Paul-Émile Miot

Preface to La Marine d'autrefois by Georges Contesse (pp. 7-8: see our bibliography). This is the only printed text by Miot that we have ever seen.

Préface à La Marine d'autrefois de Georges Contesse (pp. 7-8: voir notre bibliographie). Ceci constitue le seul texte imprimé de Miot que nous ayons jamais vu.


Louvre,15 octobre 1896 
      MON CHER MONSIEUR CONTESSE, 
J'ai lu votre manuscrit intitulé: La Marine d'autrefois; c'est l'œuvre d'un homme de mer et d'un homme de cœur. Le livre plaira, sans aucun doute, à l'esprit noblement aventureux des jeunes amis du vieil Océan; il intéressera tous ceux qui savent interroger la brise et entendre le langage des flots.

Vous avez raison de citer des devises. Celle de Colbert: Pro Rege sæpe, pro Patria semper, condense toute une époque. Elle convient surtout au moment où la marine d'autrefois devient la marine d'aujourd'hui, car les mots « Honneur et Patrie », resplendissant à bord de nos vaisseaux, ne sont que l'héroïque traduction de la pensée du grand ministre: « la France avant tout! »

Les études auxquelles je me livre chaque jour me font particulièrement apprécier les ouvrages d'archéologie maritime. Certes, le présent est plein de promesses, ses transformations vent vertigineuses. Bientôt on ira sous la mer en se riant des tumultes de sa surface; bientôt, peut-être, les plus rapides paquebots se trouveront distancés par d'étonnants véhicules roulant sur la lame comme la locomotive d'un express sur le rail. Mais le passé n'en reste pas moins une source d'enseignements? une encyclopédie continuellement ouverte à la bonne page. Aussi suis-je disposé, votre livre à la main, à remonter le cours des siècles; c'est encore un moyen de nous rajeunir.

On ne connaît pas l'ancienne marine. Fort peu d'écrivains l'ont montrée au public telle qu'elle était. Le roman a nui à la vérité, à la « vérité technique » surtout.

L'ignorance sur cette partie de l'histoire est malheureusement grande. Combien de gens savent-ils que le plus beau phare du monde est celui de Cordouan, qu'il a été commencé sous Henri III, en 1584, et terminé en 1610, quelques jours avant la mort du bon roi Henri?

Quel est le Parisien reconnaissant qui, en passant devant la magistrale statue de Coligny, salue en lui le promoteur du « Paris port de mer »`? Qu'on nous montre les érudits glorifiant le vainqueur de la Hague et comprenant l'inévitable désastre de la Hougue? Sait-on communément que d'Estrées, Bougainville, d'Estaing, étaient des officiers de cavalerie; que Suffren fut tué en duel pour une assez sotte querelle de bal? 

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Qui peut supposer, sans avoir fouillé dans la poussière des documents, que les amphisdromes d'aujourd hui, après avoir passé entre les mains habiles de l'amiral Willaumez, ont navigué sur le Rhin en 1735? Où est l'écrivain qui parle du scaphandre dont on se servait sous Louis XV avec double conduit d'air pour le « bougit enflammé et le vent du marinier » ? Pourrait-on nous rappeler le nom de l'inventeur du sous-marin-torpille, construit à Rotterdam en 1653? Qui parle encore de l'ingénieux gouvernail de fortune, à l'aide duquel le chevalier de Luynes faisait louvoyer le Conquérant avec ses quatre gros affûts, sa vergue de grand hunier, ses bouts-dehors et ses deux mille livres de boulets à deux têtes « pour faire plonger la machine »? Que sont devenues les « roues de moulin pour servir sous les voitures d'eau », inventées par le comte de Saxe vers le milieu du XVIIIe siècle? Se souvient-on des beaux portulans enluminés d'Henry Michelot, pilote hauturier des galères? Sait-on encore quelque usage de ces superbes épures dressées à Brest par les ingénieurs de 1780, et dans lesquelles on retrouve aisément toutes les finesses du plus savant yachting?

Et, avant-hier encore, quels étaient done ceux qui, en même temps qu'Alphonse Karr voyant entrer au Havre le Napoléon, notre premier bâtiment de guerre à hélice, voulaient porter en triomphe Frédéric Sauvage? Le malheureux inventeur, incarcéré à deux pas, dans la prison de la ville, pour une dette contractée sans doute à propos de son hélice, gémissait en entendant les acclamations du peuple immense qui bordait les deux jetées du port et saluait son idée victorieuse, sans seulement penser à lui. 

Non, la marine d'autrefois n'est pas connue!

Évoquer les contemporains, faire agir les hommes d'après leur tempérament, leur correspondence, d'après leur style, éviter les intermédiaires et les traducteurs, se tenir en contact, visiter le lieu même de l'action: telle est en somme la meilleure méthode pour restituer le drame historique, l'outil dont s'est servi le héros. C'est ce moyen pratique que vous avez patiemment employé. Je vous en félicite, car ainsi vous avez transfusé la vie à des personnages que le commun des historiographes laisse raides et momifiés sous le marbre silencieux du tombeau. Votre ouvrage aura, je le sais, un complément nécessaire: La Marine d'aujourd'hui en formera le second volume. Remettez-vous done au travail et propagez, par votre plume, les mœurs et le caractère de nos chers marins. Ceux qui les aiment comme nous, vous en seront reconnaissants, et ceux qui ne les connaissent pas apprendront à les estimer.

Je vous serre affectueusement la main. 

Vice - amiral MIOT.

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