Linguistique et grammaire

 

        Selon Culioli, l’objet de la linguistique est « le langage humain appréhendé à travers les langues naturelles ». Cela veut donc dire que le langage ne serait pas exclusivement humain et qu’il pourrait y avoir un langage autrement animal : le langage d’un chimpanzé bonobo comme Kanzi, par exemple, dont a abondamment et savamment parlé Savage-Rumbaugh. Il n’y a certes aucun argument qui tienne pour refuser la notion de « communication animale » [Hauser] : parlons donc alors de langage sans langue ou de communication sans signification ; c’est le « langage naturel », humain ou non, où le comportement implique un tempérament (ou un enveloppement) et un développement dans un environnement, la triple articulation du comportement ou du caractère pouvant donc être schématisée ainsi :

Comportement/Caractère

environnement ---------- développement

­

tempérament

 

      Mais qu’en est-il des « langues naturelles » ? On a l’habitude de définir une langue comme idiome par l’articulation, c’est-à-dire par la prononciation (plus particulièrement des consonnes) ou la phonation, par le parler ; or, ne serait-ce que depuis l’écriture, la langue verbale peut être parlée ou écrite, peut ne pas être vocale. En outre, selon Stokoe, Wilcox et Armstrong, elle peut ne pas être orale (parlée ou écrite), mais être gestuelle, l’écriture l’étant déjà elle-même en partie dans la graphie : selon eux, la langue des signes des sourds-muets est une langue et une langue naturelle – et il y a des milliers de langues des signes, comme il y a de 6000 à 7000 langues parlées dans le monde, pour environ six millions de sourds-muets (un individu sur mille : selon les chiffres de Kingdon, il y a deux fois plus de sourds-muets que d’aveugles).

 

       C’est ainsi que pour la théorie motrice du langage, le nom et le verbe ne sont pas seulement des concepts linguistiques ; ce sont des concepts prélinguistiques ou protolinguistiques liés à la musculature et au mouvement du corps autant qu’au cerveau, qui relie l’oralité et la gestualité ou la parole et le geste, les deux ayant le même fondement : l’animalité [voir Lieberman et Stokoe]… Par ailleurs, il y a des langues parlées et écrites qui ne sont pas des langues naturelles, comme l’espéranto, qui est une langue artificielle ; il y a enfin d’autres langues artificielles qui n’appartiennent pas au langage naturel mais au « langage formel ».

 

        La linguistique devrait donc alors restreindre son objet comme étant : « le langage humain appréhendé à travers les langues naturelles et orales » ; ou bien, elle devrait plutôt l’élargir : « le langage animal oral et gestuel », ou « le langage naturel » par rapport au « monde naturel », la frontière entre le linguistique et le paralinguistique s’effaçant d’autant ; mais est-ce encore dans ce cas de la linguistique ? Ne serait-ce pas davantage de la sémiotique, de la psychologie ou de l’anthropologie ?… Quand Chomsky, en 1959, a critiqué radicalement l’ouvrage de Skinner publié en 1957, Verbal Behavior, il cherchait à invalider l’étude du langage comme simple comportement ou comme simple communication, au profit de l’analyse de la signification ou de la représentation ; c’est ainsi que le « comportementalisme » lui reproche son mentalisme et le fonctionnalisme, son formalisme. Il serait pourtant pour le moins surprenant que ces deux (ou trois) paradigmes de recherche aient tous les deux complètement tort : s’ils ne sont pas semblables ni égaux, ne pourraient-ils pas quand même être équivalents ? – Il en est sans doute de la linguistique comme de la physique : il est impossible que la théorie de la théorie de la relativité et la mécanique des quanta aient toutes les deux tort, il est possible que l’une ait tort, il est probable que les deux ont raison – même si, politiquement, ce ne peut être le cas : il y a tout un monde entre le génie et l’ingénieur […]

 

        La linguistique structurale, depuis Saussure, la linguistique fonctionnelle, depuis Martinet, la linguistique distributionnelle, depuis Bloomfield, la glossématique, depuis Hjelmslev, la psychomécanique, depuis Guillaume, et la grammaire générative, depuis Chomsky, reposent sur la distinction de la substance (matérielle) et de la forme (étendue) et, de là, sur l’arbitraire du signe linguistique, l’arbitraire ne se situant cependant pas entre le signifiant et le signifié, tel que Saussure le proposait ou le supposait, mais entre le signe et le référent, tel que Benveniste l’a disposé faute de l’imposer. Sauf qu’il y a des limites imposées à la convention (culturelle) par la motivation (naturelle) et il y a bien une part d’iconicité dans les langues naturelles – et pas seulement avec les onomatopées, elles-mêmes variables d’une langue à l’autre –, de la phonologie à la sémantique en passant par la morphologie et la syntaxe [voir Fonagy, Haiman et Lansberg]. C’est-à-dire que l’iconicité ne se trouve pas là où la linguistique historique, génétique ou diachronique ou la grammaire comparée ont pu la chercher : dans le vocabulaire, dans la réserve du lexique, dans le réservoir de lexèmes, mais dans la grammaire même ; surtout si, justement, c’est la linguistique qui fait partie de la grammaire, et non l’inverse, et que la grammaire déborde la langue ; même si, traditionnellement, on considère la linguistique comme l’étude de la grammaire et la grammaire comme l’analyse de la langue. C’est donc la grammaire qui est la science du langage (comme force de vie), tandis que la linguistique est la science de la langue (comme forme de vie) ; c’est ainsi qu’il peut y avoir une grammaire à la fois du langage verbal et du langage non verbal : une grammaire aussi cinématographique, théâtrale, picturale (ou pariétale), musicale…

 

        L’objet de la linguistique étant le langage naturel, elle peut donc revendiquer le rang et le statut d’une science naturelle autant que d’une science sociale : une science humaine à part entière. S’il y a une « grammaire universelle », il se peut donc qu’elle ne soit pas (que) linguistique et qu’elle ne soit pas de l’ordre de la compétence et de la performance ou de la « langue interne » et de la « langue externe », mais de l’ordre d’une sorte d’incompétence linguistique, qui serait cependant une compétence langagière (motrice, tensive, proprioceptive) et non linguistique. Si la langue se caractérise par la « perfection » [Chomsky] et le discours par le perfectionnement ou la spécialisation, la parole, et donc le langage, se caractériserait plutôt par une « imperfection », qui est l’apprentissage à la source de l’acquisition :

 

Grammaire

performance ---------- compétence

­

incompétence

 

Il en résulte que, si la grammaire universelle n’est pas linguistique et étant donné la très grande diversité des langues (parlées, écrites ou signées), il importe peu qu’elle soit innée ou acquise, ce qui est inné dans la phylogenèse étant de toute façon acquis dans l’ontogenèse par l’épigénèse ; la « grammaire générale » aurait donc autant sa place que la « grammaire générative » dans la « grammaire universelle ».

 

        L’innéisme, de Descartes à Chomsky, ne saurait être écarté d’un geste du revers de la main, comme le font Greenspan et Shanker : on ne peut quand même pas nier que seul l’homme peut apprendre à parler, mais qu’il y a des hommes qui ne le peuvent pas parce qu’ils sont sourds, ou mentalement ou physiquement handicapés ; les chimpanzés les mieux entraînés, les plus « éduqués », arrivent à se faire comprendre par des cris, des signes, des gestes et/ou des lexigrammes, mais pas par des mots articulés ; n’importe quel chien comprend son nom et « non ! » (si on a l’habitude de lui parler français ou anglais). Si la langue est apprise, acquise, le langage est inné : le « langage naturel » et le « monde naturel » sont le langage et le monde de l’homme, selon l’homme :

Sens

monde ---------- langage 

­

homme

 

C’est là la triple articulation du sens (de la vie), le récit étant la grammaire du sens et le sens de la vie. 

 

          La triple articulation du langage, la triple et non la double, peut  être schématisée de deux manières :

 

Langage

discours ---------- langue

­

parole

 

communication ---------- signification

­

énonciation

 

La triple articulation de l’énonciation est :

 

Énonciation

embrayage ---------- débrayage

­

brayage

(opérations/constructions)

 

L’embrayage est de l’ordre de la représentation primaire ou de la représentation (sensible) de choses et il peut être associé à l’hémisphère droit du cerveau ; le débrayage est de l’ordre de la représentation secondaire ou de la représentation (intelligible) de mots et il peut être associé à l’hémisphère gauche. Mais il n’y ni embrayage ni débrayage sans le brayage, qui est de l’ordre de la simple présentation ou de la présentation simple, du « cerveau reptilien » [Lieberman].

 

        L’oralité est le langage de presque tout le monde ; la gestualité est le langage du reste du monde ; l’animalité est le langage de tout le monde. Le discours de l’homme, du langage et du monde est le monde du sens, tandis que la parole est le sens du monde ; la langue de l’économie, de la société et de la culture est le langage du monde. Le récit de l’énonciation, de la signification et de la communication est le monde du langage et donc de la grammaire, ainsi que de l’art du langage ou de l’art de la grammaire qu’est la littérature. Aussi, le monde du langage n’appartient-il pas à la seule linguistique [voir JML Sens sur ce même site].

 

        Toutefois, la linguistique est et demeure depuis un siècle la science de la langue comme forme (de l’expression et du contenu). La forme est irréductible à la morphologie et à la syntaxe et elle implique déjà ou toujours une « phonologie sémantique » : la main est au geste de la main ce que l’organe est à la prédation, ce que le nom est au verbe, ce que l’agent est à l’action, qui implique un patient (ou un objet) si elle est transitive [voir Stokoe]. Ainsi la grammaire – tout au moins celle des langues indo-européennes comme l’anglais et le français - est-elle remarquablement simple : elle est quasi réductible aux auxiliaires et aux semi-auxiliaires ou aux verbes de modalité, puis à des pro-verbes comme « aller » ou « venir » et « faire » et aux verbes irréguliers (qui sont plus rares mais beaucoup plus fréquents). En ce sens, Marx n’avait pas tort de dire que le travail (l’effort) est l’origine du langage, comme il l’est du capital…

 

*

*    *

 

        Les particules grammatiques de la parole, c’est-à-dire les grammèmes, sont aux catégories grammaticales ou morphosyntaxiques de la langue et aux parties morphologiques du discours, ce que la prédication (ou l’antéprédication) est à la conjugaison et à la dérivation et ce que l’endoderme est au mésoderme et à l’ectoderme ; ce sont des « feuillets » :

 

Feuillets

 

parties du discours ------- catégories de la langue

­

particules de la parole

 

dérivation ---------- conjugaison

­

(anté)prédication

 

ectoderme ---------- mésoderme

­

endoderme

 

Il s’agit de la même triple articulation de l’animalité :

 

Animalité

extéroceptivité ---------- intéroceptivité

­

proprioceptivité

 

Il en est ainsi de la socialité (indo-européenne) :

 

Socialité

guerre ---------- souveraineté

­

fécondité

 

et de l’intimité (humaine, voire hominienne) :

 

Intimité

activité ---------- cognition

­

thymie

 

Il s’ensuit la triple articulation du mouvement :

 

Mouvement

extéroception ---------- intéroception

­

proprioception

 

dans la triple articulation du corps (propre) :

 

Corps

coeur ---------- âme

­

chair

 

La triple articulation de l’âme est :

 

Âme

volonté ---------- intellect/mémoire

­

esprit

 

à quoi correspond la triple articulation du cœur :

 

Cœur

conscience ---------- intelligence

­

instinct

 

Les deux reposent sur la triple articulation de la chair :

Chair

schéma corporel --------- image du corps

­

affect

(peau)

 

Le tout s’organisant et s’étayant selon l’entendement, la sensibilité et l’imagination, c’est-à-dire selon la subjectivité et l’affectivité :

 

Sensibilité

sensation ---------- perception

­

affection

 

Entendement

jugement ---------- raisonnement

­

aperception

 

Imagination

distinction --------- réflexion

­

abstraction

 

Il en est de même du raisonnement :

 

Raisonnement

induction ---------- déduction

­

abduction

(intuition)

 

        Le raisonnement propre à la pensée (humaine), qui inclut l’intentionnalité, la mentalité, voire la moralité, implique, de l’affectivité à l’effectivité, des facultés, des propriétés et des capacités, des schèmes, des images et des notions, des catégories, des concepts et des idées, des valeurs, des thèmes et des figures, des signes, des vocables et des termes. Et il n’y a pas de raisonnement sans sentiment, sans le sentiment de la situation, qui est le site des impressions et des émotions.

 

         La triple articulation (ou composition) elle-même, ou tout court, qui est à la fois « décomposition » et « recomposition » de la pensée [Condillac, Maine de Biran, pour qui vouloir, c’est (se) mouvoir], est la suivante :

 

Articulation/Composition

domination ---------- détermination

­

surdétermination

 

*

*    *

 

        Parmi les principaux apports du fonctionnalisme à la linguistique, il y a la double articulation de la langue selon Martinet, ainsi que les deux axes de la signification et les six fonctions de la communication verbale selon Jakobson. Il faut d’abord bien préciser qu’il s’agit de la double articulation de la langue comme forme, de la forme de l’expression et de la forme du contenu de la signification, et non du langage comme force. La première articulation, qui domine la seconde, est celle des monèmes, c’est-à-dire des lexèmes (classe ouverte) et les morphèmes (classe fermée), qui comprennent les morphèmes lexicaux (affixes : préfixes, infixes et suffixes) et les morphèmes grammaticaux, qui peuvent être liés (attachés  aux lexèmes) ou libres (libérés ou détachés des lexèmes) ;  Pottier appelle les morphèmes des grammèmes, qui sont pour nous les seuls morphèmes grammaticaux libres (déterminants, pronoms, adverbes non dérivés d’adjectifs et joncteurs : adjoncteurs, conjoncteurs, subjoncteurs) ; le distributionnalisme ne distingue pas, à tort, les morphèmes et les monèmes. La seconde articulation, qui détermine la première, est celle des phonèmes, c’est-à-dire des plus petites unités de signification de la forme de l’expression. Pour Damourette et Pichon, le phonème est un « individu phonologique » ou un « phonotype », dont découlent le maillon et le chaînon…

 

           Alors que la première articulation est continue et suprasegmentale, la seconde est discontinue et segmentale ; la première articulation est la communication  et la seconde est la signification. Cependant, Benveniste avait bien soupçonné une troisième articulation (qui fait de la seconde une deuxième), qui surdétermine les deux autres ; c’est celle du rythme, qui est continu, mais à la fois segmental (l’accent, l’harmonie) et suprasegmental (la prosodie, la mélodie). Cette troisième articulation, qui est en dernière instance la première, est l’énonciation, qui déborde la langue ; c’est pourquoi il convient mieux de parler de la triple articulation du langage.

 

        Le fonctionnalisme confond la communication (objective et effective) et l’énonciation (subjective et affective). L’origine, la racine ou le fondement de la communication est la fonction phatique, soit le contact, qui est irréductible au canal ou qui est le canal primaire par rapport aux canaux secondaires, le sens des organes par rapport aux organes des sens ; le contact phatique, emphatique et empathique, se fait par le brayage et le repérage, qui sont les opérations fondamentales de l’énonciation. Le contact (le tact et la contrainte) est l’animalité, l’oralité et la gestualité de la signification rendant possible la communication. Le débrayage (la fonction dénotative ou référentielle : le site débrayé de l’énoncé) définit l’animal humain : l’homme est l’animal débrayé ! Mais il reste prisonnier de la situation (embrayée) de l’énonciation : il reste prisonnier de son animalité ou de sa sexualité - de l’affect, de l’instinct ou de l’inconscient. L’énonciation est l’inconscient du langage et le langage de l’inconscient ; c’est « lalangue » [Lacan].

 

        L’énonciation est inséparable de la deixis, qui n’est rien de moins que le Dasein, qui n’est rien de plus que la deixis : la deixis est le et le la du Dasein !. La deixis est le rapport entre la personne, l’espace, le temps et la ponctuation ; celle-ci est monstration (ceci/voici) et orientation (cela/voilà), direction (d’où/vers) et destination (de/à) :

 

Deixis

personne                    espace

 

X

 

ponctuation                     temps

 

je                    ici

 

X

 

  il y a lieu/                maintenant

        il en est ainsi

 

qui ?                     où ?

 

pourquoi ?                X               comment ?

 

quoi ?                    quand ?

 

Ponctuation

monstration                      orientation

 

X

 

direction                       destination

 

Espace

ici                    au delà/

                                 nulle part

 

X

 

partout                    ailleurs/ 

                                   quelque part

 

Temps

maintenant                     jadis

     (aujourd’hui)                     (autrefois)

 

X

 

désormais                    alors/naguère

      (demain)                    (hier)

 

La deixis, qui inclut le « gouvernement » et le « liage » selon Chomsky, surdétermine la semiosis et la mimesis ou la catharsis :

 

Surdétermination

mimesis/catharsis ---------- semiosis

­

deixis

 

La deixis est la posture, tandis que la semiosis est la disposition et la mimesis, la position.

 

         Les deux axes de la langue ou de la signification sont l’axe paradigmatique (ou vertical) et l’axe (ou la chaîne) syntagmatique (ou horizontal). Ces deux axes sont reliés respectivement aux deux principes de classement ou de classification : le principe métaphorique et le principe métonymique [voir Tort]. L’axe paradigmatique est l’axe qui permet la dérivation morphologique et la description, surtout par des substantifs et des adjectifs : c’est l’axe du vocabulaire ; l’axe syntagmatique rend possible la conjugaison morphosyntaxique et la narration, surtout par des verbes : c’est la chaîne de la grammaire.

 

          Mais c’est par les morphèmes, plus particulièrement les grammèmes (qui sont les particules de la parole), qu’il y a un « troisième axe » (grammatique, narratique, rythmique) qui (re)lie les deux autres… L’axe vertical est l’axe de la structure, du système, du schéma, du facteur, de la vision, de la saisie, de la recherche, de la position ; l’axe syntagmatique est l’axe de la conjoncture, du procès, de l’usage, de la fonction, de la vue, de la visée, de la découverte, de la disposition ; « l’axe oblique » est l’axe de la procédure, du processus, du diagramme, de la jonction, de la voix, de la posture, de la discipline, du dispositif : c’est « l’axe » de l’asymétrie (invisible) qui conditionne la symétrie (visible) ; ou plutôt, c’est ce qui rend visible l’asymétrie des deux axes, comme de la gauche et de la droite (qui sont déictiques). 

 

        Il serait donc possible de distinguer, dans la triple articulation de la langue : l’axe paradigmatique, la chaîne syntagmatique et le chaînon (ou le maillon) grammatique avec, de là, ce qui en résulte :

 

Triple articulation de la langue

 

chaîne syntagmatique ----- axe paradigmatique

­

chaînon (ou maillon) grammatique

 

syntagme ----- paradigme

­

repère

 

Le repère est de l’ordre de l’énonciation, de la deixis (c’est-à-dire de la personne, de l’espace, du temps  et de la ponctuation), de la parole, de la voix et de l’archétexte (soit des grammèmes ou des particules de la parole) : c’est « le point de capiton » [Lacan]…

 

monèmes ----- phonèmes

­

grammèmes

 

parties du discours ----- catégories de la langue

­

particules de la parole

 

rythme ----- récit

­

voix

 

(la) mode ----- genre

­

style

 

métonymie ----- métaphore

­

zeugme

 

*

*    *

 

        Le monde du langage borde, et parfois déborde, la langage du monde ; c’est le monde des disciplines, des domaines et des courants ou écoles linguistiques ; c’est le monde de la linguistique et des linguistiques, de la langue et des langues, de la littérature et des littératures ; c’est le monde de la grammaire et des grammaires. La grammaire est à la fois sujet, trajet et objet, à la fois nature, structure et culture ; elle est épilangue (inconsciente), langue (préconsciente) et métalangue (consciente). Les grammaires conventionnelles sont des grammaires pratiques, de la grammaire traditionnelle (prescriptive) à la grammaire scolaire (normative) ; les grammaires nouvelles sont des grammaires théoriques, de la grammaire descriptive (historique ou non) à la grammaire explicative (générale ou non). Les principales grammaires théoriques sont les suivantes : la grammaire structurale, la grammaire fonctionnelle, la grammaire systématique, la grammaire praxématique, la grammaire générative, la grammaire interprétative, la grammaire cognitive, la grammaire constructive, la grammaire énonciative, la grammaire sémio-narrative, la grammaire tensive et la grammaire proprioceptive, les grammaires de la seconde moitié étant (aussi) textuelles, comme la grammaire fonctionnelle de Halliday.  En outre, il y a  d’autres grammaires, moins connues ou reconnues, qui se définissent ou bien contre ou pour ou bien avec la grammaire générative : la grammaire catégorielle (Montague), la grammaire relationnelle (Postal), la grammaire lexicale et fonctionnelle (Bresnan) et la grammaire  applicative ou applicationnelle (Shaumyan).

 

        Si on considère que la littérature est l’art de la grammaire ou du langage, il est possible d’aborder la triple articulation de la littérature comme processus ou comme régime socio-historique de l’archi-texte, du récit constitutionnel au discours institutionnel en passant par le corpus (le livre comme artefact ou témoin, comme livraison et liaison entre le parcours et le discours) :

 

    Littérature

procès de lecture -------- système de l’écriture

­  

« procès-verbal » de la signature

 

Écriture

phéno-texte ---------- géno-texte

­

archétexte

 

Lecture

contexte --------- texte

­

cotexte

 

Signature

topique éditoriale --------- topique rédactionnelle

­

topique titrologique

(onomastique)

 

        Le monde des langues comprend une série de normes entourant la prononciation ou l’intonation et l’orthographe, la langue parlée et la langue écrite, les idiomes (du sociolecte à l’idiolecte en passant par le dialecte, le patois ou « régiolecte », le créole, le pidgin, le sabir et le jargon ou l’argot) et les usages, c’est-à-dire les répertoires lexicaux (savant ou vulgaire, littéraire ou populaire, technique ou familier, juridique ou administratif) et les registres grammaticaux (diachronique selon l’âge de l’individu parleur, diatopique selon l’usance de la région, diastratique selon la parlure de la classe sociale, diaphasique selon la disance du groupe, du milieu, du  métier, de la profession ou de la situation). Ces répertoires et ces registres sont communément appelés « niveaux  de langue » : ce sont tout simplement des parlers, avec leurs constantes et leurs variables, leurs variantes et leurs variétés ou leurs variations, selon les critères ci-haut mentionnés, mais de plus en plus aussi selon le contact des langues dû aux migrations des populations ; de là, le « schéma tétraglossique » des archilangues, qui sont des véhicules territoriaux mais aussi des véhicules de déterritorialisation ou de reterritorialisation  [voir JML Diagrammatique du langage sur ce même site].

 

La typologie des langues selon la psychomécanique

 

        Les langues du monde sont maintenant regroupées dans des super-familles (ou des phyla), des familles et des sous-familles. Pour en arriver à de tels regroupements, la linguistique synchronique et la linguistique diachronique, la grammaire générale et la grammaire comparée se donnent la main ; mais, de plus en plus aussi, il y a l’apport de la génétique des populations. En fait, il s’agit d’un apport génétique à la linguistique et d’un apport linguistique à la génétique ; cela ne veut pas dire que les langues sont des gènes ou des « mèmes », mais que les émigrants transportent leurs gènes et leurs langues.    

 

        Se distinguent (mal) les langues flexionnelles, les langues agglutinantes et les langues isolantes ou tonales ; se distinguent mieux les langues accusatives, comme l’anglais et le français, où l’agent précède le patient, et les langues ergatives comme le japonais, où le patient précède l’agent. Selon trois « seuils de grammaticalisation », Guillaume identifie trois types de langues : les langues à parties du discours comme les langues indo-européennes (« seuil y »), les langues monosyllabiques ou amorphogéniques comme le chinois et les langues sino-tibétaines (« seuil » a ») et les langues à racines comme les langues sémitiques (« seuil x »). Les langues amérindiennes sont incorporantes, polysynthétiques ou holophrastiques (où le mot est une phrase ou la phrase un mot). Les langues indo-européennes seraient d’anciennes langues à racines ; le proto-chinois aurait été une langue flexionnelle à mots longs.

 

           Dans les langues holophrastiques, il y a plus de langue (ou de puissance) et moins de discours (ou d’effet) ; dans les langues monosyllabiques, il y a moins de langue et plus de discours. Dans les langues amorphogéniques, il y a un minimum de matière ; dans les langues asyntaxiques, il y a un maximum de matière. Dans les langues plus morphologiques, l’élément formateur (la substance, la puissance) conduit au mot-phrase ; dans les langues plus syntaxiques, comme les langues isolantes, le mot est amorphologique. Entre les deux, il y a plus de morphologie dans les langues incorporantes comme le basque, le hongrois et le turc ; il y a plus de syntaxe dans les langues analytiques ou séparantes ; le français est plus syntaxique dans le plan du nom que dans le plan du verbe. Les mots longs d’une langue comme le finnois ont moins de phonèmes qu’une langue à mots courts comme le chinois et le vietnamien.

 

        A partir de trois « saisies » (lexicale, radicale et phrastique), la saisie lexicale conditionnant la structure des langues, Guillaume identifie aussi trois « aires glossogéniques », la glossogénie (existentielle) étant de l’ordre de la langue et la praxéogénie (fonctionnelle) de l’ordre du discours. Ces trois aires sont :

1°) l’aire prime du mot primaire, où il y a création du langage à partir d’essais de discours : langues holophrastiques (basque), langues agglutinantes (turc) et langues isolantes (chinois) ;

2°) l’aire seconde des langues à racines, où il y a la substance-matière des consonnes de l’aire prime et la substance-forme des voyelles de l’aire tierce ;

3°) l’aire tierce des langues indo-européennes.

 

Trois aires

aire seconde ---------- aire tierce

­

aire prime

 

Trois saisies

saisie radicale ---------- saisie phrastique

­

saisie lexicale

 

Dans les langues holophrastiques, la saisie lexicale équivaut à la saisie phrastique : il y a interception tardive de l’acte de langage ; dans les langues monosyllabiques, la saisie lexicale équivaut à la saisie radicale : il y a interception précoce de l’acte de langage ; entre les deux, il y a les langues à mots comme les langues sémitiques, où il y a une « double saisie lexicale » : l’éloignement de la saisie radicale qui fournit la racine et l’éloignement de la saisie phrastique par l’insertion des voyelles morphologiques.

 

         Au niveau même de la phonologie, l’aire prime est celle de la syllabe : il y a partage syllabique du « mot primaire » (monosyllabique ou polysyllabique) ; l’aire seconde est celle du « binôme phonématique » d’un « mot moyen » (avec des consonnes de langue et des voyelles de discours) ; l’aire tierce est celle du phonème du mot secondaire dans le cadre de la syllabe et avec des consonnes et des voyelles)[voir Joly dans Joly Éd. : « Évolution du langage et typologie des langues » (p. 231-257)].

        

*

*    *

 

        La grammaire est un grand récit, un des quatre « grands récits » :

 

Grands récits

biologie                     (pré)histoire

 

X

 

psychanalyse                    grammaire

 

Et, pour rendre à César ce qui revient à César, il faut reconnaître en Chomsky, et non en Saussure, son principal narrateur ou narrateur-acteur ; sans doute parce qu’il a un maximum de narrataires, surtout en Amérique du Nord : pour ou contre lui, avec ou sans lui, on débat autour de lui, jusque dans les trois autres grands récits. Le récit de la grammaire ne s’épuise donc pas dans la grammaire (linguistique ou sémiotique) du récit ; en fait preuve le nombre de grammaires dont il a été question ci-dessus. Il en est de même du récit de la philosophie :

 

Récit de la philosophie

ontologie                   épistémologie

 

X

 

phénoménologie                   gnoséologie

 

et du récit de l’anthropologie :

 

Récit de l’anthropologie

ethnologie                    éthologie

 

X

 

sociologie                     psychologie

 

Il ne saurait donc être question de la fin des grands récits ou de la fin de la philosophie et de l’idéologie : le récit lui-même n’arrête pas ou ne finit pas de finir [voir JML Sens/Conclusion et Autres études/Psychanalyse, sciences humaines et biologie ou Des grands récits sur ce même site] !

 

JML/12 avril 2005