ce conte, il y a toute une littérature, celle des «petites annales» de la province!

24 mai 2001



LA SPATIALISATION

«Le secret»

[EC : 5, p. 54-63]

«Le secret» est le seul conte, avec «Suite à Martine», qui a une épigraphe; elle est attribuée, tronquée ou inventée, à Nérée Beauchemin, le poète québécois du tournant du vingtième siècle; le rédacteur Paquette dit ne pas l'y avoir retrouvée. L'original, de 1951, avait pour sous-titre «Conte drolatique inscrit au concours littéraire» [54, variantes] -- c'est pour le moins un rire jaune! L'épigraphe est en italiques : «Un cochon à bouffer, une énigme à résoudre, il n'en faut pas davantage, monsieur, pour vivre vieux» [54]; y répond et y correspond la fin de l'histoire : «"C'est l'histoire d'un cochon et l'histoire d'un billet"» [63]. Cette phrase annonce un acteur, le cochon, et le thème du conte, le secret : l'espace et le temps du secret.



Il y a deux espaces principaux : Saint-Joseph de Beauce et Québec; entre les deux, Lévis et son traversier; plus au nord-est, «un petit village, en Gaspésie, où le sujet, Odilon Cliche, s'est retiré, et qui est l'espace de la sanction, par un autre curé. À Saint-Joseph, «DÉSIRÉ CLICHE habitait la dernière maison du dernier rang dans la paroisse de Saint-Joseph» [54, en capitales au début du texte]; le Beauceron a une porcherie [55]. Son fils, Odilon, y est de retour après son voyage à Québec [58]; il passe par le presbytère, il fait «le tour des hommes instruits de la paroisse. Après le docteur, ce fut le notaire; après la maîtresse d'école, le premier marguillier» [58]. Après sa réussite sociale, Odilon y revient de temps à autre : «Passait-il par la Beauce que la fanfare de Saint-Joseph venait à sa rencontre» [62].

À Lévis, il y a une taverne -- ou deux, si ce n'est pas la même -- et le traversier, à l'aller [55] et au retour [59]. À Québec, les espaces se multiplient pour le sujet, Odilon : «La Côte de la Montagne» qui mène au bureau de l'avocat de la Haute-Ville, «la terrasse», le cabinet de l'avocat [55, 59], le trottoir [56]; après avoir monté, il descend : «il s'abandonna à son penchant, qui l'entraîna aux pieds des côtes, sur la rue Saint-Vallier, dans un bordel : «près d'une maison qui lui paru close» [57], où il retourne deux ou trois fois [60, 61]; il connaît aussi «les quais» et donc le fleuve Saint-Laurent [59], le bagne [60], la campagne avec sa première femme, à trente-huit ans, pendant dix ans : «Ils ont une belle maison, un jardin, des fleurs, un jet d'eau qui chante» [61], l'espace de dix ans d'étude [62], la maison de son second mariage, à cinquante-huit ans et pendant dix ans aussi : «La maison de M. Odilon Cliche était devenue la principale du pays» [62], et le cimetière, en Gaspésie : «On lui fit de belles funérailles» [63, dernière phrase du texte].

À la taverne de Lévis et au tavernier, est associé un leitmotiv : «Il n'y a rien qui bat la bière», répondit le tavernier, pour étancher la soif du cochon» [55]; «Il n'y a rien qui bat la bière, dit le tavernier, pour remettre un homme dans la joie» [59]. À Lévis et à Québec, il y a un second leitmotiv : «Je suis le garçon à Désiré Cliche» [55, 56, 57, 61]; «Ainsi reprit le curé, vous êtes le garçon à Désiré Cliche» [63]; et, un troisième : «le garçon à Désiré Cliche, mon meilleur ami» [55, 56, 57, 59, 60], «le garçon à Désiré Cliche!» [61]. À Saint-Joseph, à Lévis et à Québec, il y a un ultime leitmotiv, celui du rejet, de la répulsion, de la condamnation : «Infâme! S'écria-t-il. Va-t-en et que je ne te revoie jamais»; «Infâme! s'écriaient-ils, Va-t-en et qu'on ne te revoie jamais» [58]; «Infâme, s'écria-t-il!» [59]. À cette injure, est associée une couleur : cramoisi [58, 59].

Nul doute, donc, que le secret concerne le père, Désiré, qui est le premier à condamner son fils, et ainsi l'origine d'Odilon. Il s'agit de faire le lien entre deux secrets :

1°) Le secret du vagabond : «le secret d'une herbe magique»; «Mais pour mieux profiter du secret, il prit sur lui de glisser quelques brins de l'herbe magique dans l'assiette de son fils aîné. Il n'en prévoyait pas les conséquences, le malheureux!» [54].

2°) Le secret du billet : «Ce billet avait plus d'importance qu'elle ne l'aurait cru» [60].

Désiré est connu à Québec; il est l'ami désiré. Il y a certainement acquis une compétence et la ville a été l'espace de sa performance; à la campagne, le vagabond lui confère de la compétence et il améliore ainsi la performance du bonhomme : «Un mois après, Désiré Cliche avait les plus beaux porcs de la paroisse et il se réjouissait grandement d'avoir été charitable» [54]; «Lors du printemps qui suivit, la porcherie du Beauceron participa à sa manière au renouveau de la nature. Les truies mirent bas de tant de gorets qu'elles étaient à court de pis» [55].

Il s'agit aussi de faire le lien entre Désiré, son avocat et la patronne du bordel d'une part et entre Odilon, celle-ci et ses deux filles d'autre part; il faut pour cela se concentrer sur un espace topique : le bordel, espace qui n'est jamais nommé comme tel dans la version finale, contrairement aux variantes [57, 59, 60, 61, 63 : notes]. Le secret pourrait concerner le secret de la vie, des mystères de la vie : Odilon ne sait pas lire; serait-il aussi impuissant qu'ignorant? -- L'hypothèse est à écarter : «te voilà un homme» [55]; «Il était bien bâti et rougeaud» [56]; «Chaque soir, Odilon supplie sa femme de lui dire son secret et malgré le plaisir qu'elle lui donne, chaque soir, elle le déçoit»; «Après tout ils ont été heureux comme mari et femme peuvent l'être sur terre» [61]. En outre, si «[c]ette herbe, mise dans la moulée des cochons, donnait des animaux d'une rare venue» [54], elle devrait favoriser la virilité et la fécondité du fils aîné; or, il n'est question ni de la mère d'Odilon et il n'a pas eu d'enfants de ses deux femmes et de vingt ans de mariage. Comment le faste est-il devenu néfaste? Comment la livraison du secret par le curé au dernier paragraphe peut-il tuer Odilon? Le secret a été révélé à ce curé par «un autre curé qui le tenait, lui, d'une dame, patronne de l'établissement susdit, laquelle, mourante, le pria de vous [à Odilon] le transmettre» [63].

Le secret pourrait concerner ce qui s'est passé lors de la première visite d'Odilon au bordel, de sa performance, de ses prouesses sexuelles : «Lorsqu'Odilon en eut assez, il parla de s'en aller» [57]; lorsqu'il eut assez de quoi : du cochon, «le menu de la semaine», ou du sexe? Ici, de manière exceptionnelle, il peut être fait appel aux variantes : «Monte voir : j'ai une fille qui a faim. // À cette fille Odilon porta son goret. Lorsqu'il redescendit, la patronne l'attendait au pied de l'escalier» [57, en italiques et en petits caractères dans la note]... Les cochons ou les gorets sont à la porcherie ce que le cochon d'Odilon, qui s'abandonne «à son penchant», est au bordel. Pour le cochon lui-même, qu'Odilon doit porter à l'avocat de son père «qui lui avait été naguère de bon service» [55], l'espace utopique se trouve dans les vêtements d'Odilon : «Le goret, qui criait comme un perdu, ayant bu, s'assoupit. Odilon prit le bateau de la traverse. Sur le bateau le cochon se réveilla. Pour ne pas attirer l'attention, Odilon le fourra dans sa culotte. Au chaud, l'animal se calma [...] Parvenu sur la terrasse, il mit le goret à l'air pour qu'il admire le paysage, mais le goret se reprit à crier. Odilon dut le remettre au chaud» [55]; «Vous pouvez le caresser. C'est un petit cochon de lait»; «Et son petit cochon semblait si tendre» [56]; «Odilon mit son goret sur le canapé» [57]. Il y a donc très certainement déplacement du goret à l'organe sexuel d'Odilon et de son organe à sa personne.

Mais le dernier observateur est toujours dans l'embarras, dans le secret : en quoi ces «quelques mots sur un bout de papier» peuvent-ils autant affecter le père d'Odilon et ceux qui le connaissent [57]? En quoi Odilon n'est-il pas assez instruit [62] pour comprendre le secret de sa vie [61]? Pourtant, lorsqu'il l'apprend de la bouche de ce curé de Gaspésie, il le comprend assez bien pour en mourir : est-ce que le secret de sa vie est aussi le secret de sa mort? Étant donné le scandale que ce secret déclenche, du père à l'avocat, il ne peut qu'avoir une grande importance : le secret ne peut pas être qu'il n'y a pas de secret. Les possibilités de résolution de l'énigme deviennent de plus en plus rares : ou bien Odilon est un bâtard et Désiré n'est donc pas son père, ou bien la patronne est sa mère et il ainsi épousé ses deux (demi-)soeurs; à moins que Désiré lui-même ne soit le père d'une des deux filles de la patronne...

Si on excepte «le mendiant», «le pouilleux» [60], qui ne l'a sans doute pas lu, l'avocat est le dernier à avoir lu le billet : «Il n'avait pas très bonne réputation, et, comme c'est toujours, il était pire que sa réputation. Mais il ne voulait pas qu'on le sache»; «"Il y a là matière à procès", dit l'avocat» [59]. Mais une fois qu'il a lu «"ce fameux billet"», il devient lui aussi cramoisi : est-ce que le billet le concernerait?

-- Le secret tient de l'origine : «Il a perdu son billet, il ignore le nom de son destin» [60] : le nom du père? le nom de la mère? le nom de l'avocat?

28 mai 2001

«Un accouchement réussi»

[EC : 6, p. 64-67]

Ce conte est le deuxième et dernier des vingt-sept contes "oubliés" où il y a un titre qui commence par l'article indéfini (cataphorique) "un". L'accouchement et la réussite sont à venir, annoncés, inconnus : ils auront lieu le 30 avril 1948. L'espace de la grossesse et de l'accouchement est évidemment le corps de la femme, du «"ventre qui prend tout"», et du lit [65]; c'est un espace centripète, comme celui de la maison de Jérémie Darache, époux d'Angélique Darache : «Quelques masures subsistent parmi les broussailles. Dans l'une d'elles Jérémie a logé sa famille» [65]; c'est en outre celui du village : «Ne restaient que les vieillards, les quatre infirmes, les deux lâches, le marchand et lui-même, Jérémie Darache, fils d'Isidore» revenu en mars [64]; c'est enfin celui du golche : «Le ravin, sur ses abords les moins abrupts, était autrefois cultivé. C'est le golche, aujourd'hui déserté» [65]. C'est en somme un espace fermé.



L'espace des hommes est un espace centrifuge et ouvert : «Tous les hommes, qui pour la drave, qui pour les moulins, avaient quitté le village» [64]; même chez lui, Jérémie préfère le village à sa maison : «Un mois passa, il vécut comme un rentier, plus souvent au village qu'à la maison»; et la maison de son cousin à la sienne : «Sur les entrefaites son grand cousin, chez qui il avait des habitudes, revint inopinément du Nord. Jérémie jugea plus prudent de suspendre ses visites» [65], sans doute à la femme de son grand cousin... Par rapport au Gros-Morne, le golche est lui-même centripète : À l'est de Gros-Morne le chemin s'éloigne de la mer, s'engage dans la vallée, la quitte pour un ravin, lequel grimpe sur le plateau de Manche-d'Épée» [65]; mais l'aspectualisation de l'espace, par les verbes, est centrifuge : "s'éloigne, "s'engage", "la quitte", "grimpe".

L'espace de Jérémie est cependant celui du harnais, c'est-à-dire de l'effort, du travail : «-- Un homme, dit encore Jérémie, ne peut rester à rien faire; il faut qu'il gagne la vie de sa famille» [65]; «Moi je ne peux plus rester ici. Je ne suis pas un paresseux. Il faut que je gagne la vie de ma famille» [66]. À sa femme, au contraire, à qui il a donné «une pipe de plâtre» [66], il manque la force : «-- Force, lui dit-il, ça viendra plus vite. Moi je perds mon temps ici» [64]; «-- Seulement, pense-t-il, il faudrait qu'elle force» [66]; à sa maigreur [65], s'oppose l'embonpoint de ses enfants [66]; à son nez qui «lui sort d'autant» [65], la morve qui leur coule du nez [66]; à leur appétit, son inappétence [66]; mais ses enfants partagent avec elle le silence [66]...

Angélique à le ventre dur et Jérémie dort «le dos rond» [65]. Le corps et le lit d'Angélique finissent par se confondre avec le paysage du golche : «Lors d'une contraction plus forte le lit est inondé»; «La rumeur d'écoulement entraîne la mourante vers le ruisseau du golche, vers la rivière de la vallée»; «Le village est au bord de l'anse. Les chemins s'arrêtent au village, la rivière continue dans la mer. Des larmes coulent sur son visage, c'est le montant, la rivière qui revient». Ses eaux sont crevées : «Les larmes n'ont jamais arrêté le destin, la marée ne va pas loin et les eaux, un moment indécises, reprennent leur cours fatal, entraînant dans la mer le débris venu du golche à la fonte des neiges» [67].

Le futur nouveau-né est un tel débris. C'est pourquoi Angélique, «la mourante», en a assez de la répétition : «LES FEMMES ACCOUCHENT, c'est leur destin; peu cependant accouchent bien; le plus souvent il faut qu'elles recommencent; c'est ainsi qu'elles ont beaucoup d'enfants. Quelques-une néanmoins profitent de la répétition» [64, en capitales au tout début du texte]. Cet accouchement sera une réussite; ce sera le dernier : «Ce ne sera pas un accouchement pour rire, un accouchement manqué, à reprendre dix mois plus tard. Finies les pauvres répétitions, demain la générale, l'expulsion définitive d'une vie misérable!» [66-7]; propos que l'observateur ne peut attribuer qu'à la parturiente : «Elle se détourne : s'occupe-t-on des fourmis?» [67]. Mais, même mourante, même si elle sombre après avoir reparu à la surface, elle donne naissance à un enfant : «Elle entendit un cri de détresse, ce n'était pas le sien» [67, dernière phrase du texte].

-- Dans la misère et la détresse, un nouveau-né qui n'est pas mort-né mais né-mort!

29 mai 2001

«Voulez-vous sortir»

[EC : 25, p. 179-181]

C'est le seul conte de tout le recueil dont le titre prend la forme d'une question : «Formule par laquelle une prostituée invite un client éventuel. Le titre semble avoir été volontairement laissé sans point d'interrogation : il s'agit d'une expression lexicalisée, comme le fait entendre la suite du texte» [179, note 1]. Tout est clairement dans «LE TRENTE-TROISIÈME SENS» [179, en capitales au début du texte»] du verbe "sortir" que l'écolier ne comprend pas et ne trouve pas dans son Littré : «"Sortir", le mot s'emploie de trente-deux façons différentes» [181]. Or, telle que le précise le rédacteur Paquette, dans cette expression, le verbe n'a pas de signification spatiale ou temporelle comme dans "Ça vient de sortir".



L'espace de la prostitution est pourtant celui de la démarche et de la marche : une prostituée est une péripatéticienne; elle fait le trottoir, malgré le froid. Le froid, et donc la dame «obéissant aux lois de son sexe» [181], se situe ici surtout du côté de la nature, contrairement à l'écolier : «C'est donc avec un sentiment défavorable à la nature qu'il se rendait chez lui» [179]; «Et qu'on éprouve, nonobstant Lamartine et toute l'école romantique, un sentiment hostile à la nature» [180]. L'écolier est en quête de chaleur; il ne veut pas sortir, il veut revenir chez lui, rentrer, entrer au chaud. La chaleur, et donc l'écolier, se situe ici plutôt du côté de la culture : «goûtant à l'avance cette température égale que l'homme, qui l'avait déjà dans la peau en sa qualité d'animal à sang chaud, a su mettre dans les maisons [179].

L'espace curviligne et rectiligne de la dame est un espace intermédiaire ou transitoire et ouvert : c'est celui de la rue; l'espace rectiligne de l'écolier est un espace terminal et fermé : c'est celui de l'école et de la maison. L'espace féminin est ici sexuel, tandis que l'espace masculin est intellectuel : c'est l'espace du Littré, des belles-Lettres, des dictionnaires. Mais dans la curiosité et l'éveil des sens, l'écolier se trouve entre le fermé et l'ouvert, entre l'intellectuel et le sexuel : «Alors il s'approcha de la fenêtre, appuya son front contre la vitre et soupira, ô vanité des Belles-Lettres, insuffisance des dictionnaires!» [181]. Insatisfait, il avait déjà esquissé un mouvement vers la porte pour sortir; il avait aussi presque tendu la main pour toucher la dame : son espace est donc finalement un entre-deux; c'est l'espace de l'hésitation. En quête de chaleur, il s'est trompé de maison : il n'a pas choisi la chaleur humaine, celle de l'«animal à sang chaud», celle de la femme, celle de la dame ou de la mère. Mais ce n'est que partie remise : «Ce sera bon!» [180].

-- L'éveil de la chair est déjà une écharde dans la chair.

29 mai 2001

«Two pairs of pants»

[EC : 28, p. 186-188]

Il s'agit du seul conte où il y a un titre en anglais et un titre en italiques. Comme dans «De jolis yeux bleus» et quelques autres, il y a des fragments de dialogues en mauvais anglais. Comme dans les trois autres contes débrayés de cette sous-série, le thème dominant est la sexualité et donc l'idiolecte.



Deux espaces s'opposent : l'espace dangereux de la rue et du fossé et l'espace sûr de la maison, un espace ouvert et centrifuge et un espace fermé et centripète. Le premier espace est dominé par l'homme : c'est le père qui a envoyé sa fillette, Annie, chercher une bouteille de bière à l'épicerie; c'est le guenillou qui l'a culbutée dans le fossé [186-187]. Le second espace est dominé par la femme : c'est la mère qui ordonne au père de décrocher son fusil, qui le menace d'un couteau à pain, qui mande la police, qui exige sans succès que le médecin (qui croit que c'est la soeur aînée qui a été violée) d'examiner Annie [186-187].

Mais le véritable espace utopique du conte est un espace intime, secret, qu'Annie protège contre le viol avec deux paires de culottes, c'est-à-dire de sous-vêtements. Sa mère, elle, crie au viol et à l'outrage : «La mère resta toquée : sa fille avait été violée. Elle ne croyait pas, Dieu sait pourquoi, qu'une femme pût résister à un homme, surtout à un homme sale et barbu comme le grand guenillou» [187]. D'une part, il y a des objets phalliques : la bouteille, le fusil et le couteau à pain; d'autre part, il y a le sexe d'Annie, sans doute encore vierge, mais quand même victime d'un assaut : «les cheveux défaits, la chemise déchirée et le teint fort avivé» [186]; ce qui ne l'a pas empêchée de se défendre et de mordre le guenillou [187]. Annie sait qu'il lui faut se protéger; elle ne veut pas se faire examiner, devinant ou sachant ce qui est arrivé à sa mère : «Examinez plutôt ma mère, c'est elle qui en a besoin» [187]. Il y a donc rivalité entre la fillette et sa mère, le père prenant encore partie pour celle-là : «"Annie est une brave fille", dit-il en débouchant la bouteille» [186]; «une fille est moins fragile qu'une bouteille» [188]...

-- Il plaît au buveur, au «bonhomme» assoiffé, de le croire!

30 mai 2001



L'ASPECTUALISATION

«La grande jupe»

[EC : 38, p. 216-218]

Ce conte de deux paragraphes est marqué par la montée et la descente. C'est l'histoire d'une vie, d'un mariage, d'un amour, d'une passion, d'une érection : d'un pied qui ne trouve plus sa botte -- d'un vieux qui ne retrouve plus sa vieille!



Dans le premier paragraphe, accompli (perfectif) au début, au plus-que-parfait, il y a d'abord montée : «L'heure venue, elle les mit et le pied souple, la jambe alerte, monta sur la pente derrière la maison, qui l'emmena au bord du plateau où se trouvait le pacage» [216]. Mais la montée s'accompagne de l'éloignement, comme la vieillesse du passé : «Une clochette au loin répondit que la vache était grosse comme un veau et pas pressée de vieillir» [216] : la vieille est à la vache ce que l'avenir est au présent, ce que la pente est au magasin où le mari a acheté la «paire de petites bottes rouges à l'épreuve de l'eau, donc de la rosée» [216]. Rapidement, la vue d'en bas devient celle d'en haut : «la vue était d'ailleurs de l'autre côté, en contrebas, sur le toit de la maison, sur le village, sur l'anse et la mer -- tout un panorama qui tombait de sa jupe et dont le point culminant restait caché; pour l'apercevoir elle dut se pencher» [216]. Il y a ensuite redressement temporel et spatial : «des bottes comme elle n'en avait jamais vues, fines, légères, moulant la saillie des malléoles, lui rajeunissant la jambe d'un siècle, des bottes de demoiselle!. La vieille se redressa, radieuse : ce qu'il était gentil quand même, son mari!» [216].

Justement, le mari voit d'en bas, de son point de vue marqué par un "or" : «Or celui-ci se tenait justement au-dessous d'elle, près de la maison, accoudé à la barrière» [216]; mais la vieille, «grimpeuse», le tient : «elle est vite redescendue, retournée contre son sentiment, outrée d'être outrancière»; il est soumis : «Là-dessus, il lui fait trois petites courbettes -- serviteur» [217]. Il est petit; elle a sa «grande jupe»...

C'est un veau; c'est une «grande génisse», une taure, une vache : «toute la fantasmagorie finirait comme de bien entendu par le mufle affectueux de la grosse vache» [217]. Mais Samuel est rusé; il a rusé à son retour de Matane, d'où il est revenu «quelque peu défait» [217] : une omelette au lard et des câlins. Elle, la demoiselle sans prénom, sans nom, a le souffle court et les pieds serrés : «C'était d'ailleurs dans sa nature comme ce l'était, rendue en haut, de perdre le souffle et de se pâmer» [217]. Ses pieds deviennent ses poumons : «"Vite, Samuel, ôte-moi ces bottes : elles m'étouffent!» [218]. À son âge, elle ne peut plus être prise, surprise, aux prises avec l'organe de sa jouissance : avec une "botte"?

La montée et la descente, la tumescence et la détumescence : «Il monte sans trop se presser et trouve sa pauvre femme par terre, qui ouvre un oeil et le supplie»; «Et de les lancer au loin d'un si grand geste que le bonhomme crut un instant qu'elles retomberaient par-dessus la maison, par-delà le village, plus loin que l'anse au milieu de la mer». Entre la montée et la descente, il y a donc le milieu, «les entrefaites», «les bras croisés» : «La vieille, les bras croisés, regardait de haut en bas; elle repéra ainsi vers le milieu de la pente l'une et l'autre des petites bottes rouges, et plus bas son mari redescendu», ne pouvant alors que hausser les épaules [218]. La grande jupe : un décor, un panorama [216, 217, 218].

-- Le pacage, le pâturage, le paysage : la grandeur, la longueur et la lenteur des «espaces infinis» contre la petitesse, la brièveté et la rapidité des petites "bottes"; l'aspect (eidos) contre le temps (chronos)...

6 juin 2001

«Docteur Barnabé»

[EC : 49, p. 249-250]

Dans la plupart de ces contes, les acteurs n'ont pas d'aspect, d'allure; rares sont les portraits; souvent, ils n'ont même pas de nom, de prénom. Ici, l'horizontalité féminine (masochiste) de la demoiselle s'oppose à la verticalité masculine (sadique) de la queue des chiens : «quant aux chiens, ils n'arrêtaient pas de promener leur queue poilue, leur queue de rat, leur queue en panache ou tombante, leur queue, toujours la queue, comme si c'était là un membre qui pouvait intéresser une demoiselle âgée et malade» [249]. À cette horizontalité participe aussi le docteur Meilleur, «retenu au lit par une fluxion» [250]. Par contre, ce sont la verticalité et un portrait qui définissent le docteur Barnabé : «au haut d'un grand escabeau noir il y avait une petite tête portant lunettes et moustaches, et derrière les verres miroitants deux boutons de bottines qui la regardaient fixement» [250].



De la queue des chiens, l'on passe à «une seringue à longue aiguille», à une véritable érection : «le liquide dans la seringue [...], la pointe haute» [250], à l'oblique donc, entre l'horizontalité : «"Tournez-vous sur le ventre"», et la verticalité»; mais de la souffrance verticale à la jouissance horizontale : «son coeur ne palpitait plus; elle avait la tête claire et nette; sa jambe ne lui causait aucun mal [...] Elle lui obéit avec une souplesse qu'elle ne se connaissait pas. Puis elle attendit, prête à mourir, vivant comme elle n'avait jamais vécu» [250]. Satisfaite en somme, repue et non plus percluse.

-- Une piqûre pour voir «le fond de son sac!» [249]...

8 juin 2001

«Le paysan»

[EC : 70, p. 351-352]

Dans ce conte, le grand âge donne de la hauteur, de la grandeur, de la verticalité; il s'agit d'un conflit de générations entre le beau-père et son gendre, pour la fille évidemment. Le gendre travaille du matin au soir pour satisfaire le vieux qui se traîne avec un bâton [351]; il est associé au soir, au crépuscule, ne peut que baisser la tête et dormir sans repos. Sa femme le rejoint dans son horizontalité, insatisfaite, «autre victime»; le «vieux tyran», lui, tire «la fumée de sa pipe avec une âpre satisfaction». Mais c'est «le Dieu du ciel obscur», le Dieu de la nuit, qui trouve son compte avec la terre que cultive le gendre : «Alors le Dieu du ciel obscur, en se penchant sur elle, la frôlait comme si elle eut été une femme» [352].

-- Le fils est toujours baisé par le père, le père vivant par le père mort qu'on appelle parfois Dieu.

8 juin 2001



«La poulette»

[EC : 71, p. 353-354]

Dans ce dernier conte du recueil, ce ne sont pas l'horizontalité et la verticalité qui aspectualisent l'espace, mais l'éloignement et le rapprochement; ce sont les points cardinaux : le sud, le nord et l'ouest; «la grand'maison» est interdite aux enfants : «avec poules et cochons ils sont animaux de basse-cour». Mais «une poule circonspecte» passe d'une porte à l'autre : «c'est une vieille, une rusée qui trouve trop long de faire le tour de la maison» [353]. La vieille poule est comme la mère qui surveille son jardin et son pommier; la poulette est comme les enfants, à qui il est interdit de traverser la cuisine pour aller dans le jardin : «elle rencontre le balai de la cuisinière et dégringole du perron» [353]. Le coq est comme le père qui s'interpose quand la mère manque à la tâche et le bec remplace le balai : «Ô misère!», quand on a la tête grosse comme un oeuf, même énorme [354].

-- Dans le poulailler, ma poulette, la vie, ça fatigue; ça fait mourir : ça tue!

8 juin 2001