Georges-Charles Cloué

1817-1889

Cloué est connu pour ses travaux hydrographiques le long des côtes de Terre-Neuve, qui ont abouti à son Pilote de Terre-Neuve (Paris: Lainé, 1869 et Paris: Imprimerie nationale, 1882). En 1857 Cloué avait Miot sous ses ordres à bord de l'Ardent, la première fois que Miot se voit affecté à Terre-Neuve. C'est au cours de ce voyage que commence une collaboration destinée à durer plusieurs années (voir la biographie de Tréfeu). Dans cette lettre au commandant de la station de Terre-Neuve, Mazères, Cloué décrit le travail de Miot.
 
 

Cloué à bord de l'Ardent, 1857, jumelles à la main.
Détail de PA-194627, Bibliothèque et Archives Canada
Acquis avec le support financier du ministre du Patrimoine dans le cadre de la loi sur l'importation et
l'exportation de biens culturels.


Archives nationales, Paris, MAR BB4 797 (1857) - Extrait.

Hâvre de St-Jean de Terre-Neuve le 27 Septembre 1857 

[...] Un des Officiers de l'Ardent, Mr Miot, Enseigne de Vaisseau, s'est adonné pendant son dernier congé à la photographie. Il y réussit d'une manière remarquable et que vous avez pu, Commandant, apprécier par vous-même.1 J'ai songé à utiliser pour nos travaux exacts cette science nouvelle qui pouvait paraître jusqu'ici, n'avoir qu'un côté artistique, et je crois avoir, grâce à l'habileté & à l'intelligence de Mr Miot, obtenu des résultats qui donnent les plus grandes espérances pour l'avenir. 

Les stations au théodolite faites aux points principaux de triangulation exigent une certaine habitude du dessin pour faire les vues, qu'à l'aide des angles dont on les accompagne sont précieuses pour reproduire plus tard les contours de la côte & les accidents principaux du terrain. 

Dorénavant, quelques angles au Théodolite suffiront, et la station sera complétée par une vue photographique sur lesquelles les angles pourront n'être mesurés qu'au moment de dresser le plan. J'ai fait prendre par Mr Miot plusieurs de ces vues, en ayant soin que l'instrument conserve le foyer de l'objectif au même point dans chacune des vues, afin que les distances horizontales sur le cliché, représentent toujours les distances angulaires. 

En mesurant sur les épreuves photographiques au moyen d'une règle métallique graduée, les distances qui séparent entre elles les verticales menées par les divers signaux, j'ai obtenu souvent la concordance à une minute près avec les angles fournis par la station au théodolite. 

Une règle métallique portant un vernier, donnerait facilement les dixièmes de millimètres c'est à dire quarante secondes (puisqu'en moyenne, 3 millimètres donnent un angle de 20 minutes) N'est-ce pas déjà une approximation très satisfaisante? 

Le Daguerrotype de Mr Miot a un objectif de 0m085 & ne comporte que des glaces de 0m27 sur 0m22 au moyen desquelles on ne peut représenter qu'un espace angulaire d'environ 25 degrés. Il faut donc au moins treize clichés pour une station photographique complète, embrassant tout l'horizon. Avec un objectif d'un plus grand diamètre, on pourrait réduire ce nombre à 8 ou 9. Or, les stations au théodolite n'embrassent que rarement tout l'horizon. Aussi, avec 5 vues d'un instrument puissant, on obtiendrait la plupart des stations. Il suffirait de 3 stations bien choisies dans un grand espace pour avoir avec la plus fidèle exactitude, la reproduction des terrains & des sinuosités de la côte. Ces stations sont de plus un excellent contrôle pour celles faites au théodolite; car si, dans celles-ci, on a commis quelque erreur de lecture (ce qui arrive à tout le monde), l'épreuve photographique la révèlera de suite, car elle ne se trompe jamais. Si l'épreuve photographique est suffisamment nette, la mesure de la distance des verticales, donne l'angle horizontal. 

Pour être certain d'avoir la verticale de chaque point, il serait nécessaire de suspendre convenablement dans la chambre noire un petit fil à plomb qui se reproduirait sur le cliché avec l'image photographique. 

Le foyer de l'instrument étant placé à un certain point, chaque millimètre de l'image a une valeur angulaire qui change à mesure qu'on modifie la distance de la glace au foyer de l'objectif. On peut adapter à la chambre noire une règle latérale divisée, de telle sorte que l'on saurait d'après le point où l'on a placé l'instrument, quelle est la valeur angulaire du millimètre sur l'image. Il suffirait sans doute (et l'expérience m'autorise à le penser) d'adopter pour toutes les vues photographiques une position constante de l'objectif par rapport à la glace. 

L'hygrométrie du papier peut faire que les dimensions d'une épreuve fixée soient sensiblement différentes de l'image qui est sur la glace. On peut alors prendre des mesures sur le cliché même. D'ailleurs, un angle pris au théodolite peut servir d'échelle à la vue photographique reproduite sur papier. 

Malgré les difficultés que rencontre à bord l'établissement convenable d'un petit laboratoire photographique, Mr Miot a pu obtenir des épreuves instantanées d'entrées de ports qui doivent donner les plus grandes espérances au sujet de ce que cet habile officier pourrait produire avec un instrument à objectif puissant, & s'il n'était pas arrêté souvent par une trop faible provision de produits chimiques. 

Le Daguerréotype qui est à bord est la propriété de Mr Miot. Ce jeune et intelligent officier l'a mis avec tous ses produits chimiques entièrement à ma disposition pour toutes les expériences que j'ai voulu tenter. J'en ai usé souvent, et c'est toujours avec Mr Miot; car n'étant pas photographe moi-même, je ne serais arrivé à rien sans lui. 

La surveillance de l'achèvement des 4 feuilles de Fichot qui sont à la gravure et la correction attentive des épreuves, exigeraient seuls ma présence au Dépot de la Marine, si je n'avais en outre à y rédiger les travaux de cette année, énumérés plus haut, & dont la publication est urgente. 

Mr Miot a pris une part très active à ces travaux. Sa collaboration me serait utile pour en activer la rédaction, et en outre, il serait bien à désirer que cet officier vienne à Paris se mettre au niveau des progrès que la photographie a dû faire depuis un an. 

(signature: le Capitaine de frégate commandant l'Ardent Cloué) 

P.S. Aussitôt mon arrivée à Lorient, j'expédierai par l'intermédiaire du Préfêt Maritime, les cahiers d'observations accompagnés des épreuves photographiques. 

(copie certifiée conforme par Mazères, Commandant de la Division navale de Terre-Neuve) 

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1. Cette observation semblerait indiquer que le ministère avait déjà reçu des épreuves de Miot, et le post-scriptum montre que d'autres allaient suivre. Que sont-elles devenues? (Note des auteurs de cette page.)