Jean-Marc Lemelin
LA REFONTE DE LA SÉMIOTIQUE
Jacques Fontanille et Claude Zilberberg.
Tension et signification.
Mardaga (Philosophie et langage).
Belgique; 1998 (256 p.)
Juin 1998 et janvier 1999
SOMMAIRE
L'évolution de la sémiotique
Le dispositif : le carré, le réseau, l'arc et le schéma
L'existence : les modes, les régimes et les styles
Le devenir : la modulation et la modalisation
Le mouvement : la présence et la substance
La phénoménologie, l'ontologie et la (méta)physique
[M]ais il reste, pour le regard
sémiotique, un horizon infranchissable,
celui qui sépare le «monde du sens» du
«monde de l'être»
[Sémiotique des passions, 324].
TS SP 2 1
Valence X 0 0
Valeur X X X
Catégorie X X 0
Carré 0 X X
Schéma X X X
Présence 0 0 0
Devenir X X 0
Praxis énonc. X 0 0
Forme de vie 0 0 0
Modalité 0 X X
Fiducie 0 X X
Émotion X X 0
Passion X X 0
L'ÉVOLUTION DE LA SÉMIOTIQUE
Bien entendu, un devenir linéaire peut
être reconnu à tort comme circulaire :
c'est le cas chaque fois que la
nouveauté est prématurément interprétée
en fonction des codes que son
surgissement invalide [119].
1°) une phase de fondation, par la linguistique de Saussure, par la glossématique de Hjelmslev et par la sémantique structurale de Greimas;
2°) une phase de consolidation, marquée par la collaboration de Greimas et Courtés et leurs publications, plus particulièrement le tome 1 du Dictionnaire en 1979;
3°) une phase de confrontation aboutissant au tome 2 du Dictionnaire en 1986;
4°) une phase de refondation ou de refonte, amorcée dès la
publication de l'Essai sur les modalités tensives de Zilberberg
en 1981, continuée par Sémiotique des passions en 1991 et
poursuivie, voire achevée, dans Tension et signification.
LE DISPOSITIF : LE CARRÉ, LE RÉSEAU, L'ARC ET LE SCHÉMA
Cet ordre n'est pas seulement
chronologique : il permet de rendre
compte du devenir de la sémiotique
elle-même si l'on admet, hypothèse
assurément lourde, que l'évolution
théorique conduit progressivement à
dégager les présupposés sous-jacents»
[76].
L'EXISTENCE : LES MODES, LES RÉGIMES ET LES STYLES
Chacune de ces hypothèses prise
séparément apparaît comme l'ajout d'une
simple touche ne remettant pas en cause
l'économie globale du projet sémiotique
mais, ramassées ensemble, elles
confèrent à la sémiotique une
"physionomie" sensiblement différente
de celle qui d'abord prévalut [110].
LE DEVENIR : LA MODULATION ET LA MODALISATION
Derrière chaque aspectualisation ou
modalisation linguistique, toute
l'histoire, la mémoire et le devenir
des rapports agonistiques se dessinent
en filigrane [186].
LE MOUVEMENT : LA PRÉSENCE ET LA SUBSTANCE
S'il fallait une preuve supplémentaire
du fait qu'une discipline en voie de
constitution a pour objets véritables
ceux-là même qu'elle commence par
exclure de ses préoccupations, le sort
réservé à l'émotion apporterait cette
preuve» [209].
tri - fermeture - ouverture - mélange - tri
La «dynamique syntaxique» se voit complétée par l'inclusion de
la direction et de la limite en plus de la distension [35-36].
Les valences d'intensité modulent «des énergies en conflits» et
les valences d'extensité (ou les «valences quantitatives»)
modulent «les propriétés méréologiques de la perception» [36].
Au niveau même des opérations extensives, qui «concernent
autant la perception des états de choses (unitaires, partiels,
holistiques) que l'énonciation, puisque le débrayage est lui-même pluralisant, et l'embrayage homogénéisant», il y a
disposition de seuils entre les «degrés extrêmes de
l'extensité» : «nullité - unité - dualité - pluralité»; puis
«globalité - totalité (totus)» ou «généralité - universalité
(omnis)» [135]. Il y a totalisation par le mélange et partition
par le tri; la totalisation peut être fusion (tonique) ou
addition (atone) et la partition peut être distinction
(tonique) ou soustraction (atone) [157].
constituants (ou composants) : exposants :: «constituants
phonématiques» : «profil prosodique» et «modulations syllabiques»
:: syntaxe modale : styles sémiotiques :: «strate modale» :
«strate phorique» :: strate présupposante : strate présupposée
= constituance : consistance [237, 239].
LA PHÉNOMÉNOLOGIE, L'ONTOLOGIE ET LA (MÉTA)PHYSIQUE
[L]'universalisation d'une forme
pourrait même - et la remarque vaut
pour les théories soi-disant
universelles - être définie comme la
mise entre parenthèses de la praxis qui
l'a produite [145].
*
NOTES :
1. Ces deux premières notions ont fait l'objet d'une pré-publication : Jacques Fontanille et Claude Zilberberg. Valence/valeur précédé de «Pour une sémiotique tensive, les gradients du sens» par Pierre Ouellet. Nouveaux Actes Sémiotiques # 46-47. Presses universitaires de Limoges. Limoges; 1976 (76 p.). Leur pré-publication en revue et en une version plus longue, impliquant adresses et connexités, leur confère sans aucun doute une importance plus grande. Pour un compte rendu exhaustif, mais autrement orienté, de ces deux essais, voir JML. «Les états de la sémiotique» sur ce même site : Autres études. Il faut signaler qu'une malencontreuse erreur s'est glissée de la pré-publication à la publication : au haut de la page 16 et en conformité avec les pages 13-15, il faut lire Littré à la place de Robert et Robert à la place de Littré. En outre, à la page 105, deuxième paragraphe (cinquième ligne) et en conformité avec le carré sémiotique qui suit, il faudrait lire «concentré» à la place de «contracté», ce dernier terme faisant l'objet du carré sémiotique précédent, page 104. Par ailleurs, il y est fait un usage particulier des caractères gras et des caractères italiques, ainsi que des guillemets; usage qui ne semble pas toujours systématique. Dans ce qui suit, les caractères italiques ou gras entre guillemets seront toujours ceux des deux auteurs; les guillemets «français», dans une citation entre guillemets, seront remplacés par les guillemets "américains"; en dehors des citations entre guillemets, les caractères gras ou italiques, ainsi que les majuscules, ne seront pas nécessairement respectés et, en dehors des inter-titres, l'usage sera limité à l'italique; il pourra alors arriver que la citation commence avant les guillemets. En outre, la formalisation sera évitée, ainsi que les carrés, réseaux et autres tableaux ou schémas, qui seront plutôt (re)formulés. Enfin, les références à l'ouvrage sont indiquées entre crochets et, contrairement à l'usage canonique, elles précèdent le signe de ponctuation, comme les appels de note.
2. En fait, il s'agit de Catégorie - Carré sémiotique [45-70].
3. Les auteurs précisent : «il ne s'agit pas seulement de sacrifier à un des rites du discours universitaire, qui est un genre parmi d'autres, mais de manifester clairement l'immersion de nos propositions dans le réseau des acquis antérieurs, proches ou apparement éloignés» [9].
4. Il y aurait donc douze notions, mais l'avant-propos parle de «dix concepts envisagés» [6] : est-ce insignifiant (coquille?) ou est-ce que cela veut dire que deux des notions ne seraient pas des concepts?
5. Les définitions syntagmatiques étendues «s'appliquent au discours en son entier» et les définitions syntagmatiques restreintes «concernent seulement un ou plusieurs segments» [7].
6. Le chapitre sur Catégorie - Carré sémiotique commence par un Préalable expliquant le rapprochement des deux notions; les Confrontations du chapitre sur Émotion sont renvoyées [218] à celles du chapitre sur Passion [235-240]
7. Les définitions étant à la fois paradigmatiques et syntagmatiques, il y a remise en question à juste titre de la définition du paradigme; «authentique obstruction épistémologique, [que] de poser la relation paradigmatique comme le point de départ d'une catégorie, alors qu'elle n'en est que l'aboutissement» : «La saisie paradigmatique de la valence a pour objet de rétablir ou de préciser ler lien entre la définition et le paradigme» [13].
8. Le point de vue figural est celui des «catégories attestées à la fois dans le plan du contenu et dans celui de l'expression»; le point de vue figuratif est celui des «catégories attestées dans le seul plan du contenu» [33].
9. Greimas «mettait l'accent sur la présentification et avantageait la prédication existentielle au détriment des deux autres» [117].
10. Trois dimensions à ne pas confondre avec les dimensions -- et encore moins les catégories -- thymique, cognitive et pragmatique. Par ailleurs, il faudrait rapprocher la dimension "praxématique" du discours réalisé et les dimensions tensive et schématique; dans ce rapprochement, y aurait-il substitution des dimensions tensive/schématique/praxématique aux dimensions thymique/cognitive/pragmatique?
11. Mais il demeure pourtant que la quête d'identité peut passer, déguisée par une quête d'objet, que l'objet soit finalement le sujet du manque ou de la perte, le sujet natal ou agonal...
12. «État de l'âme qui se fie; engagement» en ancien français [Le Petit Robert 1].
13. Il est tentant alors de glisser du sacrifice comme offrande au sacrifice comme renoncement.
14. Il y a un avantage notable à considérer le présent non seulement de manière temporelle (l'absence du perdu) et de manière spatiale (la présence du vécu), mais aussi de manière actantielle et événementielle : le présent comme offrande -- comme don (non économique) ou donation de sens... Voir Jean-Luc Marion. Étant donné; essai d'une phénoménologie de la donation. PUF (Épiméthée). Paris; 1997 (456 p.)
15. Le courant, le flot ou le flux vivace du présent : le présent-vivant.
16. Dans la liste des catégories d'Aristote, la tradition -- dont la citation de Destutt de Tracy est significative ou symptomatique -- a fini par substituer la substance (substantia) à l'essence (ousia) par des glissements de traduction impliquant aussi la force (dunamis), l'énergie (energeia), l'entéléchie (entelekheia) et le "suppôt" (hypokeimenon). De toute façon, l'ousia (l'essence, l'étance, l'étantité) y a préséance sur la parousia (la présence, le déploiement téléologique et l''achèvement eschatologique de l'essence); le «guidage téléologique» de Ricoeur ne semble pas être autre chose [53].
17. Aristote est d'ailleurs cité à ce sujet [236]. Voir aussi Martin Heidegger. Aristote, Métaphysique 0 1-3 : De l'essence et de la réalité de la force. Gallimard nrf (Bibliothèque de philosophie : Oeuvres de Martin Heidegger; Sections I, II, III : Cours 1931). Paris; 1991 [1981] (2 + 238 p.) et Pierre Aubenque. Le problème de l'être chez Aristote; essai sur la problématique aristotélicienne. PUF (Bibliothèque de philosophie contemporaine : Histoire de la philosophie et philosophie générale). Paris; 1966 [1962] (VIII + 552 p.) [par exemple, note 4, p. 152]. Il faut aussi mentionner que pour Aristote, la première passion est l'étonnement, et qu'il traite aussi de la colère comme «désir de rendre offense» : cf. Pierre Aubenque. «Sur la définition aristotélicienne de la colère». Revue philosophique de la France et de l'Étranger. PUF. Paris; 1957 - 82e année : tome CXLVII (4 + 576 p.) [p. 300-317].
18. Pour un cheminement parallèle, mais plutôt en termes de sémiotique littéraire, voir Jacques Geninasca. La parole littéraire. PUF (Formes sémiotiques). Paris; 1997 (VIII + 296 p.), plus particulièrement la Postface de Pierre Sadoulet, où les deux problématiques sont comparées ou confrontées [p. 283-293].
19. Cette immédiateté fait que l'imagination est la racine commune des deux souches de la connaissance que sont la sensibilité et l'entendement, comme la proprioceptivité l'est du cognitif et du pragmatique. Peut-être même que ces dimensions pourraient être elles-mêmes apparentées aux fonctions (souveraineté, force, fécondité) et aux échanges (paroles, biens, personnes)... C'est toute la conception du corps qui est ici soulevée, du corps en rapport avec les corpuscules, mais surtout en rapport avec la chair, le coeur, l'âme, l'esprit -- et ici, le dernier Husserl semble être allé plus loin que Merleau-Ponty; voir aussi les travaux de Michel Henry, de Marc Richir, de Jacques Garelli et de Didier Franck --, soit du corps propre comme «corps originaire» selon Maine de Biran : voir «Les états de la sémiotique».
20. Le sentiment de la situation a peut-être son corrélat ou son pendant métapsychologique dans le sentiment d'inquiétante étrangeté et donc dans le sentiment inconscient de culpabilité et il est en rapport avec l'angoisse ou l'ennui, dont il est difficile d'imaginer le contraire comme étant le bonheur [163].
21. Dans la typologie diverse -- typologie basée plutôt sur l'émotion comme «unité élémentaire du sensible» que sur la passion [209] -- des sujets : contracté ou détaché, mobilisé ou distendu [104], concentré ou détaché, mobilisé ou distendu [105], visant ou visé, saisissant ou saisi, dans les formes de vie que sont la quête et la fuite, la domination et l'aliénation [160], il y a cependant un sujet qui semble échapper au principe d'individuation : le sujet concentré comme sujet exalté ou extatique, comme sujet grisé -- ou enthousiasmé [123]. Pourtant, la division, la scission, y est patente et la déroute du principe d'individuation, peut-être latente.
22. En fin de compte, toute la question est de savoir si la subjectivité est celle du sujet ou s'il est permis de penser qu'elle n'est ni individuelle ni collectivve et qu'elle n'est pas non plus l'intersubjectivité, mais justement remise en question, dans et par l'affectivité, de cette (in)division [cf. M. Henry et François Laruelle].
23. Pour une autre typologie des passions, voir Sémiotique des passions [223], dont il est discuté, par rapport à Bataille, dans «Les états de la sémiotique».
24. Pour couper court : d'un point de vue métapsychologique (psychanalytique) et sous réserve de plus amples développements, la passion se voit traitée par le fantasme et la pulsion : la valence est le corrélat sémiotique de la pulsion ou la pulsion est le corrélat psychanalytique de la valence. C'est ainsi qu'il faudrait considérer surtout la pulsion de mort, "anorganique" par rapport à l'inorganique et à l'organique, et confronter tensivité et "atensivité", proprioceptivité et "aproprioceptivité"; pour cela, il serait nécessaire d'analyser la passion aussi comme susceptibilité et responsabilité, comme patience et paresse : comme "disposibilité" et non comme intentionnalité. La sémiotique ne serait pas alors seulement une science du mouvement mais aussi une science du repos. .
25. Ce primat de l'espace se trouve aussi dans l'analyse du discours de Foucault, jusque dans ses cours : «Il faut défendre la société»; Cours du Collège de France (1975-1976). Gallimard/Seuil (Hautes Études). Paris; (XII + 292 p.); voir aussi Frances Fortier. Les stratégies textuelles de Michel Foucault; un enjeu de véridiction. Nuit Blanche Éditeur. Montréal; 1997 (324 p.). Mais il y a le retour du temps par le détour du devenir, qui semble cependant être la spatialisation du temps, son espacement; il faudrait examiner aussi la démarche inverse : la temporalisation de l'espace, de l'espace tensif, sa temporisation ou sa "temporation".
26. Et ici les chiasmes et les entrelacs pourraient se multiplier : monde de l'être et être du monde, mouvement du devenir et devenir du mouvement, sens de la vie et vie du sens, sens de l'être et être du sens, etc.
27. Pour une confrontation magistrale de la théorie du langage de la phénoménologie et de celle de la pensée de l'être, voir l'ouvrage d'un traducteur de Husserl : Arion L. Kelkel. La légende de l'être; langage et poésie chez Heidegger. Librairie philosophique J. Vrin. Paris; 1980 (640 p.); voir aussi Reuben Guilead. Être et liberté; une étude sur le dernier Heidegger. Préface de Paul Ricoeur. Nauwelaerts/Beatrice-Nauwelaerts. Louvain-Paris; 1965 (184 p.)
28. Pour une discusssion plus approfondie de Steiner et Otto, à partir de Nierzsche et Heidegger, voir JML. Manuel d'études littéraires/Analyse du discours/L'antagonique ou l'agonique sur ce même site.