TROIS CONTES

Depuis plus de 2500 ans, sont apparus et se sont maintenus quatre (archi)discours esthétiques : épique, lyrique, dramatique et tragique, celui-ci étant la quintessence -- la catharsis -- de ceux-là et l'épique n'ayant pas nécessairement précédé le lyrique. Le système des (arch)discours esthétique est irréductible au régime des (archi)genres que sont l'épopée (et «l'épopée moderne» selon Lukacs : le roman), le poème, le drame et la tragédie. À partir du Moyen-Âge, en Europe ou tout au moins en France, deux autres (archi)discours se sont entretenus et ont été entretenus jusqu'au XIXe siècle : un (archi)discours chevaleresque-romanesque-pittoresque et un (archi)discours carnavalesque-grotesque-burlesque, le premier ayant donné lieu à la littérature courtoise (classique, romantique) et le second à la littérature grivoise (baroque, libertine). Le roman s'est accaparé le chevaleresque-romanesque et le conte s'est approprié le carnavalesque-grotesque; entre les deux ou des deux côtés : la nouvelle.

La nouvelle se caractérise par l'actualité, par les anecdotes ou les intrigues que noue et dénoue la vie quotidienne, par la "romance" élevée au rang de fiction et de diction : par son contenu, elle se rapproche du roman et de la langue écrite; par son expression, elle se rapproche du conte et de la langue parlée. Le conte a quelque chose d'invraisemblable, qu'il soit merveilleux, fantastique ou folklorique; il peut, comme la nouvelle et la fable (à leçon)avoir une teinte amusante : ironique, satirique ou humoristique. Si l'on ne confond pas la parole avec le parler et la parlure, le conte est un véhicule privilégié de l'oralité, d'une tradition orale qui est marquée par l'animalité (de l'homme et des autres animaux), parfois jusqu'à la bestialité [dans les deux sens du terme] de "la bête à deux dos" : Félicité est bête, Julien est une bête, Hérodias n'est pas (une) bête...



Les Trois Contes de Gustave Flaubert ne sont pas des nouvelles, de petits romans : ils ont été publiés et reçus comme contes en 1877; ils sont lus, relus, reconnus, analysés, étudiés et enseignés comme tels et c'est ainsi que nous les considérerons. Un coeur simple est la version-conte du roman Madame Bovary [1857]; La légende de saint Julien l'Hospitalier est une version semblable de La Tentation de saint Antoine [1874], comme l'est Hérodias de Salammbô [1879]. On a souvent et partout remarqué ce parallèle; mais on a beaucoup moins souligné la parenté des trois contes entre eux et c'est ce que nous allons tenter de faire ressortir à la lumière, entre autres, de la topologie des archidiscours ou des quatre Discours selon Lacan: le Discours du Maître (ou le Discours maître), le Discours de l'Hystérique (ou le Discours hystérique), le Discours de l'Universitaire (ou le Discours universitaire) et le Discours de l'Analyste (ou le Discours analyste) [cf. Séminaire XVII : L'envers de la psychanalyse et Télévision] .

Il y aura donc dans ces analyses-ci davantage de renvois d'un conte à l'autre, non pas surtout au niveau de l'archi-texte et de l'intertexte, c'est-à-dire du récit constitutionnel et du discours institutionnel de la littérature, mais au niveau de l'archétexte, qui est l'ensemble des marques ou des marqueurs de la parole et donc l'ensemble des particules de la parole : la signature de l'écriture et de la lecture. L'archétexte (ou l'infratexte) est au texte ce que la (pra)grammatique est à la grammaire et ce que la parole est à la langue et au discours. Irréductible à un registre de figures (rhétoriques ou poétiques), il est le nom propre du style, du style de vie qui fait, non pas que le style, c'est l'homme [Buffon], mais que l'homme, c'est le style (de vie) [JML. Oeuvre de chair, p. 105-112]... Pour toutes les références [entre crochets], et puisqu'il est totalement inutile et futile de lire ces analyses sans avoir lu et relu le texte de Flaubert, le lecteur se référera à l'édition de poche suivante des Trois Contes; édition établie, introduction, notes, bibliographie et chronologie par Pierre-Marc de Biasi : Garnier-Flammarion (GF #452). Paris; 1986 (192 p.; Un coeur simple : p. 43-78, La légende de saint Julien l'Hospitalier : p. 79-108, Hérodias : p. 109-142].



Ponctuation et discursivisation : épitexte

Figurativisation, thématisation et narrativisation : phéno-texte

Axiologisation : géno-texte

Individualisation : archétexte