POSTFACE
L'arbitraire de l'ordre n'est pas l'ordre de
l'arbitraire; ordre de l'arbitraire qui règne du
taylorisme au nazisme, des camps de travail aux camps de
la mort, dans l'organisation du travail. Dans notre
classification des Contes, le désordre est lui-même un
ordre, mais pas un ordre établi, préétabli ou à
(r)établir : c'est l'ordre du travail, mais pas le
travail de l'ordre; c'est un travail, un ouvrage : le
gros oeuvre, le second oeuvre et le hors oeuvre --
l'oeuvre (au masculin ou au féminin), oeuvrer à un chef-d'oeuvre, mais pas une oeuvre!
La classification des Contes par Ferron ou par
Paquette est d'ordre politique ou idéologique, d'ordre
social (éditorial, publicitaire), historique, socio-historique; la chronologie, comme l'anthologie, ne peut
pas tenir lieu de biographie ou de bibliographie, encore
moins de grammaire : de langue et de métalangue. Les
Contes, c'est une géographie, une démographie, une
anthropologie, une mythologie; c'est aussi -- et c'est
surtout ce qui a été reçu, retenu, même si ce n'est pas
l'essentiel : l'essence ou la quintessence du sens -- une
(méta)psychologie et une (méta)sociologie, peut-être même
une (méta)biologie de l'animal humain. Les contes ne sont
pas des mythes, mais les mythes sont des contes, des
légendes, des récits, écrits ou non. Le folklore n'est
pas de la littérature, mais la littérature est du
folklore, finit par en être : finir, c'est devenir et
devenir, c'est finir; de là, la radicale finitude (natale
et agonale).
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À l'édition savante prétendant
s'opposer à
l'édition vulgaire ou populaire (le livre de poche), il
convient sans doute d'apposer, et non d'opposer, une
édition brute [au sens de Jean Dubuffet, qui parle d'«art
brut» : cf. L'homme du commun à l'ouvrage], une édition
qui tient de l'édition originale ou princeps : une
véritable édition critique -- dans un état critique,
comme l'édition princeps de Les demi-civilisés de Jean-Charles Harvey en 1934 (par rapport à celle de 1966, puis
de 1970) ou comme celle de la Critique de la raison pure
d'Emmanuel Kant en 1781 (par rapport à celle de 1787).
L'édition brute (originale, princeps) est marquée par
l'auto-censure de l'idéal du moi, alors que l'édition
intégrale l'est par la censure du moi idéal et que
l'édition critique (finale, définitive) l'est pas la
censure du surmoi.
Du narrateur-conteur au narrateur-acteur, en
passant par le narrateur-raconteur, le (ra)conteur est la
figure de l'idéal du moi, l'acteur est la figure du moi
(idéal), le rédacteur est la figure du surmoi et le
scripteur/lecteur est la figure du ça. Le conteur
(épique), qui participe de l'Autre (symbolique), est le
Maître (le chef ou le héros); l'acteur (lyrique), qui
participe du Même ou de l'Identique (imaginaire), est
l'Hystérique (le fou ou le forcené); le rédacteur
(dramatique), qui participe de l'Un (semi-symbolique),
est l'Universitaire (l'historien littéraire ou le
littéraire historien); le scripteur/lecteur (tragique),
qui participe du Multiple ou du Différent (réel), est
l'Analyste (le poète ou le théoricien).
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Ces analyses prouvent, éprouvent et approuvent,
du début à la fin, l'épaisseur de la surface et la
minceur de la profondeur. Ainsi le conte est-il au roman
ce que la minceur (de la narrativisation et de
l'axiologisation) est à l'épaisseur (de la
figurativisation et de la thématisation), ce que le
squelette est au corps; c'est un roman dépouillé, une
dépouille, mais pas la dépouille mortelle du récit. Ainsi
va la vie, ainsi va le récit, ainsi va le monde : le
récit est le lien de la vie et du monde; c'est le(mi)lieu
du monde!
Peut-être aussi que le conte est au roman ce que
la métaphore est à la métonymie : ce que la condensation
est au déplacement -- ce que l'hystérie est à l'obsession
(ou ce que la phobie est à la paranoïa), le roman
risquant ou osant des réponses (obsessionnelles) aux
questions (hystériques) du conte : obsessionnel roman,
hystérique conte?...