LE MONDE
L’homme
est en vie et il est au monde ; il naît
au monde par le langage. Il n’y a pas de monde pour l’animal qui n’est pas
humain, pour l’animal qui n’est pas débrayé, pour l’animal(ité) sans oralité.
L’animal parlant ou le parlêtre est
l’être-au-monde et l’être-à-la-mort. Le monde
(de l’ennui) de l’homme n’est pas le milieu
(de la stupeur) de l’animal. Le monde est le poids de la vie, soit sa surface et son volume, en même temps que
sa vitesse ou sa trajectoire, son pouvoir :
son importance ou son influence, sa volonté ; mais c’est la vie qui est la
puissance du monde. Ou bien l’homme
change le monde, ou bien le monde change l’homme…
LES CONCEPTIONS DU MONDE
Encore
mythologique, la théologie est une conception ou une compréhension surnaturelle du monde : le monde a
été créé par un dieu ou des dieux, que ce soit le Dieu de l’Ancien
testament , le (Fils de) Dieu du Nouveau Testament, le premier moteur
immobile d’Aristote ou quelque autre divinité. Pour la cosmologie, le monde n’est qu’une infime partie de l’Univers,
qui n’est lui-même qu’une partie du cosmos :
nous ne sommes rien dans l’infinité cosmologique des astres et des planètes,
qui tournent sans nous, avant et après nous, jusqu’à l’extinction du Big
Bang ! Autant alors chercher la vie sur Mars…
Selon
la physique,
le monde est gouverné par des lois physiques (relativité, gravité, quanta,
vitesse de la lumière, etc.) qui sont d’essence mathématique : algébriques
ou géométriques dans le pire des cas, topologiques dans le meilleur des cas. La
physis y est synonyme de nature. Pour la chimie, le monde est le produit de la matière
inerte ou inorganique ; c’est un monde de particules qui peut être résumé
par le tableau de la classification périodique des éléments de Mendeleïev. Avec
la biochimie,
le monde est le produit de la matière vivante ou organique ; mais on
ignore tout du passage de l’inorganique à l’organique et de l’apparition de la
vie sur la Terre (ou ailleurs) : on parle d’une « soupe
prébiotique » qui aurait assuré la continuité du règne minéral au règne
végétal, parce que l’on croit ou pense que s’il y a discontinuité entre les
deux, cela impliquerait une intervention divine et donnerait raison au
fondamentalisme : Dieu, qui n’est qu’un nom propre ou un non-concept, est
une très mauvaise réponse à la meilleure des questions – la question de
l’origine, qui est l’origine de la question !
La biologie est capable de
penser le règne végétal, par la botanique, et le règne animal, par la
zoologie ; elle a justement montré et démontré que l’humain appartient au
règne animal et qu’il ne s’en distingue pas par l’âme (l’animé) ou par l’esprit
(déjà présent chez d’autres primates). Cependant, pour la biologie, l’homme
n’est qu’un maillon de la chaîne de la vie, qui est souvent réduite au code
génétique, au génome : l’espèce humaine appartient au genre humain et elle
ne se distingue en rien des autres espèces et des autres genres. La vie est
donc d’essence génétique (et non généalogique) et on cherche encore « le
chaînon manquant », même en sociobiologie…
L’idéologie réduit le
monde à la culture (conscience, esprit, éducation, formation, imitation,
tradition, etc.). Elle peut être religieuse, morale, folklorique (superstition,
sens commun, bon sens), littéraire ou autrement artistique ; en plus
d’être culturelle, elle peut aussi
être cultuelle et avoir quelque chose
de liturgique et de fiduciaire, la liturgie étant affaire de croyance et la
fiducie, de confiance.
Avec l’économie, qui est l’aménagement ou le traitement de la
nature par la culture et du temps par l’espace, apparaissent les conceptions
sociales ou historiques, socio-historiques, du monde. L’économie se voudrait
une science naturelle, pure et dure, exacte et appliquée ; selon un ancien
directeur du département d’Économie à l’Université Memorial, on devrait
l’enseigner comme un langage, comme une langue seconde. Or, l’économie est une
langue étrangère à la vie et à
l’homme [cf. Henry] : de l’échange ou de la libre circulation des biens,
tout lui échappe, parce qu’elle ignore l’échange des personnes et l’échange des
paroles et l’échange en tant que don. Comme l’écologie, elle ne comprend pas
que l’échange – même quand il y a parasitisme – n’est pas affaire de besoin,
mais de demande et de désir. Marx a réglé le cas de l’économie politique il y a
150 ans ! La mondialisation et la globalisation n’y changent strictement
rien [cf. Debord dans La société du
spectacle (en 1967, 100 ans après Le
Capital), JML dans La signature du spectacle (en 1983) et Agamben dans Moyens sans fins (en 2002), ces deux derniers ouvrages ayant en
commun d’être dédiés à l’auteur du premier].
La politique est la
continuation de la guerre par d’autres moyens. Elle a raison de réduire les
rapports sociaux à des rapports de force ou de pouvoir, à des rapports polémiques
de contrats et de conflits, de contacts et de contraintes ; mais elle a
tort de limiter le pouvoir à la lutte des pères : à la lutte entre les
classes sociales, entre les générations, entre les États ou les pays. Lui
échappe la lutte des mères, c’est-à-dire la lutte entre les sexes et entre les
langues ; la lutte des religions, comme la lutte des races, se situe entre
la lutte des pères et la lutte des mères ou à la jonction des deux… Pour la
politique, le monde est la société, qui est un problème dont elle a la solution
ou une question dont elle a la réponse. La politique n’est pas une science,
mais la biopolitique ou la bioéthique d’un biopouvoir : c’est le schéma et
l’usage de la décision…
Le droit est une entreprise ou une tentative de
légiférer sur le monde et de le légitimer ; c’est le monde de la loi, des
lois et des règles : aux lois du monde de la physique, le droit cherche à
substituer le monde des lois ; il tâche de régir l’univers individuel par
l’univers collectif et d’ainsi gérer la liberté et la propriété (privée ou non)
et de remplacer avec raison la vengeance par la justice. Mais le monde de (par)
la justice n’est pas la justice du (pour le) monde.
Comme
la grammaire, l’histoire est à la fois un objet (les événements : ce
qui se passe et passe) et un sujet, une discipline, un point de vue sur les
événements : ce qui ne passe pas et ne se passe pas. Dans la langue
allemande, on distingue ainsi l’histoire comme ‘’Geschichte’’ et l’histoire
comme ‘’Historie’’. L’histoire est l’écriture du (par le) monde et le monde de
(pour) l’écriture. Avec l’histoire et surtout la préhistoire, apparaît le temps
et donc la mort : l’anticipation de la mort par la faculté de présentation
qu’est l’imagination. L’histoire monumentale
(monument, édifice, statue), selon Nietzsche et Foucault, se distingue de
l’histoire documentaire (document,
archive, statut) : l’histoire monumentale, c’est l’histoire des mouvements
et des changements ; l’histoire documentaire, c’est l’histoire des annales
et des manuels – comme l’histoire littéraire…
Anticipée
au XVIIIe siècle par Jean-Jacques Rousseau et fondée au XIXe siècle par un
écrivain comme Honoré de Balzac et par Auguste Comte, puis refondée au XXe
siècle par Émile Durkheim et Max Weber, la sociologie est, selon Mario Tronti, l’idéologie de l’économie ; c’est la philosophie spontanée du
journalisme. Au mieux, c’est la science des règles et des institutions
sociales, le problème étant toujours de définir ce qu’est une règle ou une
institution et ce qu’est le social : quelle est la nature ou l’essence du
lien social, quel en est le ciment ? La sociologie ne peut concevoir le
langage que comme un moyen ou un instrument de communication entre les humains
et entre l’homme et le monde : le langage y est un effet, un reflet, une
image, de la société ; le monde de (par) la sociologie n’est jamais que la
sociologie du (pour le) monde : un monde sociologique bien plus que social
ou socio-historique, un monde d’enquêtes et de sondages.
La psychologie est l’envers
de la sociologie : plutôt que d’expliquer l’individu par la société, elle
explique la société par l’individu, la personne, le moi, la conscience, la
motivation, la volonté, la personnalité, le caractère, le comportement, etc.
Pour elle, l’être du sujet se définit
par la conscience du moi ou par
l’instinct du soi (« ego
psychology », « psychology of the self », « psychologie
évolutionniste » de la sociobiologie). La psychologie est le monde de
(par) l’individualisation et l’individualisation du (pour le) monde. C’est
possiblement la conception ou la vision du monde la plus courante ou la plus
commune, le bon sens du sens commun : c’est la conception biographique du monde. Les psychologues
sont des biographes !
La géographie a l’avantage
scientifique de la géologie et de la géométrie ; c’est-à-dire qu’elle est
autant une science naturelle qu’une science sociale ; c’est la science de
l’espace humain, de l’espace mondain. Doublée ou couplée, avec la démographie, elle peut
justement rendre compte non seulement de l’espace statique mais de l’espace dynamique :
des mouvements des populations, des migrations et du peuplement en général.
C’est donc dire qu’elle est en mesure de voir comment le temps envahit l’espace,
comment le temps est spatialisé et comment l’espace est temporalisé, le temps
étant à l’espace ce que le travail est au capital : le travail est le
devenir-espace du temps ou espacement des marchandises, tandis que le capital
est le devenir-temps de l’espace ou temporalisation, temporisation (le temps,
c’est de l’argent ; l’argent, c’est du temps acheté, accumulé). Le tourisme est devenir-espace du capital,
de la nature à la culture, du paysage de la contrée au visage du musée par
l’image de la photographie ; mais il est aussi devenir-temps du travail à
travers le voyage qui donne du « bon temps »…
L’ethnologie est l’étude des sociétés dites
primitives ; sa méthode est l’ethnographie,
c’est-à-dire la discipline des enquêtes sur le terrain et non pas de simples
sondages d’opinion à des fins économiques ou politiques, mercantiles ou
parlementaires. Les premiers ethnologues, ce sont les explorateurs et les
découvreurs, les colonisateurs aussi (comme les Jésuites en Nouvelle-France au
XVIIe siècle) ; ils ont souvent été coupables d’ethnocentrisme, d’européocentrisme et d’anthropocentrisme ;
mais l’ethnologie a le grand mérite de la nuance : le monde est multiple ou divers, autrement
diversifié, diversement peuplé et occupé ou préoccupé, même s’il est
structuré : le monde est une structure ;
ce n’est pas comme « tout le monde » !
L’anthropologie est la
science de l’être humain, de l’évolution de l’être humain ; mais c’est une
science particulière et singulière et non générale et fondamentale ou radicale.
Elle devrait pourtant au moins inclure ou comprendre l’ethnologie et la
sociologie, ainsi que la préhistoire (ou la paléoanthropologie) ; et, si
on considère que l’être humain est aussi un animal, elle devrait elle-même
faire partie de l’éthologie humaine comme science ou étude des mœurs
des animaux – ce que ne font même pas les médecins et les vétérinaires. Pour
l’anthropologie, le monde est culture et
structure plus que nature.
Avec
Platon et Aristote, la philosophie se veut être la
science des sciences, la science première à base mathématique (géométrique
ou logique). De la métaphysique à l’éthique, en passant par l’esthétique et la
politique, la philosophie est la science du logos
(raison ou esprit, pensée ou langage). Elle se présente comme la conception ou la
vision du monde par excellence. Elle cherche à être une gnoséologie, soit une théorie de la connaissance, et une épistémologie, soit une théorie de la
science. De l’ontologie (de Platon et
d’Aristote), qui est une théorie de l’être,
à la phénoménologie (de Husserl et Cie), qui est une théorie du phénomène (comme apparaître de l’être),
la philosophie est la définition même du Discours
maître à la Hegel, du Discours du Maître, que celui-ci se (con)fonde ou non
avec le Discours de l’Universitaire – autrement dit, que le philosophe soit ou
non un politicien et un professeur ou que l’intellectuel devienne ou non un
(intellectuel) professionnel…
LA PSYCHANALYSE
Au
Discours de Maître, la psychanalyse appose
– et non oppose – le Discours de
l’Analyste. La psychanalyse n’est pas une conception ou une vision du monde,
que ce soit une science ou une « contre-science » [Foucault] ;
c’est une ‘’abscience’’ : c’est une théorie du monde, un récit théorique ou scientifique du
monde individuel et du monde collectif, du monde naturel et du langage naturel,
et donc aussi de tout le monde : de la sexualité du monde et du monde la
sexualité – mais ce n’est pas une sexologie ! Sigmund Freud en est
l’inventeur à Vienne au tournant du XXe siècle ; il a été suivi par Sandor
Ferenczi, Ernest Jones, Karl Abraham, Melanie Klein et Donald Winnicott et
surtout par Jacques Lacan et Françoise Dolto en France dans la seconde moitié
du XXe siècle.
La
psychanalyse est la science de l’inconscient,
que l’on appelle parfois « psychologie des profondeurs » ;
c’est-à-dire que pour elle le sujet ne se définit pas par la conscience ou le
seul moi (imaginaire), mais par l’inconscient, du ça (réel) au surmoi
(symbolique). Le matériel ou le matériau qui a servi à Freud et qui lui a permis
de découvrir l’inconscient – il ne l’a pas inventé – est le suivant : le
rêve (qui est la « voie royale de connaissance de l’inconscient »,
les lapsus et les mots d’esprit, les légendes et les mythes, la littérature et
l’art en général, la folie (surtout les névroses, les psychonévroses ou les
« grandes névroses » que sont l’hystérie et l’obsession) et la
sexualité infantile. La psychanalyse est une clinique ou une thérapeutique, une
thérapie, où la cure est fondée sur le transfert ; ce n’est pas seulement
une théorie du monde, mais un récit théorique ou scientifique qui (re)lie
l’homme, le langage et le monde.
Selon
la psychanalyse, « trois blessures narcissiques » ont été infligées à
l’humanité :
1°) la physique (Copernic, Kepler, Galilée) a
démontré que le monde, c’est-à-dire la Terre, n’est pas le centre de
l’Univers ;
2°) La biologie (Darwin, Mendel) a (dé)montré que
l’homme n’est pas le centre du monde ;
3°) la métapsychologie (Freud) a montré que le moi,
c’est-à-dire la conscience ou la raison, n’est pas le centre du sujet : le
sujet est décentré et divisé.
Le décentrement ou la division du sujet en fait un dispositif inséparable de l’objet en son
projet et son trajet, en la trajectoire de
la subjectivité et surtout de l’affectivité. Ces trois blessures sont des
débrayages énonciatifs initiaux - et pleins d’initiations et
d’initiatives !… Pour l’éthologie de Lestel, il y aurait une quatrième
blessure narcissique : l’homme n’est pas le seul sujet […]
La
psychanalyse est une métapsychologie (comme l’ontologie et la phénoménologie),
une métaphilosophie (ou une non-philosophie) et une métabiologie.
La métapsychologie
La métapsychologie est le triple point de vue de la psychanalyse :
économique, dynamique et topique.
L’économique
Au point
de vue économique, il y a une énergétique
des zones érogènes et une mécanique des
stades ou des phases : stade oral (ou cannibale et respiratoire), stade
anal (ou sadique), stade phallique (ou urétral) et stade génital ; il y a
de multiples combinaisons et recombinaisons entre les phases. L’énergétique et
la mécanique conditionnent la sexualité humaine, de l’enfant à l’adulte, et
elles sont conditionnées par la bisexualité psychique plutôt que biologique.
Dès le jeune âge ou la prime enfance, le petit de l’homme est aux prises avec
la libido et avec les pulsions et les fantasmes : c’est un « pervers
polymorphe ».
La pulsion est un concept
limite entre le somatique et le psychique, entre le corps et l’âme ; elle
est économiquement psychosomatique. La pulsion a une poussée (force, énergie, impulsion), une source (zone du corps), un objet
et un but (satisfaction). La
pulsion est la cause du sujet, la
cause de la division du sujet en sujet de
(ou « subjectum ») et en sujet
à (ou « subjectus »), entre l’individuation et la
désindividuation, entre l’individu et le ‘’dividu’. Les destins des pulsions sont le renversement dans le contraire, le
retournement sur la personne propre, le refoulement (inhibition, frustration,
privation, régression, répression, réparation, restauration, somatisation), qui
est à la source de la névrose (hystérie, obsession, phobie), la scotomisation
ou la forclusion (du Nom-du-Père), qui est à la source de la psychose
(paranoïa, schizophrénie, manie dépressive), et la sublimation (qui n’est pas
l’idéalisation de l’objet mais le détournement ou le retournement de la pulsion
quant au but, alors que la perversion est le détournement de la pulsion quant à
l’objet). Les ‘’enclins’’ de la pulsion sont l’ancrage et le frayage qui mène à
l’étayage ou au clivage.
Grâce
à son étude du narcissisme (fondamental ou primordial) et du masochisme
(originaire ou primaire), Freud est passé d’une première théorie des pulsions à
une seconde. Il avait d’abord distingué les pulsions du moi ou d’auto-conservation
(sans objet) et les pulsions sexuelles (avec objet pour la libido) ; puis
il a distingué les pulsions de vie et la pulsion de mort. Les pulsions de vie
ne correspondent pas aux pulsions sexuelles. La pulsion de mort est la pulsion
de retour à l’animal ou à l’inorganique et à l’inertie (le repos, le
sommeil) ; elle est aussi sexuelle (agressive : active dans le
sadisme ou passive dans le masochisme) que les pulsions de vie : elle
conditionne donc la vie sexuelle. C’est la pulsion de mort qui fait de la
psychanalyse une métabiologie : sans pulsion de mort, il n’y aurait pas de
vie humaine !
La compulsion de répétition est
inséparable de la pulsion de mort ; elle est automatisme de répétition (rites, rituels, cultes, passages à
l’acte, actes manqués, oublis, tics, etc.) et compulsion d’aveu (confession, quête de la punition, épreuve de la
peine). La (com)pulsion de mort (ou de meurtre), comme impulsion et répulsion,
est la source objective du sentiment de
culpabilité, qui est lui-même la source subjective de l’angoisse.
Le fantasme est le
substitut de ou le résidu de l’angoisse et il est le « représentant
psychique » de la pulsion. Se distinguent les fantasmes conscients (ou les
fantaisies et les rêveries), les fantasmes inconscients (où dominent les
scénarios sexuels) et les fantasmes originaires, les deux principaux étant la
scène primitive (où l’enfant fantasme le coït des parents comme un acte
sadomasochiste) et le mythe du meurtre du père de la horde primitive.
La
dynamique
La
dynamique de la métapsychologie comprend les processus et les principes, ainsi
que le désir. Les processus primaires
sont des processus de transposition, les deux principaux étant la condensation
conduisant à la métaphore et le déplacement conduisant à la métonymie ; les
processus secondaires sont des
processus de position : mécanismes de défense et formations psychiques
(réactionnelles) ou formations de substitut, de compromis ou de symptôme, à la
suite du refoulement et du retour du refoulé. Les processus primaires sont
formateurs d’images par la condensation et le déplacement et les processus
secondaires sont formateurs de symboles par la comparaison et l’association… Le
principe de réalité est le principe
de l’effectivité, de la soumission du moi au surmoi et de l’univers individuel
à l’univers collectif ; le principe
de plaisir, dont la pulsion de mort est « l’au-delà », est le
principe de l’affectivité, de soumission du moi au ça et de l’univers collectif
à l’univers individuel.
Il
existe trois principales théories du désir :
1°) La théorie
machinique ou mécanique du désir
(Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, Lyotard, Deleuze-Guattari, Adler) postule
que le désir est tout-puissant, omnipotent : le désir est réel et il se confond donc plus ou moins
avec la libido ; c’est une force, une énergie, une volonté de
puissance : c’est un instinct ;
c’est le désir du (par le) sujet,
avec ou sans objet.
2°) La théorie
mimétique ou métaphysique du désir (Aristote, Girard) (Jung ?)
considère que le désir est faible : parce que l’homme est un animal
mimétique et politique, le désir est triangulaire et imaginaire ; c’est une médiation entre le sujet et
l’objet : c’est un apprentissage
par le mimétisme (qui fonde la psychologie et la pédagogie du
comportement) ; c’est le désir selon
le désir de l’autre sujet (à l’objet).
3°) La théorie
dialectique ou dynamique du désir (Platon, Hegel, Freud, Lacan) conçoit le
désir comme loi du désir (force, énergie) et comme désir de la loi (interdit,
tabou) : le désir est symbolique, le
signifiant du désir ou le symbole des symboles étant le phallus ; c’est
une force comme libido, mais une faiblesse comme pulsion : c’est un dispositif antagonique et agonique, une
lutte conduisant à la division ou au décentrement du sujet ; c’est le désir
du (par et pour le) désir de l’Autre, le sujet (énonciatif, génitif,
proprioceptif) étant sujet de l’objet
et sujet à l’objet : c’est la
« croix agonique » ou agonistique S-O-S…
Le rêve, qui est le
gardien du sommeil, est un récit ; c’est le récit du désir, qui est
essentiellement sexuel ; le travail
du rêve consiste à transformer les restes diurnes de la veille ou de
l’avant-veille en pensées nocturnes du sommeil à partir de souvenirs oubliés ou
refoulés, tandis que le travail du
récit consiste à transformer de la même manière un contenu latent (profond,
inconscient) en une expression manifeste (superficielle, consciente) partir de rêves et de fantasmes. Dans le
rêve, comme dans le récit, le rêveur est un narrateur – c’est le regard(ant)
symbolique – et il peut s’identifier avec l’acteur qu’il est et qui voit et
parle – c’est le narrateur homodiégétique ou autodiégétique – ou il peut
s’identifier avec l’acteur qu’il voit et qui parle – c’est le regard(é)
imaginaire par le narrateur hétérodiégétique. Le travail du rêve et le travail
du récit sont le travail du désir.
Le
rêve et le récit sont une question ou un problème d’identification. L’identification peut être secondaire ou
consciente : c’est l’identification de ;
elle peut être primaire ou inconsciente : c’est l’identification à. C’est par l’identification et donc
par le désir qu’il y a les processus primaires et secondaires et les deux
principes. Dans l’identification, il y a projection imaginaire du sujet (moi
idéal) ou introjection symbolique de l’objet (idéal du moi) dans l’ambivalence
du moi… L’identification est le moteur du brayage et du repérage, de
l’embrayage et du débrayage et ainsi des états d’âme et des états de chose, des
états du moi et des états du monde. Aussi y a-t-il des états d’âme plutôt
embrayés : l’amour, l’envie, l’angoisse, l’ennui (l’ennui de personne,
l’ennui tout court), l’enthousiasme, l’espoir (du je émergé), la solitude (du
je immergé), la mélancolie, l’égoïsme, la timidité et le narcissisme, et des
états d’âme davantage débrayés : la haine, la jalousie, l’anxiété ou la
peur, la fatigue ou le stress, l’ennui (l’ennui de quelqu’un, les ennuis),
l’étonnement, le désespoir (du je submergé), la compagnie (du je ‘’rémergé’’),
la nostalgie, la générosité, la curiosité et l’altruisme.
La
topique
Dans
l’évolution de la métapsychologie, il y trois topiques des instances du sujet. La première topique proposée par Freud est
celle de l’inconscient, du préconscient et du conscient : l’inconscient est
le lieu du refoulement sexuel et des représentations de choses ; le
préconscient est le (mi)lieu de la mémoire, des souvenirs et des oublis ;
le conscient est le milieu de la perception et des représentations de mots. La
deuxième topique, aussi proposée par Freud, est celle du ça, du moi et du
surmoi : le ça est le réservoir ou la réserve des pulsions ; le moi
est la caserne de la conscience individuelle ou personnelle ; le surmoi
est l’instance de la conscience morale ou collective. La troisième topique, qui
ne correspond pas nécessairement à celles de Freud, est celle de Lacan :
réel (impossible), imaginaire (spéculaire) et symbolique (spectaculaire). Le
neurologue Damasio y substitue, consciemment ou inconsciemment : le
« proto-Soi », le « Soi-central » et le
« Soi-autobiographique » ou l’émotion, la motivation et la cognition.
Ce qui suit peut être associé avec les
correspondances de l’introduction et celles de la conclusion :
FREUD / LACAN
Trois instances du sujet
préconscient ----– conscient
inconscient
moi –---- surmoi
ça
imaginaire ----- symbolique
réel
[Pour toute la métapsychologie, cf. JML : Le sujet ; Première partie :
« Le sujet de l’inconscient » (p. 7-76)].
La métaphilosophie
« L’envers
de la psychanalyse », ou sa sémantique telle que définie dans le Livre XVII du Séminaire de Lacan
(en 1969-1970), est sa métaphilosophie ou sa non-philosophie, sinon son
« anti-philosophie ». C’est la théorie des quatre Discours (ou archidiscours) : le Discours du Maître,
qui est lié à la politique, à la religion et à l’obsession ; le Discours
de l’Hystérique, qui est lié à l’art, à l’art de la grammaire qu’est la
littérature et à l’amour ; le Discours de l’Universitaire, qui est lié à
la philosophie, à la science et à la
paranoïa ; le Discours de l’Analyste, qui est évidemment lié à la
psychanalyse et à la sublimation [cf. JML : Le sujet (p. 71-74 et p. 179, note 63] :
DISCOURS MAÎTRE DISCOURS
UNIVERSITAIRE
(gouverner)
(éduquer)
X
DISCOURS ANALYSTE DISCOURS HYSTÉRIQUE
(analyser)
(aimer)
Métabiologie
Selon la métabiologie psychanalytique, le fondement du lien social est l’interdit de l’infeste
qui, au niveau de la phylogenèse, est le tabou du sang (l’idéologie et le pacte
du sang selon Testart), et, au niveau de l’ontogenèse, le complexe de
castration. Qui dit interdit veut dire interdiction et castration (symbolique).
Le petit de l’homme passe par une série de castrations, dès sa naissance et aux
divers stades de développement de sa sexualité (sevrage, dressage, élevage,
apprentissage, etc.) ; la castration orale précède, accompagne ou succède
à la descente du larynx et la castration génitale procède aussi de la chute des
dents de lait. Le complexe de castration est l’angoisse de castration (par le père ou son représentant) chez le
garçon et l’envie de pénis chez la
fille ; cette envie peut être centripète : avoir un pénis à elle, ou être
centrifuge : recevoir un pénis pour elle [cf. Dolto]…
Le tabou du sang et le complexe de castration incluent ou impliquent l’interdit de
l’inceste et l’interdit du meurtre, celui-ci ayant sans doute précédé celui-là.
L’interdit de l’inceste (ou le tabou
du sang maternel dans la prédation sexuelle), c’est-à-dire l’interdit du sang
que l’on partage (le sang du totem, de la tribu, du clan ou de la famille), est
l’interdit ou le tabou, la loi ou la règle, de l’univers collectif et il
conduit à l’exogamie ; c’est
l’aspect collectif de l’interdit de l’infeste. L’interdit du meurtre (ou le tabou du sang criminel dans la prédation
alimentaire), c’est-à-dire l’interdit du sang que l’on verse ou qui coule (de
la chasse à la guerre), est l’interdit ou le tabou, la loi ou la règle de
l’univers individuel et il conduit au totémisme,
qui est un pré-art, un pré-droit et une pré-religion et qui peut inclure ou
intégrer l’animisme et le shamanisme ; c’est l’aspect individuel de
l’interdit de l’infeste. Le totem est au tabou ce que le rite est au mythe, ce
que le totémisme est à l’exogamie et ce que la sexualité est à la parenté […]
Le tabou du sang menstruel (maternel,
matriciel), qui frappe les sociétés primitives et les sociétés modernes, est à
la fois un aspect du tabou du sang et un aspect du complexe de castration (de
la virginité et de la puberté à la maternité) ; ce tabou est donc le lien
entre l’univers collectif et l’univers individuel et entre la phylogenèse et
l’ontogenèse. C’est ainsi que ou pourquoi les menstruations de beaucoup de
femmes sont vécues dans une extrême douleur ; c’est-à-dire qu’elles sont vécues
inconsciemment comme un avortement, dans le sentiment de culpabilité d’un crime
contre l’espèce (la phylogenèse) et d’un crime contre l’individu
(l’ontogenèse). Il faudrait aussi voir s’il y a un lien ou un rapport entre les
menstruations (qui sont synonymes de travail, d’ordre et de propreté) et la
perte de l’oestrus (qui, lui, est synonyme de loisir, de désordre et de
malpropreté). Enfin, alors qu’il y a la perte de l’oestrus en amont des
menstruations, il y a la ménopause en aval, les deux pouvant être signifiées ou
relayées par la parure (vêtements,
ornements, bijoux, tatouages ou peintures corporelles) comme signal, signe ou
symbole d’ethnicité acquise ou conquise par l’Homme de Cro-Magnon au détriment
de l’Homme de Néandertal [cf. Arsuaga] – ce qui pourrait expliquer de manière
évolutive (ou évolutionniste) le très grand succès de la mode (vestimentaire ou
autre) et de la haute couture…
L’interdit
de l’inceste concerne en outre les relations
duelles de la parenté, les « structures élémentaires de la
parenté » selon Lévi-Strauss, alors que l’interdit du meurtre concerne
aussi la division sexuelle du
travail ; il s’agit donc de la différence
sociale et de la différence sexuelle,
qui conditionnent le partage sexuel d’un sexe à l’autre et le partage
alimentaire d’un groupe à l’autre.
Il est
invraisemblable, ou tout au moins très peu vraisemblable, que la connaissance
du rôle de la copulation dans la fécondation ait été connue avant le langage et
donc avant l’homme ; surtout qu’il y a encore des aborigènes qui
l’ignorent ou le dénient et qui vont jusqu’à nier le rôle de la mère ; en
outre, il y a toutes sortes de mythes et de légendes entourant « les
mystères de la vie » qui renient le sens commun ; enfin, il faut à
l’enfant l’apprendre des adolescents que sont ses frères, ses sœurs ou ses
camarades, ou des parents pour qu’il cesse d’imaginer toutes sortes de
scénarios avant d’en arriver à imaginer le coït : il faut donc un
véritable coup de force de l’imagination pour relier l’accouplement et l’accouchement
et passer d’un solo ou d’un duo (avec la mère) à un trio (avec le père) ou à un
quatuor (avec le phallus).
Le meurtre du père de la horde primitive,
par le meurtre du chef par la bande de frères et pour la troupe de sœurs – que
ce soit un événement historique, un mythe social ou un fantasme psychique
importe peu ; ce qui importe, c’est qu’il y ait (eu) répétition et donc
récit d’un meurtre –, est la fondation de la paternité : le père devient père en
mourant ; le père mort est le
père symbolique (du désir) : ce
que Lacan appelle le Nom-du-Père et que d’autres appellent (le nom de) Dieu (de
Moïse au Christ, le Messie ne pouvant être que le fils confirmant le meurtre du
père)… Le père réel (du besoin) n’est jamais que le géniteur (inconnu, impossible
à l’origine), tandis que le père imaginaire (de la demande), c’est bien souvent
la mère (génitrice ou non)… La fondation de la paternité, la présomption de
paternité » [Legendre], est inséparable de l’interdit de l’infeste et donc
de l’interdit de l’inceste et de l’interdit du meurtre : c’est l’origine (l’émergence, l’apparition, la
naissance) de l’homme, du langage et du monde ; c’est le mythe de
l’origine à l’origine du mythe. Le père parle par le fils ; peut-être
qu’il ne parlait pas ou qu’il a été tué parce qu’il parlait et qu’il savait,
lui, ce qu’il en était de la paternité – à moins que ce ne soit le meurtre
lui-même qui donne la parole aux meurtriers, qui ne sont donc pas des
transgresseurs mais des fondateurs d’interdits…
Le
meurtre (pré)historique, mythique ou fantasmatique du père, suivi du
« festin totémique » (la ‘’dévoration’’ cannibale de son cadavre),
est l’occasion ou le lieu de l’ambivalence
entre l’amour et la haine pour le père mort (qui est un modèle et un
rival), entre le bien et le mal et il conduit au sentiment de culpabilité, qui
est le « péché originel de l’humanité » et la source de l’angoisse
[voir plus haut : Métapsychologie/Économique] !
[Pour la métabiologie, voir le site de JML : Autres études :
« Psychanalyse, sciences humaines et biologie ou Des grands récits »
(2002) et « Darwin and Freud : Sociobiology or Metabiology ?
» (2003)].
LA PRAGRAMMATIQUE
La
pragrammatique est la pragmatique du regard et la grammatique de la voix
comme récit et comme rythme, la grammatique étant donc une narratique (et non
une narratologie) et une rythmique (et non une stylistique). La pragrammatique
concilie ou réconcilie la grammaire (linguistique et sémiotique) et la
psychanalyse ; c’est ainsi qu’elle fait de la valence (la valeur de la valeur, l’investissement thymique de la
deixis) l’équivalent grammatical, l’étalon, de la pulsion ; la valence est
la proprioceptivité, l’extéroceptivité et l’intéroceptivité et il n’y a pas
d’actance sans valence. En (ré)conciliant la grammaire (du texte) et la
psychanalyse, la sémiotique du récit et l’analyse textuelle, l’analyse et la
synthèse, la pragrammatique est la science générale (fondamentale et radicale)
de l’homme et la science subjective du sens (de la vie); elle implique une
théorie du sujet et donc de l’actance.
Enfin, c’est une théorie impersonnelle de la ponctuation de la personne, de l’espace, du temps et de la vitesse
ou une théorie de la ponctuation de la deixis (ou du « Dasein »)…
- Mais la pragrammatique n’est pas un
archirécit !
JML/4 février 2004