Lettres de mon moulin.
La bibliothèque Gallimard (# 42).
Paris ; 2000 [1879] (392 p.)
« L’Arlésienne »
(1866)
[p. 83-89]
En n’incluant pas
« Avant-propos », qui n’est pas véritablement un conte même s’il est
tout aussi fictif, « L’Arlésienne » est le sixième des vingt-quatre
contes (ou lettres) du recueil. Inspiré d’un fait vécu en 1862 au Mas-du-Juge,
c’est le seul conte qui a un titre semblable : à la fois un anthroponyme
et un toponyme.
Le titre annonce un acteur individuel
féminin et un espace, dont le toponyme est ‘Arles’, nom d’une petite ville de
Provence, au sud-est de la France. Il faut tout de suite se demander si
l’Arlésienne pourrait être sujet ou objet de valeur et si elle née à
Arles. Avant une première lecture, le lecteur ne peut évidemment se douter
qu’elle est absente…
Le narrateur est un narrateraur-conteur (embrayé), même s’il ne joue pas de rôle dans l’action principale : il écoute et il raconte ; c’est un observateur et un informateur. En outre, il commente et interprète l’action [83-84, 86 et 88].
Le narrateur apprend « cette navrante histoire » de la bouche du voiturier de la charrette de foin, mais c’est lui qui la raconte au lecteur ; il n’y a donc qu’un seul récit, qui commence par la fin.
DISTRIBUTION DES ACTEURS ET ATTRIBUTION DES RÔLES : LE GÉNÉRIQUE
Acteurs
présents
Acteurs
individuels :
Le narrateur
Un grand vieux tout blanc : maître
Estève, ménager, père
Un des hommes : le voiturier
Le fils du vieux : Jan(et), mort
Une femme : maîtresse Estève, mère
Un petit garçon : Cadet, frère
cadet
La bête
Un homme : amant de l’Arlésienne
Acteurs
collectifs :
Les valets silencieux
Les chiens
Les pintades
Les gros paroissiens dorés
Les femmes
Les gens du mas
Les magnans
Les gens du village
Les valets font partie des gens du mas ; ceux-ci, les paroissiens et
les femmes font partie des gens du village : du « on ». Les
acteurs zoomorphes sont des acteurs tertiaires. Les lettres sont aussi un
acteur [85-86].
Acteurs
absents (dans l’espace de l’avant-plan)
L’Arlésienne : coquette, fiancée,
coquine
Les parents de l’Arlésienne :
étrangers
Saint Éloi
Espaces
Le mas :
cour de micocouliers, maison, grenier
de la maison, portail, logis, ferme, champs, table de pierre, table à dîner, la
terre, la magnanerie, la chambre de Jan et Cadet près de cette magnanerie, le
lit et la chambre de la mère à côté de cette chambre, l’aire, les dalles de la
cour
Le village : Fontvieille
[87]
La charrette
La ville :
la Lice d’Arles, la route d’Arles,
« les clochers grêles de la ville »
Le ‘’non-pays’’ des parents de
l’Arlésienne
Le bal, au cabaret, dans les ferrades,
la vote de Fontvieille
Il faut passer par le mas pour aller du moulin du narrateur au
village de Fontvieille; la ville d’Arles est un peu plus loin et le
‘’non-pays’’, la non-Provence, est lointain. Le mas est donc l’espace central.
« Hier, sur le coup de midi »,
« un dimanche soir », « pendant deux ans », « ce
soir-là », « longtemps », « Quelquefois »,
« D’autres jours », « Le soir venu », « Alors »,
« Jamais », « Une fois », « À partir de ce
jour », « plus que jamais », « dans la nuit »,
« vint la fête de saint Éloi », « À minuit », « toute
la nuit », « Le lendemain, à l’aube », « déjà »,
« ce matin-là ».
La fiction dure donc plus de deux ans avant la rencontre de Jan et de l’Arlésienne, pendant quelques mois et sans doute moins d’une année après leur rencontre ; la fête et le suicide durent moins d’une journée ; le deuil dure depuis un temps indéterminé : plus ou moins une année ? - Mais le début du conte, qui est la fin de l’histoire, se passe au printemps ou en été puisque l’on récolte le foin ; alors que la mort de Jan a lieu le lendemain de la fête de saint Éloi, le 1er décembre, peut-être donc l’automne précédent. Il y a cependant une fête de saint Éloi le deuxième dimanche de juillet à Tende, ville française depuis seulement 1947…
SEGMENTATION
I) Séquence initiale : 83-84
Le mas du ménager ;
II) Macro-séquence centrale : 84-88
Une navrante histoire :
A) Le voiturier et le malheur du père : 84
« Hier, sur le coup de midi » … … « toute cette navrante histoire »,
B) Jan et l’Arlésienne : 85-86
« Il s’appelait Jan »… … « il est malheureux »,
C) Le malheur de Jan : 86-88
« Jan ne parla plus de l’Arlésienne »… … « celui-là »,
D) Le suicide de Jan : 88
« Le lendemain, à l’aube »… … « puisse pas tuer l’amour » ;
III) Séquence finale : 89
La mère et l’enfant.
Dans la séquence initiale, qui commence par un triple débrayage, il y a topicalisation de la situation, mise en situation par une description du mas, de la maison du ménager ; il en ressort une atmosphère de froid et de silence. La macro-séquence centrale commence par un triple embrayage par lequel il y a focalisation de l’action, la micro-séquence B, par un double débrayage actantiel et temporel, de même que la micro-séquence C ; la micro-séquence D commence par un triple débrayage, de même que la séquence finale, où le silence a été remplacé par les cris et les lamentations.
SYNTAXE
NARRATIVE
SCHÉMA NARRATIF CANONIQUE
I) Séquence initiale
Il y a une situation de manque : le narrateur ne comprend pas son malaise en face de la maison du ménager, du « portail fermé » et du silence ; il est manipulé par sa curiosité littéraire.
C’est dans son moulin qu’il a acquis sa compétence de conteur ; mais c’est dans cette maison que le père et le fils ont aussi acquis la leur : c’est donc le lieu de leur épreuve qualifiante.
Le maison est un espace hétérotopique pour le narrateur, mais un espace paratopique pour les deux autres ; un autre espace topique est annoncé : le grenier.
Il y a disjonction entre le narrateur et « cette navrante histoire », qui a déjà connu son dénouement.
II)
Macro-séquence
centrale
Il y a focalisation de l’action par l’apparition de nombreux acteurs dans la micro-séquence A [voir le générique] et ensuite par la narration de « cette navrante histoire » que le narrateur rapporte après l’avoir entendue du voiturier, assis ou couché dans la charrette de foin.
Il y a de nombreuses transformations : l’Arlésienne, fiancée absente, de « coquette », devient « coquine »; Jan, d’« admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille », [85] menace de mourir, connaît le malheur d’une peine d’amour, s’étourdit en « affectant d’être toujours gai » [87] jusqu’à la fête de saint Éloi, où il fait danser sa mère, qui en pleure de bonheur [88]; le père passe de sa situation de « maître Estève » [85] « aux habits du mort » [84], après avoir connu la honte [87] ; la mère voudrait bien que son fils guérisse de son amour, mais elle s’y résigne, lui offre l’Arlésienne [87], mais elle craint le pire : « La mère, elle avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant… » - et elle finit par le connaître.
La séquence centrale se termine par la confrontation indirecte des deux sujets : « Ah ! misérables cœurs que nous sommes ! C’est un peu fort pourtant que le mépris ne puisse pas tuer l’amour !… » : c’est là l’épreuve décisive.
Dans sa quête de l’Arlésienne et ses tentatives de (con)jonction, Jan circule entre le village et la ville d’Arles, qui est un espace (para)topique ; mais il s’en éloigne dans « la farandole » [87], qui est un espace hétérotopique ; cependant, sa mère se rapproche de lui la nuit ; là, où Jan est le plus proche d’une conjonction avec l’Arlésienne, c’est dans le grenier, avant de se défenestrer : le grenier serait donc un espace (u)topique.
III) Séquence finale
Il y a apparition du destinataire : les gens du village qui, comme le lecteur, apprennent la fin de l’histoire.
Jan est reconnu comme sujet : c’est l’épreuve glorifiante.
Le véritable espace utopique est « la table de pierre », dont il avait déjà été question au début de la séquence centrale [84] ; cette table est un sorte d’autel du sacrifice…
Il y a conjonction du sujet Janet avec l’objet de valeur, la mère, mais dans la mort et la dysphorie, de même que conjonction du conteur et du conte.
SCHÉMA ANTAGONIQUE DES ACTANTS
NOTE : Les actants se distinguent des
acteurs par une majuscule.
Acteurs
Sujet : Jan(et), le fils ; le narrateur
Anti-sujet : maître Estève, le père et le ménager
Destinateur (initial) : les parents de l’Arlésienne
Anti-destinateur : saint-Éloi, patron des ménagers
Objet de valeur : l’Arlésienne, la mère ; « cette navrante histoire »
Adjuvant du sujet : le voiturier ; les gens du mas
Opposant du
sujet : l’homme aux lettres ; les femmes
Adjuvant de l’anti-sujet : Cadet
Opposant de l’anti-sujet : les valets silencieux
Destinataire : les gens du village
Il s’agit donc bien d’une lutte entre le père et le fils pour une femme : l’Arlésienne, pour laquelle prend partie la mère, avant d’elle-même prendre sa place près de son Janet ; non seulement y a-t-il rivalité entre le père et le fils, mais aussi entre les deux frères pour la mère : ils rivalisent pour son attention et son amour [88] et Cadet a la mère que Janet n’a plus [84]. Le regard des femmes [85] fait de Jan un objet de valeur, en même temps qu’elles sont un obstacle entre lui et l’Arlésienne et entre lui et sa mère. L’homme aux lettres provoque la disjonction de Jan et de l’Arlésienne, mais la conjonction de Jan et de sa mère, dans la chambre de celle-ci quand il est encore vivant et dans la cour quand il est mort et qu’elle est toute nue – elle l’était donc dans la chambre… Les valets ne peuvent être que l’opposant de leur maître. Le voiturier est l’informateur et donc l’adjuvant du narrateur ; ce sont bien les gens du village qui profitent ou bénéficient de ce conte, comme les lecteurs ! Ce qui fait du narrateur le destinateur final.
Actants
Sujet : Amour
Anti-Sujet : Mépris
Destinateur : Famille/Mariage
Anti-Destinateur : Misogynie
Objet de valeur : Femme
Adjuvant du Sujet : Confiance
Opposant du Sujet : Coquetterie/Coquinerie
Adjuvant de l’anti-Sujet : Fraternité/Rivalité
Opposant de l’anti-Sujet : Silence
Destinataire : Peuple
Jan ne pouvait être qu’un bon parti pour les parents de l’Arlésienne qui la voient fiancée à Jan, le fils de maître Estève ; eux qui ne viennent pas du pays verraient donc la Famille bien installée au village ; en même temps, c’est un moyen de l’arracher à son amant et de substituer le Mariage à une relation illicite. Mais il y a un obstacle : la Misogynie de nos « misérables cœurs », cette conception de la Femme qui prône qu’elle doit être vierge avant de se marier, que la femme idéale est mère mais vierge : c’est la Vierge Marie. C’est ainsi qu’il y a un antagonisme entre l’Amour et le Mépris, le mépris de la femme séduisante qui ne peut être coquette sans être coquine pour la tradition : ce n’est pas pour rien que le patron des ménagers est un saint. L’Amour est aussi victime de la Coquinerie et de la Fraternité (source de Rivalité), qui sont ici un obstacle au Mariage et donc à l’exogamie, comme l’inceste. La Femme est synonyme de beauté et de maternité, faute de virginité, l’Arlésienne se trouvant rabaissée au rang et au rôle de la prostituée ; cela ne gêne pourtant pas Jan, au contraire : « Il l’aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu’on la lui avait montrée dans les bras d’un autre » [86]… La parole de la Confiance s’oppose au froid du Silence. Le Peuple de Provence est bien celui à qui est destinée la Femme et l’histoire d’ « une petite Arlésienne » [85], par le Destinateur final : la Littérature - les Lettres !
FONCTIONS
IDÉOLOGIQUES ET SOUS-CODES D’HONNEUR
Trois fonctions
Souveraineté :
le narrateur-conteur (et le voiturier)
Guerre :
Jan (par son suicide), l’homme aux lettres
Fécondité :
le père, la mère, les parents de l’Arlésienne, les gens du mas et les gens du village
Quatre sous-codes
Souveraineté :
saint Éloi
Fierté :
Jan, Cadet, l’Arlésienne, les femmes
Humilité :
la mère, le voiturier, l’homme aux lettres
Soumission :
les valets silencieux, le père (à la fin de l’histoire mais au début du conte ; avant, il était associé à la souveraineté du maître).
Le père peut même se retrouver du côté de la honte : « Le père, rouge de honte, baissait la tête » [87] ; sans doute parce qu’il partage la même opinion que l’homme aux lettres : « J’aurais cru pourtant qu’après ça elle ne pouvait pas être la femme d’un autre » [86]. Il a exercé la souveraineté du pouvoir (qui est un sous-code), mais pas la souveraineté des paroles (qui est une fonction) ; ce sont le narrateur et le voiturier qui assurent cette fonction de la parole. La souveraineté de la parole du narrateur se trouve, non seulement dans ses commentaires, mais aussi dans la multiplication des points d’exclamation et des points de suspension. Jan est fier : « Seulement il était trop fier pour rien dire » ; mais cette fierté le pousse à la guerre contre lui-même : « c’est ce qui le tua, le pauvre enfant !… [86], parce « qu’il était bien mordu, celui-là… » [88] ; « quelle désolation !… », en conclut le voiturier sur sa charrette de foin.
LUTTES
Lutte des pères
Lutte des classes sociales :
Valets VS maître Estève
Maître Estève VS l’Arlésienne et ses parents
Jan VS l’homme aux lettres
Lutte des générations :
Maître Estève VS Jan
Maître Estève VS l’Arlésienne
Lutte des mères
Lutte des sexes :
Maître Estève VS l’Arlésienne
Maître Estève VS sa femme
Gens du mas VS l’Arlésienne
L’homme aux lettres VS l’Arlésienne
Lutte des matries :
La Provence (le pays) VS la non-Provence (la province ?)
Le village VS la ville d’Arles
On peut aussi considérer la rivalité qu’il y a entre les femmes et l’Arlésienne autour de Jan comme faisant partie de la lutte des sexes.
MACRO-SÉMANTIQUE
SÉMANTIQUE DISCURSIVE
SÉMANTIQUE LEXICALE
Champs lexicaux
1) habitants
2) habitation
3) campagne
4) compagnie
5) sentiments
6) attitudes (avec ou sans paroles)
7) mouvements
Champs sémantiques
1 ® A : Personne
2 et 3 ® B : Habitat
4, 5 et 6 ® C : Émotion
7 ® D : Espace
A + C = I) INTELLIGIBLE
B + D = II) SENSIBLE (cinq organes des sens)
SÉMANTIQUE GRAMMATICALE
Valeurs (séquence initiale et séquence finale)
Valeurs thymiques :
impression/étonnement, compression/stupeur, froid, lamentation
Valeurs pragmatiques :
aller, descente, passage, construction, plantation, percement, élévation, outre-passage, fermeture, silence, aboiement, fuite, montée, cri, couverture/cadavre, nudité, mortalité
Valeurs modales :
être, vérité/vraisemblance, pouvoir, croyance, question, pouvoir, être
Parcours figuratifs (séquence initiale et séquence finale)
Narrateur : l’habitant et l’écrivain du moulin
Mas
Villageois
Mère
Enfant
Rôles configuratifs
1) chercheur
2) serfs
3) seigneur
4) conteur
5) paysan
6) mère
7) cadet
8) fidèles
9) séductrices
10) coquine
11) marieurs
12) cocu
13) gens
14) magnans
15) saint patron des ménagers
16) villageois
Parcours
thématiques
2, 4, 8, 9, 13 et 16 ® A : Servage
3, 5, 6, 7 et 15 ® B : Ménage (amour familial ou filial, paternel ou maternel)
5, 10, 11 et 12 ® C : Sexualité (amour sexuel)
Le Servage occupe l’espace familier du mas ; le Ménage occupe l’espace familial de la maison du ménager ; Jan, circule entre les espaces du Servage et du Ménage et l’espace étranger de la Sexualité. La table de pierre et la charrette de foin sont des espaces étranges pour le chercheur, qui se préoccupe de tous les rôles configuratifs, et même du sien dans « cette navrante histoire ». [Pour 14, voir ce qui suit].
SÉMANTIQUE NARRATIVE
ISOTOPIES
Isotopies globales
L’isotopie économique de la féodalité
L’isotopie idéologique de la morale
L’isotopie sexuelle du désir
La féodalité est synonyme de travail, d’effort et de peine ; la morale est synonyme de tradition, de conservatisme et de puritanisme ; le désir est synonyme de luxure, de joie et d’amour : Jan sublime dans le travail et la marche, qui est un substitut de la masturbation. La féodalité et la morale s’opposent au désir ; il s’agit d’une morale féodale.
Connecteur
d’isotopies
’Magnanerie’ vient de ’magnagnerie’, de ’magnanarié’ en provençal : de « magnan » : vers à soie. Étant donné la proximité spatiale des deux enfants et de la magnanerie, les magnans sont un connecteur d’isotopies entre la féodalité (la sériciculture) et la morale (familiale). Maître Estève est non seulement un ménager ; il est un magnanier : ses enfants sont les magnans de maîtresse Estève, « maîtresse » comme l’Arlésienne – mais bien plus présente que la « fiancée » [84, 85] !…
Isotopies locales
L’isotopie criminelle du suicide
L’isotopie domestique de la fête (farandole)
AXIOLOGIES
Structure axiologique figurative des quatre éléments de la nature (séquence initiale et séquence finale)
feu :
rouges, fumée, sang
air :
girouette, froid, silence, aboyaient, crier, voix, grelot de mule, montait, lamentait
eau :
rosée, sang
terre :
village, moulin, mas, route, cour*, plantée, micocouliers, tuiles, meules, touffes de foin brun, maison, portail, logis, table de pierre
La nette domination de la terre est conforme à l’isotopie économique de la féodalité ; la terre s’oppose à l’air (deuxième élément), comme l’eau au feu, qui sont cependant très minoritaires mais contraires de la séquence initiale à la séquence finale.
Deux univers
Univers collectif (sociolecte) :
Non-Nature =
Actant : Mépris
Isotopies : féodalité, morale,
Non-Culture =
Actants : Amour, Femme
Isotopie : désir
Univers individuel (idiolecte) :
Non-Vie =
Actant : Amour
Isotopie : désir
Non-Mort =
Actant : Mépris
Isotopies : féodalité, morale
Investissement
thymique
Nature \ Non-Culture = +
Culture \ Non-Nature = -
Vie \ Non-Mort = +
Mort \ Non-Vie = -
Étant donné que le Mépris ne triomphe pas de l’Amour, tel que l’observateur le souligne avec insistance dans la confrontation de l’épreuve décisive, il est négatif ou dysphorique dans le sociolecte, comme la féodalité et sa morale. Mais vu que l’interdit du meurtre est transgressé, l’Amour et le désir sont négatifs et dysphoriques dans l’idiolecte. Le sociolecte triomphe de l’idiolecte.
INVERSION
DES CONTENUS
DÉBUT (séquence initiale et première micro-séquence)
Mouvement et repos :
Mobilité (et montée) du narrateur, d’une femme, d’un petit garçon, des paroissiens, des valets, du voiturier et de la bête qui tire la charrette de foin
Immobilité de la maison et de la table de pierre
Verticalité de la girouette et de la fumée
Accoudement (oblique) du vieux habillé des habits de son fils mort
Vêtement
Éléments de la nature :
terre, air, feu
Couleurs :
rouge, brun, blanc, noir
Organes des sens :
ouïe (silence, paroles), vue (regard), odorat (fumée, foin)
Disjonction
Dysphorie : de la vie à la mort de cause inconnue
FIN (dernière micro-séquence et séquence finale)
Mouvement et repos :
Traversée horizontale
Lever de la verticale à l’horizontale
Immobilité de l’escalier (oblique) et de la table de pierre (horizontale et verticale)
Verticalité de la montée et de la chute
Horizontalité des dalles de la cour et de l’enfant mort
Nudité
Éléments de la nature :
air, eau, feu
Pas de couleurs
Organes des sens :
ouïe (paroles, cris, lamentation), toucher (à tâtons, mains qui tremblent)
Conjonction
Dysphorie : de la vie à la mort de cause connue
8 avril 2004
« La chèvre de M. Seguin »
(1866)
[p. 62-72]
PONCTUATION
DE LA SITUATION
DÉMARCATION
Ce conte est le quatrième du recueil ; c’est le seul à être dédié nommément : « À M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris » [62, en italiques dans la dédicace] ; Gringoire est un poète du XVIe, qui se retrouve dans le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, et dans une comédie d’un acte en prose de Théodore de Banville – et non de Théophile Gauthier [62, note 1 erronée] - jouée le 23 juin 1866. « L’homme à la cervelle d’or » est dédié « À la dame qui demande des histoires gaies » [203, en italiques dans la dédicace] ; tandis que l’ensemble des Lettres de mon moulin est dédié « À ma femme » [dédicace omise dans cette édition]…
TITRAISON
Le titre annonce deux acteurs : un acteur zoomorphe et féminin et un acteur anthropomorphe et masculin, le premier appartenant au second ; l’appartenance est une présomption de domination. La formule du titre est : déterminant article défini + nom + complément du nom ; elle se retrouve dans de nombreux autres titres du recueil : ‘La diligence de Beaucaire’, ‘Le secret de maître Cornille’, ‘La mule du pape’, ‘Le phare des Sanguinaires’, ‘L’agonie de la Sémillante’, ‘Le curé de Cucugnan’, ‘Le portefeuille de Bixiou’, ‘La légende de l’homme à la cervelle d’or’ et ‘L’élixir du révérend Père Gaucher’.
NARRATION
Comme c’est souvent le cas dans les Lettres de mon moulin, le dispositif énonciatif est particulièrement complexe : le narrateur-raconteur s’adresse à un narrataire : « mon pauvre Gringoire » [62] ; il lui fait la leçon et il va lui servir une histoire en guise de morale ; il ne joue aucun rôle dans l’action de cette histoire, mais il la commente et la juge - à coups de points d’exclamation et de suspension !…
FRAGMENTATION
Il y a un récit second ou secondaire [63-72) qui est intégré dans un récit premier ou primaire [62-72] ; ce récit second commence et se termine par un blanc [63, 72] et il est ponctué par trois autres blancs [64, 69 et 70 ; le blanc de la page 69 n’existe pas dans les deux autres éditions de poche consultées, Hachette et Le Livre de Poche, et il n’a pas sa raison d’être].
MACRO-SYNTAXE
SYNTAXE DISCURSIVE
DISTRIBUTION DES
ACTEURS ET ATTRIBUTION DES RÔLES :
LE GÉNÉRIQUE
Acteurs présents
Acteurs individuels :
Le narrateur
Le narrataire : Gringoire
M. Seguin
Une chèvre : Blanquette
Le loup
Un jeune chamois
Un gerfaut
Un coq
Acteurs collectifs :
Six chèvres, dont Renaude
La flore de la montagne [67-68]
Une troupe de chamois
Un troupeau
Les étoiles
Les ménagers de Provence
Acteurs absents
Le cabri d’Esméralda (l’héroïne de Notre-Dame de Paris)
L’âne
Le bœuf
ESPACE ET TEMPS
Espaces
Un bon journal de Paris
Le restaurant Brébant
La ferme (et son gazon) :
maison(nette), clos entouré d’aubépines ou pré, étable
La montagne (et son herbe)
La Provence
Il y a opposition de la ferme et de la montagne, comme de la Provence et de Paris.
Temps de la fiction
« toujours le même », « dix ans de loyaux services », « les jours de première », « un beau matin », « de temps en temps », « Un jour », « tout le jour », « Un matin », « puis », « l’an dernier », « puis, le matin », « Là-dessus », « à peine eut-il le dos tourné », « Quand la chèvre arriva dans la montagne », « Jamais », « Puis, tout à coup », « la voilà partie », « tantôt… tantôt », « Alors », « Une fois », « une bonne journée », « Vers le milieu du jour », « une heure ou deux », « Tout à coup », « c’était le soir », « déjà », « puis », « de tout le jour », « Au même moment », « maintenant », « quand elle se retourna », « Un moment », « toute la nuit », « le matin », « tout de suite », « puis », « Alors », « Pendant ces trêves d’une minute », « en hâte encore », « Cela dura toute la nuit », « De temps en temps », « jusqu’à l’aube », « L’une après l’autre », « Enfin ! dit la pauvre bête, qui n’attendait plus que le jour pour mourir », « Alors », « Si jamais ».
Au moins une dizaine d’années se sont écoulées pour le narrateur et pour Gringoire avant l’histoire de la chèvre de M. Seguin ; il a fallu aussi le temps de six chèvres, dont Renaude l’an dernier. Le séjour de Blanquette dans le clos dure quelques semaines ou quelques mois ; mais une fois qu’elle s’enfuit, cela ne dure plus qu’une journée et une nuit jusqu’à l’aube.
SEGMENTATION
I) Séquence initiale : 62-64
Gringoire et « La chèvre de M. Seguin » ;
II) Macro-séquence centrale : 64-72
La chèvre et le loup :
A) Le cabri d’Esméralda : 64
« Ah ! Gringoire »… …« sa chèvre s’ennuya »,
B) Blanquette : 65-67
« Un jour »… … « que la petite s’en alla »,
C) Le bonheur de la montagne : 67-69
« Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne »… … « dans la mousse »,
D) La lutte entre les cornes et les dents : 69-72
« Tout à coup »… … « et la mangea » ;
III) Séquence finale : 72
Adieu,
Gringoire !
Étant donné qu’il y a un récit intercalé ou enchâssé, la séquence initiale comprend deux parties : celle où le narrateur s’adresse au narrataire et qui commence par un embrayage actantiel et temporel et celle qui introduit M. Seguin et ses chèvres et qui débute par un débrayage actantiel et temporel : « M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres » [63] ; il y a donc une double topicalisation. Il y a interpellation du narrataire et donc embrayage actantiel au début de la macro-séquence centrale, où il y a focalisation par un portrait très anthropocentrique de la septième chèvre ; la micro-séquence A se termine par un blanc. La micro-séquence B débute par un triple débrayage : la chèvre y e’st davantage anthropomorphisée par son patois et par un prénom ; cette micro-séquence se termine par un nouvel embrayage actantiel à la deuxième personne. La micro-séquence C commence par un triple débrayage et elle se termine par un blanc. La micro-séquence D commence aussi par un triple débrayage. Toute la macro-séquence est marquée par un changement d’espace, de la ferme à la montagne, par un changement de lumière, du jour au matin suivant en passant par le soir et la nuit, et par un changement de climat, du soleil au froid, à la brume ou au brouillard et à la fumée… Après un blanc, la séquence finale est embrayée comme le début de la séquence initiale ; la symétrie y est parfaitement respectée.
SYNTAXE NARRATIVE
SCHÉMA NARRATIF
CANONIQUE
I)
Séquence initiale
Gringoire est en situation de manque selon le narrateur : il est « pauvre », c’est un « malheureux garçon » qui devrait avoir honte ; il lui conseille donc le journalisme plutôt que la poésie. Mais la situation de M. Seguin est encore plus dramatique : son manque est criant ; s’il a acquis une certaine compétence avec six chèvres, il n’a pas la compétence certaine du loup, dont c’est la véritable épreuve qualifiante. M. Seguin est manipulé par son amour des chèvres, par son désir de possession par des caresses ; le loup est manipulé par sa nature ; le narrataire est manipulé par le narrateur.
Paris est un espace hétérotopique pour le narrateur ; la ferme est un espace aussi hétérotopique pour le loup et c’est un espace fermé, au moins par le pieu et la longe du clos.
Il y a disjonction entre le loup et Blanquette et entre le narrataire et la leçon du narrateur ; il y a dysphorie.
II) Macro-séquence
centrale
Blanquette est l’agent dont le patient est l’herbe de la montagne ; elle est en quête de liberté et en état de désir. M. Seguin cherche à la garder en lui évitant l’ennui ; quand elle est dans la montagne, il tente de la ramener avec sa trompe, qui est sa marque. Le loup attend et atteint sa proie, dans son épreuve décisive annoncée elle-même par sa marque, son hurlement : « - Hou ! Hou ! » et le gerfaut [69].
L’étable est un espace paratopique, mi-fermé (par la porte) mi-ouvert (par la fenêtre), qui rapproche le loup de Blanquette et Blanquette de la montagne, celle-ci étant un espace ouvert de liberté – à première vue.
III) Séquence
finale
En même temps qu’il y a conjonction du loup et de Blanquette (patient) après une lutte avec elle comme agent en compétition avec Renaude, il y a conjonction du narrataire avec une histoire entendue : « Tu m’entends bien, Gringoire » [72]. Le loup est reconnu comme sujet par le narrateur, qui sanctionne ainsi l’action qui l’a conduit à la liquidation de son manque (la faim), et qui fait aussi la leçon à Gringoire, en prenant pour destinataire les ménagers de Provence.
Il y a euphorie pour le loup, dans son épreuve glorifiante et glorifiée en provençal et en Provence (qui est en quelque sorte l’espace utopique), et pour le narrateur ; il y a dysphorie pour M. Seguin et pour le narrataire.
SCHÉMA ANTAGONIQUE
DES ACTANTS
Acteurs
Sujet : le loup ; Blanquette agent
Anti-sujet : M. Seguin
Destinateur (initial et final) : le narrateur
Anti-destinateur : le narrataire
Objet de valeur : Blanquette patient ; les six autres chèvres ; l’histoire comme leçon ou morale
Adjuvant du sujet : Renaude
Opposant du sujet : la troupe de chamois, le jeune chamois
Adjuvant de l’anti-sujet : l’âne et le bœuf ; le troupeau et le coq
Opposant de l’anti-sujet : la faune et la flore de la montagne
Destinataire : les ménagers de Provence
Étant donné le dispositif énonciatif et la leçon que sert le narrateur au narrataire , il est difficile de déterminer, non pas qui est le sujet - c’est celui qui l’emporte : le loup -, mais qui est son destinateur, qui lui destine Blanquette, qui a un destinataire. D’une manière, c’est le narrateur dans son désir de faire la morale ; mais de l’autre, c’est le narrataire, qui est « du parti des chèvres » [67] ; il est pour Blanquette agent et donc contre M. Seguin ; c'est un anti-destinateur ambigu ou ambivalent. Le narrateur manipule M. Seguin et il prend le parti du brave homme ; mais il ne manipule pas le loup. C’est pourquoi la position de l’acteur se déplace d’un actant à l’autre. Blanquette est elle aussi sujet dans sa quête de la montagne et anti-sujet dans la lutte avec le loup, lutte qu’elle perd avec bravoure ; elle est donc bien l’objet de valeur, comme les six autres chèvres. Renaude sert la cause du loup en attisant l’envie et la rivalité de Blanquette : « une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc » [66] ; « Un moment en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s’étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu’elle était… Non pas qu’elle eût l’espoir de tuer le loup, [sic : il n’y a pas de virgule dans les deux autres éditions de poche] - les chèvres ne tuent pas le loup, [sic : même chose] – mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude [70-1, souligné par nous]. La montagne est bien l’ennemie de M. Seguin.
Actants
Sujet : Désir
Anti-Sujet : Dressage
Destinateur : Sagesse
Anti-Destinateur : Liberté
Objet de valeur : Virginité
Adjuvant du Sujet : Viol(ence)
Opposant du Sujet : Séduction
Adjuvant de l’anti-Sujet : Enfermement
Opposant de l’anti-Sujet : Évasion
Destinataire : Tradition/Enfance
Le loup et Blanquette agent représentent le Désir : le loup a faim ; c’est un prédateur, la prédation alimentaire étant ici un substitut de la prédation sexuelle : « Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance » [70]. Blanquette désire l’herbe de la montagne et ce qu’elle abrite ; elle cherche à se libérer, à s’émanciper du père Seguin, à connaître la jeunesse de l’amour : « un jeune chamois à pelage noir, eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux » [69] ; c’est une « coquine » [66], une « petite reine » et une « petite coureuse » [69]… M. Seguin, sans doute vieux, est le défenseur du Dressage dans le malheur de l’élevage des chèvres ; il est pourtant manipulé par la Sagesse. Gringoire représente la Liberté parisienne du poète, au risque de la honte et de la pauvreté ; le narrateur lui conseille la Sagesse provençale du chroniqueur en vue de la gloire et de la fortune. Nul doute que Blanquette patient, proie du loup, est la victime d’un dépucelage et qu’elle n’a pas pu retenir la leçon du Viol de la vieille Renaude, qui n’était sans doute plus vierge ; Blanquette est blanche par son nom, par son lait [65] et par sa toison : « ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande » [64], « chèvre blanche » [67], « en robe blanche » [69], « la petite chèvre blanche » [70]. Blanquette est bien la métaphore d’une jeune fille qui, comme le Petit Chaperon Rouge, risque de tomber entre les griffes et les dents du méchant loup, du séducteur, du « monstre » [71] qu’est l’homme-loup, le loup-garou ; elle, « la folle » [70] et « la gourmande » [71], connaît son destin : « et elle s’allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang » [72]. Le blanc de la chèvre a connu le rouge du loup : « et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d’amadou » [70] ; ‘’amadou’’ est un mot provençal qui évoque le feu. Avant le rouge, il y avait eu le noir des sabots [64] et de l’étable [66] et le violet de la montagne : « La montagne devint violette » [69]… Le Destinateur final est la Sagesse provençale représenté par le narrateur et par M. Seguin ; c’est la Liberté qui a désigné la Virginité au Désir, mais c’est la Sagesse qui destine le conte et sa morale ou sa leçon à la Tradition littéraire et à l’Enfance, aux enfants, aux petites filles des ménagers. – Que ce conte ait fait pleuré tant d’enfants est le secret de son succès ou de sa réussite !
FONCTIONS
IDÉOLOGIQUES ET SOUS-CODES D’HONNEUR
Trois fonctions
Souveraineté :
le narrateur et le narrataire
Guerre :
le loup, Renaude, Blanquette agent et le gerfaut
Fécondité :
la troupe de chamois, le jeune chamois, le troupeau, la flore
La virginité s’oppose à la fécondité, comme sans doute l’impuissance d’un vieux M. Seguin (veuf ? célibataire ?)…
Quatre sous-codes d’honneur
Souveraineté :
le loup
Fierté :
Renaude, Blanquette, le jeune chamois, le coq
Humilité :
M. Seguin et les ménagers de Provence, dont il fait peut-être partie
Soumission : l’âne, le bœuf et le troupeau
LUTTES
Lutte des pères
Lutte des classes sociales :
Gringoire VS bon journal de Paris
Lutte des générations :
Loup VS M. Seguin
Lutte des mères
Lutte des sexes :
Loup VS chèvres, surtout Renaude et Blanquette
Lutte des langues :
Provençal VS français parisien
MACRO-SÉMANTIQUE
SÉMANTIQUE DISCURSIVE
Il y a trois parcours figuratifs qui ressortent davantage que les autres : celui de M. Seguin, celui de Blanquette et celui du loup. Le parcours des deux derniers est un devenir-humain dans la personnification. M. Seguin est ce qu’il est : bon, brave et courageux ; Blanquette est ce qu’elle devient : de jolie, docile et caressante, d’ « [u]n amour de petite chèvre » [64], elle devient maigre et langoureuse [65], puis heureuse et « à moitié soûle » [67], paresseuse et moqueuse [68], et enfin amoureuse [69], affamée d’herbe et de caresses, d’étreintes et d’orgasmes [71-72] ; le loup devient ce qu’il est : méchant et féroce, viril et violent, sa langue rouge et ses dents étant le substitut de son sexe… À ces trois parcours, s’associent trois rôles configuratifs : le dresseur, la coureuse et le prédateur, dans le principal parcours thématique, celui de la domination : dominer et être dominé(e), soumettre et être soumis(e), enfermer et être enfermé(e), posséder et être possédé(e), manger et être mangé(e), pénétrer et être pénétré(e), violer et être violé(e), violenter et être violenté(e).
SÉMANTIQUE NARRATIVE
ISOTOPIES
Isotopies globales
L’isotopie sexuelle de la libération
L’isotopie alimentaire (caprine) de la prédation
Ces deux isotopies sont à la fois actives et passives : agent, Blanquette désire se libérer, patient, elle est dépucelée ; le loup n’est qu’actif, mais il ne manque pas de patience [70]. Mais la prédation n’est pas qu’alimentaire : la chèvre mange de l’herbe avant d’être elle-même mangée ; elle est aussi sexuelle : belle, la chèvre séduit et elle est séduite, avant qu’elle ne perde son pucelage et que le loup ne la dévore, ne la consomme, elle qui se consumait, se languissait.
Connecteur d’isotopies
Comme dans « L’Arlésienne », il y a un connecteur d’isotopies qui est linguistique ou littéraire et qui connote la lutte des langues ou des « patois » : c’est le nom même de la chèvre de M. Seguin : Blanquette, qui vient de ’blanquette’ ; en provençal : de ’blanqueto’, diminutif de ‘blanc’, « vin blanc mousseux du Languedoc » ; en français, aussi un diminutif de ‘blanc’, « Ragoût de viande blanche » (agneau ou veau) [Le Nouveau Petit Robert, p. 259]. La blancheur de la virginité se trouve renforcée par la blancheur liquide du vin et la blancheur solide de la viande. Le vin est un agent d’ivresse, d’évasion, de liberté et donc de libération ; le ragoût est un patient victime de la prédation, comme la gourmande dévorée par le loup ou la vierge dépucelée par le premier venu…
Isotopie locale
L’isotopie biologique de la faune et de la flore
L’herbe et les fleurs de la montagne s’opposent au gazon et aux aubépines du clos, comme les animaux sauvages (libres, indépendants) s’opposent aux animaux domestiques (attachés, dépendants). Cette isotopie peut elle-même être considérée comme un véritable connecteur d’isotopies.
AXIOLOGIES
Structure
axiologique figurative
Tous les quatre éléments de la nature sont à peu près également présents ; il en ressort une opposition entre la terre et l’air, entre la petite terre du clos et le grand air de la montagne, entre le bas et le haut : « Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde… » [68]. Le feu et l’eau s’associent de manière euphorique : « Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière humide et d’écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… » [68] ; mais le sang les embrouille et les brouille !
Deux univers
Univers collectif :
Non-Nature =
Actants : Virginité, Dressage
Isotopie : libération
Non-Culture =
Actant : Désir
Isotopie : prédation
Univers individuel :
Non-Vie =
Actant : Virginité
Isotopie : libération
Non-Mort =
Actants : Désir, Dressage
Isotopie : prédation
Investissement
thymique
Nature \ Non-Culture = +
Culture \ Non-Nature = -
Vie \ Non-Mort = +
Mort \ Non-Vie = -
Étant donné la leçon ou la morale de cette histoire qui « n’est pas un conte de mon invention » [72], le Dressage est synonyme de Non-Mort, comme le Désir. La Nature triomphe de la Culture, comme la Vie de la Mort ; par la destination ou la destinée (provençale), c’est le sociolecte qui l’emporte sur l’idiolecte ou le narrateur aux dépens du narrataire.
INVERSION
DES CONTENUS
DÉBUT (récit premier)
Dédicace en français et en italiques
Thème :
Le poète qui ne veut pas être chroniqueur et qui préfère être pauvre, malheureux, honteux et imbécile, mais libre
Travail intellectuel à Paris
Littérature (poète) ou journalisme (chroniqueur)
Disjonction
Dysphorie du narrataire
FIN (récit premier)
Dernières paroles en italiques mais en provençal et répétées
Thème :
Travail manuel en Provence
Folklore (ménagers)
Conjonction du narrataire ou du lecteur avec le conte, dont il était en quelque sorte le destinataire.
Euphorie du narrateur
14 avril 2004
« Le curé de Cucugnan »
(1866)
[p. 161-170]
PONCTUATION
DE LA SITUATION
DÉMARCATION
Ce conte est le dixième conte du recueil ; il s’inscrit dans une série mettant en scène des acteurs religieux : « La mule du pape » [1868], « Les trois messes basses » [1875, dans les Contes du lundi, puis dans l’édition définitive des Lettres en 1879] et « L’élixir du révérend Père Gaucher » [1869]. C’est la transposition française abrégée d’un conte en provençal de Joseph Roumanille (1818-1891), un des « poètes provençaux », qui l’aurait ‘’emprunté’’ à un nommé Blanchot de Brenas (1859)…
TITRAISON
Malgré la bizarre phonologie du nom, le village existe en Aude, dans le canton de Tuchan, près de Carcassonne : il est vraisemblable que ce nom a été choisi pour la ressemblance sonore entre ‘curé’ et ‘Cucugnan’ – effet de sens comique ! Il y a donc un acteur humain, masculin et sacré et un espace profane, dont les habitants sont les Cucugnanais… Il y a présomption de l’isotopie de la religion.
NARRATION
Le narrateur-raconteur a appris ce « fabliau » de « Roumanille, qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon » [170] ; il est donc le troisième mais ici le seul narrateur.
FRAGMENTATION
Le récit premier (embrayé) comprend le premier et le dernier paragraphes et il enchâsse ainsi le récit second, qui est surtout débrayé mais une fois embrayé : « Or, vous allez voir que Dieu l’entendit » [162] ; le sermon de l’abbé Martin est lui-même embrayé, entre guillemets [162-169], et il est une seule fois interrompu par un débrayage : « Ému, blême de peur, l’auditoire gémit, en voyant, dans l’enfer tout ouvert, qui son père et qui sa mère, qui sa grand mère et qui sa sœur » [168].
MACRO-SYNTAXE
SYNTAXE DISCURSIVE
DISTRIBUTION DES
ACETURS ET ATTRIBUTION DES RÔLES :
LE GÉNÉRIQUE
Acteurs présents
Acteurs individuels :
L’abbé Martin, curé de Cucugnan
Dieu
Saint Pierre
Un grand bel ange
Éloy, le maréchal
Un vieil âne
Le démon cornu
Coq-Galine
Clairon
Catarinet
Pascal Doigt-de-Poix
M. Julien
Babet la glaneuse
Maître Grapasi
Dauphine
Le Tortillard
Coulaud
Zette
Jacques
Pierre
Toni
Le meunier
Acteurs collectifs :
Les araignées
Les hosties
Les escarboucles
Les serpents
Les vieux et les vieilles
Les enfants
Les garçons et les filles
Les hommes
Les femmes
Les Cucugnanais (morts et vivants) : le « troupeau dispersé » [162] du « bon pasteur » [170]
Les enfants de choeur
Acteurs absents (du
récit second)
Les poètes provençaux
Les Parisiens
Roumanille
Un autre bon compagnon
ESPACE ET TEMPS
Espaces
Le village de Cucugnan : « le paradis sur terre » [161] ?
Avignon
Paris
Église :
chaire, confessionnal, ciboire, nef
Le paradis (et le livre de saint Pierre)
Un petit sentier qui mène à la porte d’argent du purgatoire [164]
Le purgatoire (et le plus gros livre du grand bel ange)
Le sentier qui mène à l’énorme portail de l’enfer, « comme la porte d’un grand four » [166]
L’enfer (sans livre)
Le cabaret
La grange de Catarinet
Le puits de Dauphine
Jonquières (près de Cucugnan, d’Orange ou d’Avignon)
Le ciel : « le chemin éclairé de la cité de Dieu » [170]
Temps de la fiction
« Tous les ans à la Chandeleur », « à l’instant », « le beau jour de Pâques », « Un dimanche », « l’autre nuit », « Alors », « Maintenant », « Finalement », « quand », « si souvent, et si souvent », « lorsqu[e] », « ceci ne peut pas durer », « Demain », « pas plus tard que demain », « quand », « demain lundi », « Mardi », « bientôt », « Mercredi », « cela pourra être long », « Jeudi », « Nous couperons court », « Vendredi », « Samedi », « pas trop d’un jour », « dimanche », « quand », « quand », « Depuis ce dimanche mémorable », « l’autre nuit ».
Le sermon du curé dure plusieurs minutes du dimanche ; la confession se fait en six jours ; le dimanche suivant est jour de bonheur ou de repos. Il y a quelques dizaines d’années avant le sermon ; mais après, on n’en sait rien : des jours, des semaines, des mois ou des années avant le rêve (de mort) ?
SEGMENTATION
I) Séquence initiale : 161-162
Un fabliau ;
II) Macro-séquence centrale : 162-169
Le sermon de l’abbé Martin :
A) En paradis : 162-164
« Un dimanche »… …« sain et gaillardet »,
B) En purgatoire : 164-166
« Et je cheminai »… …« Et l’ange ferma la porte »,
C) En enfer : 166-168
« C’était un long sentier »… …« et Toni » ,
D) Au confessionnal : 168-169
« Ému, blême de peur »… … « Amen » ;
Séquence finale : 169-170
La cité de Dieu.
La séquence initiale débute par un débrayage actantiel et spatial, mais un embrayage temporel, qui est suivi d’un embrayage actantiel ; elle se termine par un débrayage actantiel et temporal : « Dieu l’entendit » ; cette phrase est une transition entre la séquence initiale et la séquence centrale, transition de la topicalisation (descriptive) et la focalisation (narrative). La macro-séquence centrale commence par un triple débrayage : « Un dimanche, après l’Évangile, M. Martin monta en chaire » [162] La micro-séquence B débute par un embrayage actantiel : elle est coupée en deux par un blanc et elle commence aussi par un blanc ; la micro-séquence C continue sur le même modèle ; la micro-séquence D commence après un blanc et avec un triple débrayage. La séquence finale s’enchaîne après un blanc ; la phrase suivante peut aussi être considérée comme une transition de la séquence centrale et la séquence finale, de la confrontation à la sanction : « Ce qui fut dit fut fait. On coula la lessive » [169]. [Les blancs ne peuvent pas vraiment être retenus comme critère de segmentation, car ils varient d’une édition à l’autre, en nombre (de deux à sept) et en place (alors que dans notre édition, il n’y en a pas, dans les deux autres éditions, il y a un blanc après – il devrait être avant selon nous – le triple débrayage du début de la séquence centrale ; ce qui est injustifiable, mais a pour effet de faire du sermon du curé un troisième récit…]
SYNTAXE NARRATIVE
SCHÉMA NARRATIF
CANONIQUE
I)
Séquence initiale
La compétence des poètes provençaux ne peut être remise en question : «C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois… »; ni non plus celle du curé de Cucugnan, pourtant manipulé par sa fonction ecclésiastique : « Bon comme le pain, franc comme l’or, il aimait paternellement ses Cucugnanais » [161] ; la compétence des Cucugnanais est inverse : « Mais, hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint ciboire » [161-2]. S’il s’agit pour eux de pécher, il s’agit pour lui de les aimer ; c’est leur épreuve qualifiante.
C’est surtout à cause du cabaret (166] et de la grange de Catarinet [168], que tous se trouvent dans un espace hétérotopique qui les éloigne de leur objet de valeur.
Il y a donc disjonction entre le curé et son objet de valeur et entre les Parisiens et cet « adorable fabliau » [161].
Si le récit premier est euphorique, le début du récit second est franchement dysphorique pour le curé.
II) Macro-séquence
centrale
Il y a focalisation de l’action par l’intervention de Dieu et segmentation des transformations par l’espace et le cheminement ou la randonnée de l’abbé Martin. En paradis, il rencontre saint Pierre, dont il reçoit sa marque : « Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste… » [163]. En purgatoire, le « [b]eau saint Pierre » [162] ou le « grand saint Pierre » [163] est remplacé par un « grand bel ange, avec des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour », un « [b]el ange de Dieu » [164]. En enfer, il y a un « démon cornu ». Du purgatoire à l’enfer, « une porte d’argent toute constellée de croix noires… » [163-4] est devenue ‘un énorme portail » [166]. D’un espace à l’autre, il y a amplification de la grosseur, de la grandeur et du nombre ; il y a surcharge et surabondance, surtout dans la litanie de noms propres ou de surnoms [167-8].
La nef de l’église rapproche les curés de ses fidèles ; mais c’est dans le confessionnal, comme espace paratopique de la « lessive », qu’il y a la confrontation et donc l’épreuve décisive qui vaut au Cucugnanais la bénédiction de leur pasteur ; eux qui ont commis tous les péchés : ivrognerie, brutalité, luxure, prostitution, avarice, impiété [167-8].
II)
Séquence finale
Si le sermon du curé a tout l’air d’une fable, d’un fabliau ou d’un fantasme, la séquence finale se concentre en un rêve – le sermon en était peut-être déjà un -, où il y a conjonction du curé et des âmes dans un espace utopique : le ciel comme « cité de Dieu » [170].
Il y a conjonction dans l’euphorie du curé et du narrateur qui vient sanctionner sa mission et reconnaître sa dette envers « ce grand gueusard de Roumanielle » [170].
SCHÉMA ANTAGONIQUE
DES ACTANTS
Acteurs
Sujet : l’abbé Martin
Anti-sujet : le troupeau de Cucugnanais
Destinateur initial : Dieu
Destinateur final : narrateur
Anti-destinateur : Diable ; Cucugnan
Objet de valeur : les âmes
Adjuvant du sujet : saint Pierre, grand bel ange, damnés
Opposant du sujet : démon cornu, araignées, serpents
Adjuvant de l’anti-sujet : poètes provençaux
Opposant de l’anti-sujet : Parisiens
Destinataire : enfants de choeur
L’abbé Martin est en quête d’âmes ; il a « charge d’âmes » [169], dont la sienne : « Aï ! pauvres nous ! comment irai-je en paradis si mes Cucugnanais n’y sont pas ? » [166]. Les enfants (de chœur) sont bien l’avenir de Cucugnan, alors que les Cucugnanais morts, damnés, en sont le passé.
Actants
Sujet : Vertu
Anti-Sujet : Vice
Destinateur : Catholicisme
Anti-Destinateur : Paganisme
Objet de valeur : Salut
Adjuvant du Sujet : Liturgie
Opposant du Sujet : Superstition
Adjuvant de l’anti-Sujet : Littérature provençale
Opposant de l’anti-Sujet : Littérature parisienne
Destinataire : Éternité ; Postérité
Il y a bien une lutte entre la Vertu et le Vice pour le Salut. Le cabaret et la grange sont le milieu du Vice ; le confessionnal est le lieu de la Vertu ; le Sacré-Cœur est le (mi)lieu du Salut éternel. Mais le curé est aussi un Père ; les Cucugnanais sont donc ses Fils ; le Salut est dans ou avec la Mère.
FONCTIONS
IDÉOLOGIQUES ET SOUS-CODES D’HONNEUR
Trois fonctions
Souveraineté :
L’abbé Martin, les poètes provençaux (Roumanille), le narrateur
Guerre :
Coq-Galine [167], les voleurs [168]
Fécondité :
Les familles de Cucugnanais [168]
Quatre sous-codes
Souveraineté :
Dieu, l’abbé Martin, le « démon cornu »
Fierté :
Catarinet, le Tortillard [168]
Humilité :
Éloy, les Cucugnanais vivants, les enfants de choeur
Soumission :
La pauvre Clairon, les Cucugnanais morts (damnés), les Parisiens ?
LUTTES
Lutte des pères
Lutte des classes sociales :
Voleurs VS volés
Lutte des générations :
Curé (père) VS Cucugnanais (frères ou enfants)
Enfants VS parents
Garçons et filles VS vieux et vieilles [169]
Lutte des mères
Lutte des sexes :
Coq-Galine VS Clairon
Catarinet, « cette petite gueuse » (prostituée) VS « mes drôles » [168]
Hommes VS femmes [169]
Lutte des langues :
Provençal (et latin) VS français
Il n’est pas vraiment possible de parler d’une lutte des religions, comme dans « À Miliana » [268-285] ; car il s’agit d’une lutte entre catholiques : entre pécheurs et prêcheur (de mort) !
MACRO-SÉMANTIQUE
SÉMANTIQUE DISCURSIVE
Le parcours figuratif qui domine est celui de l’abbé Martin, curé de Cucugnan. C’est un « bon prêtre », un « brave monsieur Martin » [162-163], l’ami de saint Pierre [163] ; c’est le « prieur » des Cucugnanais, un « saint homme », ce « monsieur le curé » [165], mais aussi un « pauvre monsieur Martin » [166] même s’il est « un ami de Dieu » [167] ; après « la lessive », il devient « le bon pasteur M. Martin » [170]. Cependant, ce rôle configuratif de prêcheur se double de celui de pécheur : « moi misérable pécheur » [162] ; il jure et blasphème comme pas un : « pécaïre ! » [163, en italiques dans le texte], « Jésus ! Marie ! Joseph ! », « Ô grand Dieu ! », « Ah ! bonne mère des anges !… », « -Sainte croix ! Jésus, fils de David ! » [165]. Il semble bien que le « démon cornu » l’ait à sa manière démasqué : « Eh ! b… de teigneux », « Ah ! feu de Dieu, tu fais la bête », « laid corbeau » parmi les « fameux Cucugnanais » [167]… Il semble bien que le curé ait lui-même un péché à se faire pardonner dans le parcours thématique de la confession.
La confession est compulsion d’aveu qui suit l’automatisme de répétition dans la compulsion de répétition ; il y a donc eu faute, passage à l’acte. Selon la psychanalyse, la marche est un substitut de la masturbation. C’est ainsi qu’il est possible de voir son pèlerinage comme une métaphore de l’onanisme : « Et je cheminai… je cheminai ! Quelle battue ! J’ai la chair de poule, rien que d’y songer » [164] ; « Je chancelais comme si j’avais bu ; à chaque pas, je trébuchais ; j’étais tout en eau, chaque poil de mon corps avait sa goutte de sueur, et je haletais de soif » [166] ; « Je suais à grosses gouttes, et pourtant j’étais transi, j’avais le frisson. Mes cheveux se dressaient » [166-7] ; « Je perdais haleine dans cet air puant et embrasé », « je ne peux plus tenir sur mes jambes… Je viens… Je viens de loin… » [167]. Le tour s’achève dans une sorte d’orgasme : dans « le parfum des vertus », « heureux et plein d’allégresse », « en resplendissante procession » [170] – comme la robe du grand bel ange !
D’autant plus que le sermon est l’équivalent d’un rêve et que dans le symbolisme du rêve, il y a des « signifiants phalliques ». Dans un orage de points d’exclamation et de points de suspension et dans les énumérations, abondent les symboles des organes génitaux :
1°) symboles des organes génitaux féminins :
livre, mannes, araignées, confessionnal, ciboire, bercail, église, porte, portail, grand four, fournées, grange, sandales, brouette, puits, abîme, linge, dinde, olives (comme tous les fruits et les fleurs) ;
2°) symboles des organes génitaux masculins :
clef, arêtes, pieds, mains, croix noires, serpents, ailes sombres, clef de diamant, main gauche, fourche, feu, flamme, nez, pipe, bec, blé, cierges, gerbe (comme les autres plantes ou légumes). De même, se multiplient les verbes actifs ou agressifs de pénétration ou de destruction : ouvrir, entrer, frapper, brûler, ferrer, piquer, secouer, puiser, nouer, gravir, etc. Enfin, tout cela était annoncé par le nom du village : de cucu à cul ; c’est de plus renforcé à chaque fois que le toponyme est prononcé ou tronqué (castré) par des points de suspension : par saint Pierre qui bégaie [163] et par le bel ange qui feint d’entendre mal [164-165]…
SÉMANTIQUE NARRATIVE
ISOTOPIES
Isotopies globales
L’isotopie liturgique de la religion
L’isotopie païenne du péché
Connecteur
d’isotopie
De la séquence initiale à la séquence finale, nous sommes passés de la blancheur de la farine à la blancheur de la lessive, qui permet justement de connecter le sale et le propre, le mal et le bien, le vice et la vertu, le péché et la religion.
Isotopies locales
L’isotopie visuelle de la couleur
L’isotopie tactile et musculaire de la marche (en sandales)
L’isotopie littéraire du livre
Le blanc est associé au paradis (air) ; les couleurs de l’or, de l’argent et du diamant le sont au purgatoire (terre) et le rouge (feu et eau) à l’enfer. C’est par l’isotopie littéraire que la métaphore de la lessive est un connecteur d’isotopies entre le péché du mécréant et la religion du croyant. – Qui dit littérature dit libertinage, libre pensée ! Du péché à la religion, il y a eu l’intervention de la couleur et du livre, de la métaphore de la marche et de la métaphore de la lessive.
AXIOLOGIES
Structure axiologique figurative
Les quatre éléments de la nature ont déjà été reliés à l’espace et à la couleur ; il convient d’ajouter qu’en enfer, le feu et l’eau se confrontent, non seulement par la sueur, mais par l’alcool [166, 167, l’huile et l’eau du puits [168] – avant la lessive [169] ! En outre, le feu et la terre s’opposent à l’air, comme le bas au haut.
Deux univers
Univers collectif :
Non-Nature =
Actants : Vertu, Salut
Isotopies : religion, livre
Non-Culture =
Actant : Vice
Isotopie : péché, marche (masturbation)
Univers individuel :
Non-Vie =
Actant : Vice
Isotopies : péché, marche
Non-Mort =
Actants : Vertu, Salut
Isotopies : religion, livre
Investissement
thymique
Nature \ Non-Culture = -
Culture \ Non-Nature = +
Vie \ Non-Mort = +
Mort \ Non-Vie = -
La Vie triomphe de la Mort, comme la Culture de la Nature, au profit du sociolecte, de l’espèce humaine selon (l’idéologie de) la religion catholique de notre bon curé de Provence.
INVERSION
DES CONTENUS
DÉBUT (séquence initiale)
Temps :
Chandeleur : 2 février
Organes des sens :
goût (farine, pain, hosties : le blanc qui ne sent rien), ouïe
Thème :
« le cœur meurtri » du bon prêtre à cause du « son troupeau dispersé »
Disjonction dans le défaut ou le manque
Dysphorie du curé mais euphorie du narrateur
FIN (séquence finale)
Temps :
éternité
Organes des sens :
odorat (parfum, encens : ce qui sent bon), ouïe
Thème :
« le bon pasteur M. Martin, heureux et plein d’allégresse », « suivi de tout son troupeau »
Conjonction après la punition (la pénitence qui suit la confession des péchés, des fautes, de la faute)
Euphorie de tous
15 avril 2004